vendredi 22 mai 2015

LE LABYRINTHE DU SILENCE de Giulio Ricciarelli (2015) par Luc B.

C’est ce qu’on appelle un film-dossier. Lorsque qu’un réalisateur s’empare d’un sujet fort (et ici c'est du lourd...) qui restera au centre du projet, au-delà des contingences dramatiques ou psychologiques. Dans le cas de LE LABYRINTHE DU SILENCE, il s’agit une histoire vraie, dont plusieurs personnages ont réellement existé. Un peu comme LES HOMMES DU PRESIDENT, d’Alan J Pakula.  

L’action commence en 1958, à Frankfort sur le Main. Johann Radmann débute sa carrière de procureur au service des contraventions (très bien joué, droit dans ses bottes et mâchoires serrées par Alexander Fehling, vu dans INGLORIOUS BASTARDS). Il est intrigué par un esclandre provoqué par le journaliste Thomas Gnielka, qui accuse la Justice d’étouffer le témoignage d’un de ses amis, Simon Kirsch, qui a reconnu dans le professeur de l’école du coin un ancien SS ayant servi à Auschwitz. Johann Raddmann fait quelques vérifications, se rapproche de Gnielka, puis de Simon Kirsch pour un savoir plus. C’est quoi au juste, Auschwitz ? Mais Simon Kirsch refuse de parler du passé. Raddmann fouille ses affaires, ses souvenirs, lui vole une liasse de papiers administratifs portant l’entête du camp d’Auschwitz. C’est une liste de SS. Pas grand-chose, mais un début, le fil sur lequel on va tirer pour dérouler toute la pelote…

Aussi incroyable  que cela puisse paraître, vu de chez nous 70 ans plus tard, et avec le lot de commémorations et documentaires, on découvre avec ce film qu’en Allemagne, à la fin des années 50, les camps d’extermination était un sujet dont on ne parlait pas. Au point que la génération née de la guerre, ignorait tout de la Shoah. Les crimes dits de guerre, étaient prescrits. Il fallait repartir de l'avant, oublier le passé, bref... ne pas remuer la merde. C'est mauvais pour les affaires... Seuls les crimes de meurtre peuvent être jugés. Ca tombe bien, Raddmann est un magistrat, procédurier, il sait qu’il doit avoir un dossier solide. S’il y a un meurtre, il faut un assassin, une victime, et des témoins. Mais où et comment trouver ces gens ?

Raddmann commence dans le métier, il fait les choses bien. Il lit, classe, vérifie. A cet égard, le film est très bien fait, et montre le travail colossal du petit procureur, jonglant avec les archives, les bottins, les photos, pour dénicher une info, un indice, une preuve. Raddmann est aussi plein d’illusions. Et se heurtera à des difficultés de toutes natures, politiques, administratives, ou psychologiques.

Une association d’anciens déportés lui fournira une liste de témoins, et les archives américaines, le listing des assassins. A lui de faire le lien. Ainsi cette scène saisissante, face un témoin à qui il demande : alors, vous me dites que lorsque vous étiez à Auschwitz, il y a eu des meurtres. Pouvez-vous me donner le nom d’une victime, le jour et les circonstances exactes ? Incrédule, le témoin répond : mais… il y en a eu des centaines de milliers… Raddmann et sa greffière découvrent l’innommable, ce qu’on ne lit pas dans les livres, les journaux, qu’on n’apprend pas à l’école, ce dont on ne parle pas.

En déterrant le passé, Raddmann se heurte aussi à un sujet tabou, comme lui dit un officier amériacain : et si dans les listings d’anciens nazis vous découvrez le nom de votre propre père ? Ce qui amène Raddmann à enquêter sur lui-même, sa fiancée, son ami journaliste... C’est toute une génération qui devient suspecte.

Dans son enquête, Raddmann entend parler souvent du docteur Joseph Mengele, médecin chef à Auschwitz. Qui deviendra une fixation. Le procureur général, Fritz Bauer, un des rares à soutenir son jeune magistrat, l’enjoint de traiter un maximum de dossiers plutôt que de se focaliser sur un seul gros poisson (d'autant que les services secrets israëliens avaient déjà Mengele, et Eichmann, dans le collimateur). Le fait que Mengele, depuis son exil en Argentine, mais natif de la région, revienne régulièrement en Allemagne en toute impunité (scène hallucinante !), a de quoi faire enrager. Raddmann découvre un autre aspect de l'Histoire, les personnalités au passé trouble, protégées, comme Robert Mulka, ou Richard Baer, le dernier commandant du camp.     

Ces procédures donneront ce qu’on appelle le second procès d’Auschwitz, entre 1963 et 1965, le premier procès organisé en Allemagne, par des allemands, contre des allemands.

LE LABYRINTHE DU SILENCE est un film didactique, conçu comme tel. Parfait pour être diffusé aux "Dossiers de l'écran" en son temps... (je vous parle d'un temps...). Si le réalisateur insuffle de la romance, elle ne détourne pas du propos, sert au contraire à fouiller davantage son sujet, amène de la proximité (Friederike Becht dans le rôle de Marlène, avec ses faux-airs de Salma Hayek). Giulio Ricciarelli mène son récit sans temps mort, mais de manière très académique. Ne cherchez pas des prouesses de caméra, ce n'est pas le but. L'important était de ne pas se faire écraser par son sujet, tout en produisant du vrai cinéma, juste équilibre entre efficacité, respect, sans facilité. Sur ce point, c'est réussi. Ainsi, les scènes d’audition de déportés évitent tout voyeurisme par un dispositif d’une sobriété exemplaire. Ce qui les rend d'autant plus poignantes. 


Couleur  -  2h05  -  scope 2:35 



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