On a coutume de citer MEAN STREETS
(1973) comme premier film de Martin Scorsese. C’est certainement celui où son
univers se met en place, mais avant cela il y avait eu deux réalisations. Son
film de fin d’étude, WHO’S KNOCKING AT MY DOOR (1967) avec déjà Harvey Keitel, et
BOXCAR BERTHA (1972). Au début de 1970, Scorsese s’installe à Hollywood, où il
trouve un emploi de monteur à la Warner. Il commence à réaliser LES TUEURS DE LA LUNE DE MIEL,
mais ce fait virer du plateau, et revient au montage, avec le documentaire-fleuve WOODSTOCK, ou avec Cassavetes. Il rencontre le pape de la série B, ou Z,
Roger Corman.
Corman lui propose de réaliser BOXCAR
BERTHA, sur un scénario narrant l’histoire réelle de deux pilleurs de train,
dans l’Amérique de la Grande Dépression. Un genre de BONNIE AND CLYDE (Arthur Penn,
1968), auquel on pense souvent. Scorsese remanie à peine le scénario, mais
dessine tout le story board, jusqu’au moindre plan de coupe. Son expérience du montage lui permet de tout prévoir, anticiper, ce qui l’aidera
à boucler le film dans les délais impartis ; un exploit pour Scorsese.
Le générique est en noir et
blanc, exercice de style pur, à la Eisenstein, suppression d’images de voies
ferrées, qui rappelle aussi le Buster Keaton du CAMERAMAN, et le visage des acteurs en
médaillon. Un effet assez rétro, qui rappelle l’univers de BUTCH CASSIDY ET LE
KID, auquel on pense aussi, notamment avec le trio de héros, et les attaques de trains.
Ce qui étonne d’abord, c’est le
décor, rural, peu filmé ensuite chez Scorsese, qui préfèrera la ville. Le film
commence à la campagne, avec un Noir qui joue le blues sur son harmonica. L'héroïne, Bertha Thompson, voit son père mourir dans un accident du travail. Sa fibre syndicale s’anime et elle rencontre Bill Shelly, un
leader Rouge, activement recherché. S’en suivent un tas d’aventures, le couple
voyageant clandestinement, en train. Ils sont amants très vite (5 minutes après…)
car comme l’explique Scorsese, à cette époque, dans les films dits d’exploitation,
il fallait une scène de nu, ou mieux, de cul, tous les
quarts d’heure ! C’est surprenant de voir ça chez Scorsese, qui ensuite
aura une vision très rigoriste du sexe !
Bertha est jouée par Barbara Hershey (très belle carrière d’actrice) qui est tout à fait charmante, fraiche, qu’on en tombe amoureux avant la fin de la première bobine ! Une jeune femme libre, engagée, qui choisit ses amants, très connotée génération hippie. Dans une scène, elle a une couverture sur les épaules, et avec ses robes et ses cheveux longs, on croit voir la fille sur l’affiche de WOODSTOCK. Plus tard, habillée de rouge, couverte de bijoux (elle dévalise des bourgeois…) des plumes dans les cheveux, c’est Janis Joplin, sur PEARL… Scorsese et le rock, une longue histoire ! Le film est déjà un juke-box de Folk, Country, Country-Blues, de Rock.
Le couple commence une
carrière de braqueurs, et Scorsese tourne cela comme un récit picaresque,
presque burlesque dans les poursuites en voiture. Plusieurs hold-up de train
sont traités en mode comédie (quand Morton déguisé en serveur tend un plateau
aux passagers pour qu’ils y déposent fric et bijoux !), et renvoient aussi
au western, genre que le cinéphile Scorsese affectionne. Un mélange de genres surprenant,
mais pas toujours maîtrisé. La bande s’étoffe de Rake Brown, un tricheur aux
cartes, et Von Morton, l’harmoniste Noir. Ils sont
pourchassés par la police, et une milice des chemins de fers qui casse du
syndicaliste, et dézingue les cocos.
BOXCAR BERTHA est un film assez
violent, et on sait que cela caractérisera le style de Scorsese. Comme cette
scène en prison, où le gardien engueule Von Morton qui joue un gospel : « hey,
négro, si tu tiens à jouer un truc, joue Dixie… ». Et voyant Von Morton et
Bill Shelly se serrer la main, le shérif demande qu’on lui montre comment on
traite le blanc qui apprécie les nègres, par ici… Ca tourne à l’émeute, puis au
carnage.
fils à papa |
Bill et Bertha se perdent de vue. Lui au bagne (pour la énième fois) elle dans un bordel. Pour gagner sa vie. Le temps passe. Bertha retrouve au hasard Von Morton, et son harmonica, dans une boite pour Noirs. La petite femme blanche, habillée en dimanche, y fait grande impression lorsqu’elle étreint Von, si heureuse de le revoir. Il l’a conduit vers Bill, fatigué, vieilli aussi, qui vit dans une cabane à l’écart.
Une dernière séquence scorsesienne au possible, et pourtant, elle figurait dans le script original. Scorsese y déploie les grands moyens, entre une crucifixion (eh oui !) et une fusillade dantesque, où devrais-je dire peckinpesque ?! Et un
travelling en plongée depuis le toit d’un wagon, étonnant point de vue, qui clôt
le film de belle manière. Le film est monté par Scorsese bien sûr, mais non
crédité au générique car il n’appartenait pas au syndicat des monteurs ! On trouve un
cinéma inventif, du montage classique, cut, ou plus anarchique, à la manière de
la Nouvelle Vague, plusieurs scènes étant filmées à l’épaule. L’image est
très travaillée, Scorsese a eu recours aux équipes de Corman, des techniciens
expérimentés qui travaillent rapidement, et Scorsese les gardera d’ailleurs
pour MEAN STREETS.
Au côté de Barbara Hershey, qui
est formidable, on trouve David Caradine, futur Petite Libellule dans KONG FU,
et vu dans KILL BILL. Et il y a aussi son père, John Caradine, qui joue le
méchant directeur de la compagnie de train, Barry Primus, qui fera pas mal
de feuilletons ensuite, et Victor Argo, qui lui a baladé sa trogne de gangsters
partout où il y avait besoin d’un tueur !
Bon alors évidemment, ce n’est
pas TAXI DRIVER ou LES AFFRANCHIS, et Caradine n'est pas de Niro. Mais si on devine le manque de moyen
parfois, des raccords un peu curieux (un joli plan de main, sur la fin, très
beau, mais qui ne raccorde pas !) il y a surtout une indéniable envie de
faire du cinéma, de raconter une histoire pleine de rebondissements, d’action, sur
un ton décalé. On passe de la comédie au tragique, on sent un Scorsese enthousiaste
chercher un peu dans toutes les directions. Le plus important étant qu’il ait
finalement trouvé la sienne.
BOXCAR BERTHA (1972)
couleurs - 1h30 - format 1:85
La bande annonce, mais sans sous-titre (désolé...)
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