- Tiens M'sieur Claude un duo féminin ? Pardonnez mon ignorance, mais une
sonate pour quel ou quels instruments ?
- L'arpeggione est une sorte de viole à six cordes comme les guitares,
mais de nos jours, on joue cette sonate sur un violoncelle, comme Anne
Gastinel pour ce disque…
- Et, heuuu, je suppose qu'il y a un piano pour accompagner le
violoncelle, piano placé sous les doigts de Claire Désert…
- Oui, l'association piano plus violon ou violoncelle dispose d'un
répertoire très large, je pense à Mozart, Fauré et Beethoven par
exemple…
- Vous n'avez jamais parlé de ces deux artistes si je consulte l'index
?
- Non, pas encore, l'univers classique est si vaste, et écoutons donc cet
album paru en 2005 mais que je n'ai acquis que récemment… Il n'est jamais
trop tard !
Claire Désert (à gauche) et Anne gastinel |
La
sonate "Arpeggione"
de
Franz Schubert, comme son sous-titre l'indique, n'a pas été écrite pour un violoncelle
mais pour un arpeggione, instrument rare qui tient de la guitare pour ses
six cordes, et de la viole de gambe pour sa forme et son jeu avec un archet.
J'ai pu lire qu'il existe seulement une douzaine d'exemplaires au monde de
cet instrument créé et abandonné au début du XIXème siècle. Cette
sonate assez populaire est donc le plus souvent interprétée sur un
violoncelle, ce qui nous permet d'aller à la rencontre de deux artistes de
talent :
Anne Gastinel
et sa complice au clavier :
Claire Désert.
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Anne Gastinel
appartient au groupe des violoncellistes français d'exception avec
Ophélie
Gaillard
et
Gautier Capuçon
et quelques comparses comme
Bruno Cocset. Bruno, Ophélie
et
Gautier ont déjà été ovationnés dans le blog
(Clic),
(Clic)
&
(Clic).
La jeune virtuose quadragénaire a commencé ses études de violoncelle à six
ans dans les conservatoires de Lyon, dont elle native, puis de Paris. Après
ses études brillantes, elle se perfectionne auprès des géants comme
Paul Tortelier
(1914-1990),
Janos Starker
(1924-2013) et
Yo-Yo Ma
(né en 1955).
Arpeggione |
Anne Gastinel
est une personnalité discrète au service absolu de son art et des
compositeurs qu'elle interprète. Bien que lauréate de trois Victoires de la
musique, elle n'a rien changé à son souci de recherche de la perfection et
de l'authenticité de ses interprétations. En
1997,
Marta Casals-Istomin accepte
pour la première fois de prêter l'instrument de son premier mari : Pablo Casals, un violoncelle de Mateo Gofriller, (Janos Starker
et
Gauthier Capuçon
jouent aussi sur des merveilles de ce luthier italien du XVIIème
siècle). L'heureuse élue sera Anne Gastinel. People : Marta épousera après la mort du maître catalan en
1973, le pianiste
Eugene Istomin
que nous avions croisés dans l'article consacré à un
Trio
de
Schubert
(Clic). Actuellement,
Anne
joue sur un violoncelle de 1690 du luthier Milanais
Carlo Giuseppe Testore.
L'artiste suit une carrière internationale et a gravé une discographie
équilibrée entre la musique de chambre et les concertos, ceux du grand
répertoire comme
Dvorak
ou d'autres plus contemporains et écrits à son intention par
Eric Tanguy
par exemple…
De la même génération que Anne Gastinel,
Claire Désert
prend ses premiers cours de piano dès l'âge de cinq ans dans une famille
pourtant peu mélomane mais souhaitant donner sa chance à leur fille. Les
réussites de la fillette contamineront ses parents au plaisir de la musique
classique. Les années passent, brillantes, et la jeune fille intègre la
Conservatoire supérieur de Paris à 14 ans, dans les classes de
Vensislav
Yankoff
et de
Jean Hubeau, spécialiste incontesté de
Fauré
et
Schumann
(Clic). Elle partira également se perfectionner à Moscou, au Conservatoire
Tchaïkovski.
Vers la fin des années 80, quelques prix internationaux en poche, la jeune
pianiste commence sa carrière internationale. On la rencontre dans divers
festivals de renom comme celui de
la Roque d'Anthéron ou encore à
des évènements musicaux populaires et démocratiques, pour ne citer qu'un :
les folles journées de Nantes.
Son premier disque est consacré à
Schumann, ce qui n'est pas une surprise en regard des professeurs qui lui ont
appris à maîtriser ce compositeur réputé si difficile. Un disque récompensé
par la critique. Suivra un disque associant les concertos de
Dvorák
et
Scriabine, des œuvres peu enregistrées. Nous sommes en
1997, ce second disque
obtiendra une
Victoire de la musique… Deux
gravures en duo avec
Anne Gastinel
sont parues chez Naïve : celle
commentée aujourd'hui dédiée à
Schubert
en 2005, et une autre à
Schumann
en 2001.
Sa carrière oscille entre les concerts comme soliste et la musique de
chambre en compagnie de grands noms comme le pianiste
Emmanuel Strosser, les
quatuors Manfred
ou
Sine Nomine
pour en citer quelques-uns. Parallèlement à son activité de concertiste,
Claire Désert
enseigne au conservatoire de Paris.
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Franz Schubert en 1825 XX XX |
Si en 1871, une transcription
n'avait pas été effectuée de la
sonate "Arpeggione"
de 1824, il n'existerait aucune
œuvre de
Schubert
pour le duo piano-violoncelle ! À noter d'ailleurs que toutes les pièces
complémentaires gravées sur ce CD sont des transcriptions plutôt réussies.
L'histoire de cette sonate n'est pas banale, remontons le temps…
En 1823, le luthier viennois
Johann Georg Stauffer, par
nostalgie de l'époque baroque sans doute, crée l'arpeggione : une viole
comportant six cordes comme la guitare, la forme de l'instrument épousant
celle de la viole de gambe et du violoncelle. Ne disposant pas de pique
posée au sol, sa tenue est fort mal pratique et oblige l'instrumentiste à
serrer l'arpeggione entre les cuisses… Il existera une déclinaison avec une
bretelle passée autour du cou en mode accordéon, bonjour les cervicales !
Tous ces inconvénients (la tessiture n'apporte aucune extension notable par
rapport à celle du violoncelle) vont programmer la fin prématurée de cet
"engin" au bout d'une dizaine d'années. Seuls deux ouvrages auraient été
écrits, l'un, un concerto, est perdu, l'autre est la
sonate D 821
de
Schubert
écoutée aujourd'hui. J'ai entendu une version interprétée sur une copie
d'Arpeggione et Piano forte. Franchement, entre le son grinçant des cordes,
et la sécheresse du piano-forte, on ne perd rien à écouter la sonate sur
instruments modernes…
Vincenz Schuster, virtuose sans lendemain de l'éphémère Arpeggione commande à
Schubert
la sonate pour tenter d'étoffer un bien maigre répertoire. La partition est
achevée en novembre 1824.
Trivialement, à la vue de la partition autographe, on devine que
Schubert
a écrit cette œuvre "à l'arrache" ! Il tiendra la partie de piano en
compagnie de
Vincenz Schuster, chez ce dernier, pour la création avant Noël
1824. Profondément honnête et
ne sachant pas bâcler, le compositeur a imaginé une pièce poétique et
charmante, sans métaphysique, ce qui évidement, tranche avec la force
spirituelle et l'écriture hyper élaborée des
quatuors N° 13 "Rosamunde"
et N°
14 "La jeune fille et la mort"
composés quelques mois plus tôt. Deux chefs-d'œuvre de l'histoire de la
musique.
(Clic)
La sonate ne comporte que 3 mouvements pour une durée de 20 minutes
environ.
1 – Allegro Moderato
:
Schubert
a retenu la tonalité nostalgique de la mineur. Le piano expose le premier
thème avec mélancolie. Une exposition jouée avec une infinie tendresse par
Claire
Désert. Le thème est repris par
Anne Gastinel
avec également un jeu élégant, léger et délié. Une seconde idée plus
vigoureuse et dansante est développée en duo. Nous sommes frappés immédiatement par la complicité des deux artistes, par l'équilibre entre un
jeu galant, une fantaisie et, néanmoins, l'expression des songes
languissants du
Schubert
de cette époque difficile pour lui. Difficile, car le compositeur est déjà
très fatigué par la syphilis et les traitements absurdes à base de mercure
qu'on lui impose… L'introduction est reprise da capo puis le mouvement
développe une thématique plus vive. Le thème initial réapparait dans un
riche solo du violoncelle. N'oublions pas, qu'initialement l'ouvrage était
destiné à mettre en valeur l'arpeggione soliste. Le flot musical est
agréable, jamais mièvre. Les sentiments les plus marquants offerts par
l'interprétation sont la douceur de vivre et des craintes plus secrètes et
intimes, émois que savait si bien mettre en avant
Schubert, même si contrairement à ses
quatuors
et
trios, le travail sur les changements de tonalités ou les variations demeure
moins accompli. Oui, beaucoup de tendresse dans cet allegro. Le tempo est
idéal et la prise de son évite de défavoriser l'une ou l'autre des
instrumentistes.
2 – Adagio
: Écrit en mi majeur, l'adagio est conçu à la manière d'un lied : le
violoncelle interprétant la mélodie d'un poème sans parole, le piano précis
et élégant de Claire
Désert
l'accompagnant dans ces méditations. Le mode majeur donne une couleur
optimiste à ce joli mouvement doux et rêveur.
Anne Gastinel
sait garder une douce sonorité au phrasé. Elle prouve ici sa capacité à
honorer la partition, faire corps avec l'inspiration du compositeur, en
évitant les graves pathétiques et autres fioritures sans objet.
3 – Allegretto
: le mouvement conclusif s'enchaîne directement à l'adagio et use d'une
nouvelle tonalité : la majeur. C'est un rondo où l'on retrouve le goût
prononcé de
Schubert pour les variations qui sont ici plutôt des épisodes joyeux et
endiablés.
Anne Gastinel
assume un jeu très articulé, très pur, une sonorité pleine mais sans ce
vibrato parfois excessif auquel s'adonnent certains violoncellistes.
Schubert, même dans une œuvre de commande, fait preuve d'une imagination
facétieuse et rythmée. Une œuvre d'une merveilleuse simplicité magnifiée
par nos deux amies.
L'album est complété par de vivifiantes transcriptions de Lied (Schubert
en a composé des centaines) et une
sonatine pour violon et piano D 384. J'ai ajouté en vidéo l'une des plus belles de ces transcriptions :
Le chant du cygne
: "Ständchen" (Sérénade)
D.957 n°4. Ah, ne pas oublier les célèbres variations du Lied "la truite" :o)
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L'allegretto final de la
sonate "Arpeggione
puis, toujours de
Franz Schubert
: Le chant du cygne : "Ständchen"
(Sérénade) D.957 n°4
- arrangement pour violoncelle et piano. Générique de l'émission : "Tubes de" sur Radio classique...
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