vendredi 17 avril 2015

BOXCAR BERTHA de Martin Scorsese (1972) par Luc B.




On a coutume de citer MEAN STREETS (1973) comme premier film de Martin Scorsese. C’est certainement celui où son univers se met en place, mais avant cela il y avait eu deux réalisations. Son film de fin d’étude, WHO’S KNOCKING AT MY DOOR (1967) avec déjà Harvey Keitel, et BOXCAR BERTHA (1972). Au début de 1970, Scorsese s’installe à Hollywood, où il trouve un emploi de monteur à la Warner. Il commence à réaliser LES TUEURS DE LA LUNE DE MIEL, mais ce fait virer du plateau, et revient au montage, avec le documentaire-fleuve WOODSTOCK, ou avec Cassavetes. Il rencontre le pape de la série B, ou Z, Roger Corman.

Corman lui propose de réaliser BOXCAR BERTHA, sur un scénario narrant l’histoire réelle de deux pilleurs de train, dans l’Amérique de la Grande Dépression. Un genre de BONNIE AND CLYDE (Arthur Penn, 1968), auquel on pense souvent. Scorsese remanie à peine le scénario, mais dessine tout le story board, jusqu’au moindre plan de coupe. Son expérience du montage lui permet de tout prévoir, anticiper, ce qui l’aidera à boucler le film dans les délais impartis ; un exploit pour Scorsese.

Le générique est en noir et blanc, exercice de style pur, à la Eisenstein, suppression d’images de voies ferrées, qui rappelle aussi le Buster Keaton du CAMERAMAN, et le visage des acteurs en médaillon. Un effet assez rétro, qui rappelle l’univers de BUTCH CASSIDY ET LE KID, auquel on pense aussi, notamment avec le trio de héros, et les attaques de trains.  

Ce qui étonne d’abord, c’est le décor, rural, peu filmé ensuite chez Scorsese, qui préfèrera la ville. Le film commence à la campagne, avec un Noir qui joue le blues sur son harmonica. L'héroïne, Bertha Thompson, voit son père mourir dans un accident du travail. Sa fibre syndicale s’anime et elle rencontre Bill Shelly, un leader Rouge, activement recherché. S’en suivent un tas d’aventures, le couple voyageant clandestinement, en train. Ils sont amants très vite (5 minutes après…) car comme l’explique Scorsese, à cette époque, dans les films dits d’exploitation, il fallait une scène de nu, ou mieux, de cul, tous les quarts d’heure ! C’est surprenant de voir ça chez Scorsese, qui ensuite aura une vision très rigoriste du sexe !

Bertha est jouée par Barbara Hershey (très belle carrière d’actrice) qui est tout à fait charmante, fraiche, qu’on en tombe amoureux avant la fin de la première bobine ! Une jeune femme libre, engagée, qui choisit ses amants, très connotée génération hippie. Dans une scène, elle a une couverture sur les épaules, et avec ses robes et ses cheveux longs, on croit voir la fille sur l’affiche de WOODSTOCK. Plus tard, habillée de rouge, couverte de bijoux (elle dévalise des bourgeois…) des plumes dans les cheveux, c’est Janis Joplin, sur PEARL… Scorsese et le rock, une longue histoire ! Le film est déjà un juke-box de Folk, Country, Country-Blues, de Rock.

Le couple commence une carrière de braqueurs, et Scorsese tourne cela comme un récit picaresque, presque burlesque dans les poursuites en voiture. Plusieurs hold-up de train sont traités en mode comédie (quand Morton déguisé en serveur tend un plateau aux passagers pour qu’ils y déposent fric et bijoux !), et renvoient aussi au western, genre que le cinéphile Scorsese affectionne. Un mélange de genres surprenant, mais pas toujours maîtrisé. La bande s’étoffe de Rake Brown, un tricheur aux cartes, et Von Morton, l’harmoniste Noir. Ils sont pourchassés par la police, et une milice des chemins de fers qui casse du syndicaliste, et dézingue les cocos.
  
BOXCAR BERTHA est un film assez violent, et on sait que cela caractérisera le style de Scorsese. Comme cette scène en prison, où le gardien engueule Von Morton qui joue un gospel : « hey, négro, si tu tiens à jouer un truc, joue Dixie… ». Et voyant Von Morton et Bill Shelly se serrer la main, le shérif demande qu’on lui montre comment on traite le blanc qui apprécie les nègres, par ici… Ca tourne à l’émeute, puis au carnage.

fils à papa
On pense à plein de films, devant celui-ci, aussi bien IL ÉTAIT UNE FOIS DANS L'OUEST, le thème du chemin de fer, ou OLD BROTHERS des frères Coen, LES RAISINS DE LA COLÈRE, ou LE MÉCANO DE LA GÉNÉRAL ! Il y a de formidables moments, et puis des trucs un peu ratés, comme ce travelling arrière dans un long couloir d’usine, avec ces plans de coupes sur le soleil à chaque fois qu’on passe devant une fenêtre. On sent vraiment le jeune metteur en scène essayer plein de trucs, parfois ça marche, parfois moins. Mais quand on sait la maitrise dont Scorsese fera preuve trois ans plus tard, c’est passionnant à regarder.

Bill et Bertha se perdent de vue. Lui au bagne (pour la énième fois) elle dans un bordel. Pour gagner sa vie. Le temps passe. Bertha retrouve au hasard Von Morton, et son harmonica, dans une boite pour Noirs. La petite femme blanche, habillée en dimanche, y fait grande impression lorsqu’elle étreint Von, si heureuse de le revoir. Il l’a conduit vers Bill, fatigué, vieilli aussi, qui vit dans une cabane à l’écart.

Une dernière séquence scorsesienne au possible, et pourtant, elle figurait dans le script original. Scorsese y déploie les grands moyens, entre une crucifixion (eh oui !) et une fusillade dantesque, où devrais-je dire peckinpesque ?! Et un travelling en plongée depuis le toit d’un wagon, étonnant point de vue, qui clôt le film de belle manière. Le film est monté par Scorsese bien sûr, mais non crédité au générique car il n’appartenait pas au syndicat des monteurs ! On trouve un cinéma inventif, du montage classique, cut, ou plus anarchique, à la manière de la Nouvelle Vague, plusieurs scènes étant filmées à l’épaule. L’image est très travaillée, Scorsese a eu recours aux équipes de Corman, des techniciens expérimentés qui travaillent rapidement, et Scorsese les gardera d’ailleurs pour MEAN STREETS

Au côté de Barbara Hershey, qui est formidable, on trouve David Caradine, futur Petite Libellule dans KONG FU, et vu dans KILL BILL. Et il y a aussi son père, John Caradine, qui joue le méchant directeur de la compagnie de train, Barry Primus, qui fera pas mal de feuilletons ensuite, et Victor Argo, qui lui a baladé sa trogne de gangsters partout où il y avait besoin d’un tueur !
  
Bon alors évidemment, ce n’est pas TAXI DRIVER ou LES AFFRANCHIS, et Caradine n'est pas de Niro. Mais si on devine le manque de moyen parfois, des raccords un peu curieux (un joli plan de main, sur la fin, très beau, mais qui ne raccorde pas !) il y a surtout une indéniable envie de faire du cinéma, de raconter une histoire pleine de rebondissements, d’action, sur un ton décalé. On passe de la comédie au tragique, on sent un Scorsese enthousiaste chercher un peu dans toutes les directions. Le plus important étant qu’il ait finalement trouvé la sienne.    

BOXCAR BERTHA (1972)
couleurs  -  1h30  -  format 1:85

  
La bande annonce, mais sans sous-titre (désolé...)

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