samedi 30 mai 2015

SCHUBERT – Sonate "Arpeggione" – Anne GASTINEL & Claire DÉSERT – Par Claude Toon



- Tiens M'sieur Claude un duo féminin ? Pardonnez mon ignorance, mais une sonate pour quel ou quels instruments ?
- L'arpeggione est une sorte de viole à six cordes comme les guitares, mais de nos jours, on joue cette sonate sur un violoncelle, comme Anne Gastinel pour ce disque…
- Et, heuuu, je suppose qu'il y a un piano pour accompagner le violoncelle, piano placé sous les doigts de Claire Désert…
- Oui, l'association piano plus violon ou violoncelle dispose d'un répertoire très large, je pense à Mozart, Fauré et Beethoven par exemple…
- Vous n'avez jamais parlé de ces deux artistes si je consulte l'index ?
- Non, pas encore, l'univers classique est si vaste, et écoutons donc cet album paru en 2005 mais que je n'ai acquis que récemment… Il n'est jamais trop tard !

Claire Désert (à gauche) et Anne gastinel
La sonate "Arpeggione" de Franz Schubert, comme son sous-titre l'indique, n'a pas été écrite pour un violoncelle mais pour un arpeggione, instrument rare qui tient de la guitare pour ses six cordes, et de la viole de gambe pour sa forme et son jeu avec un archet. J'ai pu lire qu'il existe seulement une douzaine d'exemplaires au monde de cet instrument créé et abandonné au début du XIXème siècle. Cette sonate assez populaire est donc le plus souvent interprétée sur un violoncelle, ce qui nous permet d'aller à la rencontre de deux artistes de talent : Anne Gastinel et sa complice au clavier : Claire Désert.
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Anne Gastinel appartient au groupe des violoncellistes français d'exception avec Ophélie Gaillard et Gautier Capuçon et quelques comparses comme Bruno Cocset. Bruno, Ophélie et Gautier ont déjà été ovationnés dans le blog (Clic), (Clic) & (Clic).
La jeune virtuose quadragénaire a commencé ses études de violoncelle à six ans dans les conservatoires de Lyon, dont elle native, puis de Paris. Après ses études brillantes, elle se perfectionne auprès des géants comme Paul Tortelier (1914-1990), Janos Starker (1924-2013) et Yo-Yo Ma (né en 1955).
Arpeggione
Anne Gastinel est une personnalité discrète au service absolu de son art et des compositeurs qu'elle interprète. Bien que lauréate de trois Victoires de la musique, elle n'a rien changé à son souci de recherche de la perfection et de l'authenticité de ses interprétations. En 1997, Marta Casals-Istomin accepte pour la première fois de prêter l'instrument de son premier mari : Pablo Casals, un violoncelle de  Mateo Gofriller, (Janos Starker et Gauthier Capuçon jouent aussi sur des merveilles de ce luthier italien du XVIIème siècle). L'heureuse élue sera  Anne Gastinel. People : Marta épousera après la mort du maître catalan en 1973, le pianiste Eugene Istomin que nous avions croisés dans l'article consacré à un Trio de Schubert (Clic). Actuellement, Anne joue sur un violoncelle de 1690 du luthier Milanais Carlo Giuseppe Testore.
L'artiste suit une carrière internationale et a gravé une discographie équilibrée entre la musique de chambre et les concertos, ceux du grand répertoire comme Dvorak ou d'autres plus contemporains et écrits à son intention par Eric Tanguy par exemple…

De la même génération que Anne Gastinel, Claire Désert prend ses premiers cours de piano dès l'âge de cinq ans dans une famille pourtant peu mélomane mais souhaitant donner sa chance à leur fille. Les réussites de la fillette contamineront ses parents au plaisir de la musique classique. Les années passent, brillantes, et la jeune fille intègre la Conservatoire supérieur de Paris à 14 ans, dans les classes de Vensislav Yankoff et de Jean Hubeau, spécialiste incontesté de Fauré et Schumann (Clic). Elle partira également se perfectionner à Moscou, au Conservatoire Tchaïkovski.
Vers la fin des années 80, quelques prix internationaux en poche, la jeune pianiste commence sa carrière internationale. On la rencontre dans divers festivals de renom comme celui de la Roque d'Anthéron ou encore à des évènements musicaux populaires et démocratiques, pour ne citer qu'un : les folles journées de Nantes.
Son premier disque est consacré à Schumann, ce qui n'est pas une surprise en regard des professeurs qui lui ont appris à maîtriser ce compositeur réputé si difficile. Un disque récompensé par la critique. Suivra un disque associant les concertos de Dvorák et Scriabine, des œuvres peu enregistrées. Nous sommes en 1997, ce second disque obtiendra une Victoire de la musique… Deux gravures en duo avec Anne Gastinel sont parues chez Naïve : celle commentée aujourd'hui dédiée à Schubert en 2005, et une autre à Schumann en 2001.
Sa carrière oscille entre les concerts comme soliste et la musique de chambre en compagnie de grands noms comme le pianiste Emmanuel Strosser, les quatuors Manfred ou Sine Nomine pour en citer quelques-uns. Parallèlement à son activité de concertiste, Claire Désert enseigne au conservatoire de Paris.
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Franz Schubert en 1825
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Si en 1871, une transcription n'avait pas été effectuée de la sonate "Arpeggione" de 1824, il n'existerait aucune œuvre de Schubert pour le duo piano-violoncelle ! À noter d'ailleurs que toutes les pièces complémentaires gravées sur ce CD sont des transcriptions plutôt réussies. L'histoire de cette sonate n'est pas banale, remontons le temps…
En 1823, le luthier viennois Johann Georg Stauffer, par nostalgie de l'époque baroque sans doute, crée l'arpeggione : une viole comportant six cordes comme la guitare, la forme de l'instrument épousant celle de la viole de gambe et du violoncelle. Ne disposant pas de pique posée au sol, sa tenue est fort mal pratique et oblige l'instrumentiste à serrer l'arpeggione entre les cuisses… Il existera une déclinaison avec une bretelle passée autour du cou en mode accordéon, bonjour les cervicales ! Tous ces inconvénients (la tessiture n'apporte aucune extension notable par rapport à celle du violoncelle) vont programmer la fin prématurée de cet "engin" au bout d'une dizaine d'années. Seuls deux ouvrages auraient été écrits, l'un, un concerto, est perdu, l'autre est la sonate D 821 de Schubert écoutée aujourd'hui. J'ai entendu une version interprétée sur une copie d'Arpeggione et Piano forte. Franchement, entre le son grinçant des cordes, et la sécheresse du piano-forte, on ne perd rien à écouter la sonate sur instruments modernes…
Vincenz Schuster, virtuose sans lendemain de l'éphémère Arpeggione commande à Schubert la sonate pour tenter d'étoffer un bien maigre répertoire. La partition est achevée en novembre 1824. Trivialement, à la vue de la partition autographe, on devine que Schubert a écrit cette œuvre "à l'arrache" ! Il tiendra la partie de piano en compagnie de Vincenz Schuster, chez ce dernier, pour la création avant Noël 1824. Profondément honnête et ne sachant pas bâcler, le compositeur a imaginé une pièce poétique et charmante, sans métaphysique, ce qui évidement, tranche avec la force spirituelle et l'écriture hyper élaborée des quatuors N° 13 "Rosamunde" et N° 14 "La jeune fille et la mort" composés quelques mois plus tôt. Deux chefs-d'œuvre de l'histoire de la musique. (Clic)

La sonate ne comporte que 3 mouvements pour une durée de 20 minutes environ.
1 – Allegro Moderato : Schubert a retenu la tonalité nostalgique de la mineur. Le piano expose le premier thème avec mélancolie. Une exposition jouée avec une infinie tendresse par Claire Désert. Le thème est repris par Anne Gastinel avec également un jeu élégant, léger et délié. Une seconde idée plus vigoureuse et dansante est développée en duo. Nous sommes frappés immédiatement par la complicité des deux artistes, par l'équilibre entre un jeu galant, une fantaisie et, néanmoins, l'expression des songes languissants du Schubert de cette époque difficile pour lui. Difficile, car le compositeur est déjà très fatigué par la syphilis et les traitements absurdes à base de mercure qu'on lui impose… L'introduction est reprise da capo puis le mouvement développe une thématique plus vive. Le thème initial réapparait dans un riche solo du violoncelle. N'oublions pas, qu'initialement l'ouvrage était destiné à mettre en valeur l'arpeggione soliste. Le flot musical est agréable, jamais mièvre. Les sentiments les plus marquants offerts par l'interprétation sont la douceur de vivre et des craintes plus secrètes et intimes, émois que savait si bien mettre en avant Schubert, même si contrairement à ses quatuors et trios, le travail sur les changements de tonalités ou les variations demeure moins accompli. Oui, beaucoup de tendresse dans cet allegro. Le tempo est idéal et la prise de son évite de défavoriser l'une ou l'autre des instrumentistes.

2 – Adagio : Écrit en mi majeur, l'adagio est conçu à la manière d'un lied : le violoncelle interprétant la mélodie d'un poème sans parole, le piano précis et élégant de Claire Désert l'accompagnant dans ces méditations. Le mode majeur donne une couleur optimiste à ce joli mouvement doux et rêveur. Anne Gastinel sait garder une douce sonorité au phrasé. Elle prouve ici sa capacité à honorer la partition, faire corps avec l'inspiration du compositeur, en évitant les graves pathétiques et autres fioritures sans objet.

3 – Allegretto : le mouvement conclusif s'enchaîne directement à l'adagio et use d'une nouvelle tonalité : la majeur. C'est un rondo où l'on retrouve le goût prononcé de Schubert pour les variations qui sont ici plutôt des épisodes joyeux et endiablés. Anne Gastinel assume un jeu très articulé, très pur, une sonorité pleine mais sans ce vibrato parfois excessif auquel s'adonnent certains violoncellistes. Schubert, même dans une œuvre de commande, fait preuve d'une imagination facétieuse et rythmée. Une œuvre d'une merveilleuse simplicité magnifiée par nos deux amies.

L'album est complété par de vivifiantes transcriptions de Lied (Schubert en a composé des centaines) et une sonatine pour violon et piano D 384. J'ai ajouté en vidéo l'une des plus belles de ces transcriptions : Le chant du cygne : "Ständchen" (Sérénade) D.957 n°4. Ah, ne pas oublier les célèbres variations du Lied "la truite" :o)
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L'allegretto final de la sonate "Arpeggione puis, toujours de Franz Schubert : Le chant du cygne : "Ständchen" (Sérénade) D.957 n°4 - arrangement pour violoncelle et piano. Générique de l'émission : "Tubes de" sur Radio classique...



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