C’est
ce qu’on appelle un film-dossier. Lorsque qu’un réalisateur s’empare d’un sujet
fort (et ici c'est du lourd...) qui restera au centre du projet, au-delà des contingences dramatiques ou
psychologiques. Dans le cas de LE LABYRINTHE DU SILENCE, il s’agit une histoire
vraie, dont plusieurs personnages ont réellement existé. Un peu comme LES
HOMMES DU PRESIDENT, d’Alan J Pakula.
L’action
commence en 1958, à Frankfort sur le Main. Johann Radmann débute sa carrière de
procureur au service des contraventions (très bien joué, droit dans ses bottes et mâchoires serrées par Alexander Fehling, vu dans INGLORIOUS BASTARDS). Il est intrigué par un esclandre
provoqué par le journaliste Thomas Gnielka, qui accuse la Justice d’étouffer le
témoignage d’un de ses amis, Simon Kirsch, qui a reconnu dans le professeur de
l’école du coin un ancien SS ayant servi à Auschwitz. Johann Raddmann fait
quelques vérifications, se rapproche de Gnielka, puis de Simon Kirsch pour un
savoir plus. C’est quoi au juste, Auschwitz ? Mais Simon Kirsch refuse de parler
du passé. Raddmann fouille ses affaires, ses souvenirs, lui vole une liasse de
papiers administratifs portant l’entête du camp d’Auschwitz. C’est une liste de
SS. Pas grand-chose, mais un début, le fil sur lequel on va tirer pour dérouler
toute la pelote…
Aussi
incroyable que cela puisse paraître, vu
de chez nous 70 ans plus tard, et avec le lot de commémorations et
documentaires, on découvre avec ce film qu’en Allemagne, à la fin des années
50, les camps d’extermination était un sujet dont on ne parlait pas. Au point que la génération née de la guerre, ignorait tout de la Shoah. Les
crimes dits de guerre, étaient prescrits. Il fallait repartir de l'avant, oublier le passé, bref... ne pas remuer la merde. C'est mauvais pour les affaires... Seuls les crimes de meurtre peuvent
être jugés. Ca tombe bien, Raddmann est un magistrat, procédurier, il sait qu’il doit avoir
un dossier solide. S’il y a un meurtre, il faut un assassin, une victime, et des
témoins. Mais où et comment trouver ces gens ?
Raddmann
commence dans le métier, il fait les choses bien. Il lit, classe, vérifie. A cet égard, le film est très bien fait, et montre le travail colossal du petit procureur, jonglant avec les archives, les bottins, les photos, pour dénicher une info, un indice, une preuve. Raddmann
est aussi plein d’illusions. Et se heurtera à des difficultés de toutes natures,
politiques, administratives, ou psychologiques.
Une
association d’anciens déportés lui fournira une liste de témoins, et les
archives américaines, le listing des assassins. A lui de faire le lien. Ainsi
cette scène saisissante, face un témoin à qui il demande : alors, vous me
dites que lorsque vous étiez à Auschwitz, il y a eu des meurtres. Pouvez-vous
me donner le nom d’une victime, le jour et les circonstances exactes ?
Incrédule, le témoin répond : mais… il y en a eu des centaines de
milliers… Raddmann et sa greffière découvrent l’innommable, ce qu’on ne lit pas
dans les livres, les journaux, qu’on n’apprend pas à l’école, ce dont on ne
parle pas.
En
déterrant le passé, Raddmann se heurte aussi à un sujet tabou, comme lui dit un officier amériacain : et si dans les
listings d’anciens nazis
vous découvrez le nom de votre propre père ? Ce qui amène Raddmann à
enquêter sur lui-même, sa fiancée, son ami journaliste... C’est toute une génération qui devient
suspecte.
Dans
son enquête, Raddmann entend parler souvent du docteur Joseph Mengele, médecin
chef à Auschwitz. Qui deviendra une fixation. Le procureur général, Fritz Bauer, un des rares à soutenir son jeune magistrat, l’enjoint de
traiter un maximum de dossiers plutôt que de se focaliser sur un seul gros
poisson (d'autant que les services secrets israëliens avaient déjà Mengele, et Eichmann, dans le collimateur). Le fait que Mengele, depuis son exil en Argentine, mais natif de la région, revienne régulièrement en
Allemagne en toute impunité (scène hallucinante !), a de quoi faire enrager. Raddmann découvre un autre
aspect de l'Histoire, les personnalités au passé trouble, protégées, comme Robert
Mulka, ou Richard Baer, le dernier commandant du camp.
Ces
procédures donneront ce qu’on appelle le second procès d’Auschwitz, entre 1963
et 1965, le premier procès organisé en Allemagne, par des allemands, contre des
allemands.
LE
LABYRINTHE DU SILENCE est un film didactique, conçu comme tel. Parfait pour être diffusé aux "Dossiers de l'écran" en son temps... (je vous parle d'un temps...). Si le
réalisateur insuffle de la romance, elle ne détourne pas du propos, sert au
contraire à fouiller davantage son sujet, amène de la proximité (Friederike Becht dans le rôle de Marlène, avec ses faux-airs de Salma Hayek). Giulio Ricciarelli mène son récit sans temps mort, mais de manière très académique. Ne cherchez pas des prouesses de caméra, ce n'est pas le but. L'important était de ne pas se faire écraser par son sujet, tout en produisant du vrai cinéma, juste équilibre entre efficacité, respect, sans facilité. Sur ce point, c'est réussi. Ainsi, les scènes d’audition de déportés évitent
tout voyeurisme par un dispositif d’une sobriété exemplaire. Ce qui les rend d'autant plus poignantes.
Couleur - 2h05 - scope 2:35
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