mercredi 18 mars 2015

Eric BIBB "Blues People" (4/11/2014), by Bruno



« … Enregistrer de jolies chansons est gratifiant, mais dans le contexte actuel, une telle démarche me paraît frivole. J'ai envie d'écrire un nouveau chapitre de nos relations avec notre histoire, de changer les choses avant qu'il ne soit trop tard » dixit Eric Bibb.



     C'est dans cet état d'esprit que mister Eric Bibb a réalisé cet album, inspiré également par l'ouvrage « le Peuple du Blues» de LeRoi Jones (aka Amiri Baraka), qui fait la relation entre l'éclosion de cette musique et « la naissance des Noirs américains », ainsi que son évolution. 

     Comme stipulé dans un livret soigné (en anglais et français - comme quoi certains se donnent la peine de faire les choses biens -), son but est de relever certains aspects de l'histoire des Afro-américains ; plus particulièrement ceux du peuple du blues « originel », afin de rappeler – à tous – la source de cette musique, aujourd'hui internationale. Et par là même, rappeler le chemin parcouru par ce peuple pour ses droits civiques, et que le rêve, le but de Martin Luther King (dont Eric fait référence dans plusieurs de ses compositions) n'est toujours pas atteint. Hélas, l'actualité récente des Etats-Unis corrobore ses dires.
À ce titre, spécifions que les chansons contestataires dans le Blues ont toujours existées, bien que plus généralement dans un langage codé, afin d'éviter la censure, ou pire, l’opprobre des autorités (avec toutes conséquences qui pouvaient suivre pour une personne qui ne pouvait prétendre être égal en droit avec un "américain pure souche" au teint plus clair). Bibb parle même d'une contestation subliminale.

     Certains ne savent exprimer leur colère qu'à travers des décibels assourdissants, des intonations méprisantes ou haineuses, des vociférations qui entraînent une agressivité des sens jusqu'à les annihiler, enrayant alors toutes réflexions. L'auditeur n'est plus vraiment un être de pensées mais juste un récepteur qui ne peut alors que renvoyer en échange le mépris, la rancœur et la haine que l'on lui a injectés auditivement.
Eric Bibb, lui, manifeste sa ire et sa rancœur l'aide de vrai chansons, plaisantes à écouter, dans une démarche alors de non-violence et de paix. C'est de cette façon que le message passe le mieux, et qu'il peut atteindre le plus grand nombre de personnes, même les plus hermétiques à toutes formes de militantisme.


     Ainsi, pour des paroles fortes, des sujets sérieux, et afin que le message puisse s'épanouir, prendre de l'ampleur et s'imprimer dans les esprits, il a fallu créer un bel écrin pour séduire l'auditeur. Pour cela, Bibb a fait appel à quelques amis, tout en évitant de faire un pur disque de duos comme il en pullule actuellement. Neuf pièces sur quinze comptent des invités (60 %).

     Dans les temps forts on retiendra le country-blues « Silver Spoon » illuminé par les chorus déchirant qui servent de toile de fonds, et joués par un Popa Chubby plutôt sobre (le contraste entre l'électrique et l'acoustique permet de créer un climat crépusculaire); « I Heard the Angels Singin' » réunissant J.J. Milteau et les Blind Boys of Alabama (même si ces derniers sont un peu en pilotage automatique) ; le Funky-Blues aux extraits de Soul, « Dream Catchers », porté par une basse vibrante sur laquelle se repose une wah-wah languissante, et surtout les voix puissantes de Ruthie Foster et d'Harrison Kennedy ; le très Soul-pop et printanier « Chain Reaction » avec Glen Scott (par ailleurs producteur, claviériste, bassiste, batteur et choriste) qui, dans un élan très fédérateur, chante avec une intonation chargé d'espérance ; « Remember the Ones » qui résonne comme une covers des Staple-Singers, avec Linda Tillery  ; « Chocolate Man » de, et avec, Guy Davis, dans un Country-blues qui devrait ravir Taj Mahal ; et les deux fabuleuses pièces de Country-blues velouté, « Driftin' Door to Door » et « Turner Station ».
Les amateurs de World-blues et/ou de Blues-africain se régaleront avec « Home » avec André De Lange.
Il y a aussi le poignant et dramatique « Rosewood », bien que grévé par certains mouvements de violons larmoyants. Cette chanson narre l’ignominieuse histoire qui a eut lieu dans cette bourgade d'une communauté noire, en Floride du 1er au 7 janvier 1923, où il y eut des maisons incendiées et des hommes tués. Eric semble d'ailleurs chanter comme s'il avait le poids de l'horreur sur ses épaules. Cela, sans en faire des tonnes (mais ces violons étaient-ils absolument nécessaires ?)


     Dans l'ensemble, la musique est fort bonne (le contraire aurait été étonnant), même si 
quelques chansons, une bien faible minorité, ne semblent pas totalement à leur place.
Toutefois, dans l'ensemble, ce "Blues People" pèche par un côté trop policé, trop propre, trop paisible. Un peu de ferveur aurait été bienvenue, ou un chant déclamatoire comme savait si bien le faire un des maîtres d'Eric Bibb, Taj Mahal (présent sur le printanier "Needed Time").
Dommage que pour des sujets aussi sérieux et intéressants, il n'y ait pas vraiment de titres marquants, de chansons riches d'un refrain entêtant ou fédérateur, ou magnifiées par une guitare chargée d'émotion à fleur de peau. Le disque défile tranquillement, certes agréablement, mais sans jamais vraiment éveiller une attention particulière. C'est parfois à se demander si, en l'absence d'invités, le disque n'aurait pas été emprunt d'une certaine monotonie. Pourtant, tout au long de sa carrière, Bibb nous a habitué à mieux. Probablement que, afin de préserver la gravité du thème abordé, il a préféré cultiver le recueillement et la sobriété. Évitant sciemment pas les rythmes enlevés ou guillerets par respect.


     Il y a tellement de disques de duo qui sortent de toutes parts depuis quelques années, que l'on se demande s'il s'agit de projets spontanés, de désir de l'artiste, ou plutôt d'un plan marketing que les labels utilisent sans vergogne. Une stratégie pour pallier à un défaut d'inspiration de leur « protégé », ou encore pour le sortir du creux de la vague. Surtout, que bien généralement, la matière de tous ces duos n'est constituée que de reprises, avec éventuellement quelques trucs perso, afin de jouer sur plusieurs tableaux. Notamment d'attirer autant le chaland lambda, qui n'est pas trop au fait de l'artiste, ni du répertoire, qui devrait être alléché par au moins un nom prestigieux de l'affiche, que celui atteint de collectionnite aiguë, du genre à se ruer sur le moindre inédit. 
Des projets qui finalement manquent souvent de consistance, de magie ; au point où, passé l'excitation de l'affiche aguichante, finissent par être rapidement oubliés. On se souvient bien du disque et de la plupart des intervenants (et encore), mais bien plus difficilement de la musique, de la matière.
Est-ce que ce "Blues People" fait partie de la même catégorie ? Pas vraiment. D'autant plus que les compositions sont bien des œuvres personnelles.  A l'exception de "Chocolate" écrit par Guy Davis pour Bibb, "I Heard the Angels Singin'" du Reverend Gary Davis et "Chain Reaction" de Glen Scott * (aidé de Curtis Richa et James Bryan). Plus le traditionnel "Needed Time", ici réarrangé par Bibb, épaulé par Taj Mahal et Scott.
Disons qu'ici les invités sont surtout là pour donner de la force au discours, autant que pour soutenir le "combat-pacifiste" d'Eric Bibb.


(*) Glen Scott, arrangeur, producteur et multi-instrumentiste (ici producteur et claviériste), est plus connu pour son travail pour de nombreux artistes de R'n'B. Toutefois, depuis quelques années, sont attention s'est aussi tournée vers le Blues. Il travaille pour Eric Bibb depuis 2006.






Le clip ("Turner Station")

Bibb parle :


Autre article / Eric Bibb : "Deeper in Well" (2012)

2 commentaires:

  1. Déjà il a la classe, porter une veste avec 5 boutons de manchette c'est un signe.

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    1. Non, 4... pour 4/11... 2014... Trop Four (4). 4 pour Blues
      (N'importe kwak !)

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