- Poulenc ? Un composteur français M'sieur Claude ? L'un de vos chers
"oubliés" dont vous redorez le blason depuis l'an passé ?
- Oublié ? Non, pas vraiment Sonia, il a fait partie du groupe des 6
auprès de Milhaud, Honegger et les autres, un personnage excentrique, sa
production musicale aussi d'ailleurs…
- Heuuu, vous ne semblez pas être l'un de ses fans inconditionnels
M'sieur Claude…
- J'aime beaucoup ce disque qui est une compilation d'œuvres assez
connues des amateurs et réunissant d'immenses artistes des années 50-60,
mais c’est vrai, Poulenc n'est pas toujours ma tasse de thé...
- Un concerto pour clavecin au XXème siècle, il n'aurait pas 200 ans de
retard votre bonhomme ?
- Hi Hi, non c'est une œuvre sympa intitulée concerto champêtre… Quant au
clavecin pourquoi pas ? Manuel de Falla en a écrit un aussi à
l'époque…
XXXXX |
Pour forcer le trait, je pense qu'il existe quand même des "moyens maîtres" qui sans avoir révolutionné le langage musical ont écrit des partitions
de haute volée :
Roussel,
Magnard,
Milhaud
ou encore
Dukas,
Chausson…
Francis Poulenc
né en 1899 ne suivra pas la
voie habituelle des conservatoires.
Poulenc est un touche-à-tout doué qui deviendra de manière autodidacte un excellent pianiste et un compositeur habile .
Fils de Bourgeois aisés (Rhône-Poulenc), le jeune homme apprend le piano
avec sa mère. Son niveau social lui permet de faire des rencontres
motivantes dans les salons :
Claude Debussy,
Maurice Ravel, les deux génies les plus en vue en ce début du XXème siècle,
et aussi
Erik Satie
avec lequel on peut dire qu'il partagera le goût pour une certaine
excentricité. Il commence à composer.
Poulenc
aurait peut-être pu intégrer le conservatoire, si la composition de la
Rapsodie nègre, une mélodie chantée dans un charabia africain inventé pour l'occasion, et
mise en musique pour petit ensemble ne l'avait pas fait passer pour un
"rigolo" aux yeux des vielles barbes de la noble institution.
Ravel
s'amuse de cette imagination et
Stravinsky
adore cette rapsodie et prend en main l'apprenti compositeur de 18 ans
!
1920
: il rejoint le groupe des 6 :
Georges Auric,
Louis Durey,
Arthur Honegger,
Darius Milhaud,
Germaine
Tailleferre
et lui-même. Le credo du groupe : tourner le dos au romantisme une fois pour
toute, rejeter le wagnérisme, critiquer les nouveaux univers sonores qui
émergent en Europe, etc. Il sont bien gentils les potes de Cocteau de
dénigrer la tradition et toutes les recherches modernes et foisonnantes...
Hélas, pendant que
Debussy
(heuu… qui est mort en 1918),
Ravel
et son ami
Bartók
en Hongrie,
Schoenberg
à Vienne et
Stravinsky
révolutionnent l'écriture musicale, le groupe réchauffe du classicisme sans
réelle innovation… ni productions notables. Ils se définissaient eux-mêmes plutôt liés par la camaraderie que par un
courant esthétique...
Cela dit, il vaut mieux des belles musiques néo-classiques que du mauvais
sérialisme ! Poulenc
participe à la grande aventure des "ballets russes" de Serge Diaghilev avec
Les Biches
écrit en 1924.
Francis Poulenc
va rester un compositeur instinctif au style assez indéfini, et aux
compositions plus ou moins bienvenues. L'homme, homosexuel, est assez
tourmenté et extravagant. Sa pensée oscille entre un humour déjanté et une
la foi chrétienne sincère. Parfois, les deux se confondent comme dans le
concerto pour orgue. Il lègue des belles mélodies sur des poèmes d'Eluard, Cocteau,
Apollinaire… Également des
œuvres
orchestrales
et
instrumentales
qui échappent aux formes sonates classiques, malgré une écriture plutôt
simple et guère inventive. Il écrira un opéra sur un texte de
Georges Bernanos, qui se
maintient solidement au répertoire :
Dialogues des carmélites. Il meurt foudroyé par une crise cardiaque en
1963.
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Le double album EMI présenté
ce jour rassemble l'ensemble des œuvres concertantes de
Poulenc. Plus encore, se trouvent ici réunis des interprètes historiques de
premier plan dans des gravures réalisées du vivant de
Poulenc
(fin des années 50, début 60). Nous ferons l'impasse sur les
concertos pour un ou deux pianos, ouvrages certes divertissants mais qui ne reflètent guère l'originalité
de la musique du compositeur. Place au
concerto pour orgue, timbales et cordes
et au
concerto champêtre pour clavecin. Et nous écouterons aussi l'amusant ballet
Les Biches, l'une des rares pièces symphoniques de
Poulenc.
Je me dois de parler de
Georges Prêtre
avant toute chose.
Georges prêtre, à 90 ans et en forme, est une légende de la direction d'orchestre
française. Sa carrière s'est déroulée essentiellement à l'étranger et
surtout en Autriche ! Il a même dirigé deux fois le concert du nouvel an
avec la
Philharmonie de Vienne
en 2008 et
2010 (83 et 85 ans). Je
rappelle que c'est l'orchestre qui choisit son chef pour cet évènement
médiatique et planétaire ! Pour les connaisseurs, c'est
Georges Prêtre
qui accompagne la
Callas
dans l'enregistrement stéréo de
Carmen
gravé en 1964. Hélas la France
n'a pas su garder un artiste de la trempe d'un
Munch
ou d'un
Monteux. Directeur de l'opéra Garnier à Paris, il "craque" face au manque
d'engagement des musiciens qui arrivent en retard, voire jamais aux
répétitions, regardent leurs montres en soupirant. Pour ce chef, être
musicien d'un tel ensemble doit être une vocation, pas une sinécure comme
celle du poinçonneur des Lilas. Il claque la porte pour Londres et Vienne,
revient à Paris en 1970. Rien
n'a changé… il repart au bout d'un an et ne réapparaîtra qu'en
1989 pour inaugurer l'Opéra
Bastille à la demande de
François Mitterand. Honneur
trop tardif pour ce viennois d'adoption. Il était l'interprète favori de
Poulenc. On reparlera de ce virtuose du pupitre…
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Orgue de Saint-Étienne-du-Mont (Marc Perbal) |
Depuis la fin du baroque tardif (Haendel,
Arne), l'orgue et l'orchestre ne font pas bon ménage. Certains compositeurs
utilisent les grands orgues romantiques pour appuyer d'effets emphatiques
les codas de grandes pages symphoniques :
Saint-Saëns et son épaisse conclusion de la
symphonie pour orgue,
Liszt
et
Tchaïkovski
à la fin de la
Faust symphonie
ou de
Manfred (Clic). Les symphonies pour orgue, elles, connaissent une période plus heureuse
avec
Vierne
et
Widor. Entre 1934 et 1938,
Poulenc
entreprend de revenir à la forme classique en donnant la place de soliste à
l'orgue et en faisant dialoguer l'instrument avec un orchestre réduit aux
cordes et aux timbales… C'est une commande de la
princesse de Polignac
(excentrique, lesbienne pratiquante, héritière des machines à coudre Singer,
mais surtout mécène… Tout le petit monde de
Poulenc
à elle seule).
L'ouvrage est créé en 1939 par
Maurice Duruflé, organiste et composteur de grande renommée (son requiem sera un sujet de
chronique) et
Roger Desormières
à la baguette. C'est
Duruflé
que l'on retrouve ici à la console de SON orgue de l'église Saint-Étienne-du-Mont à deux pas du Panthéon et, bien entendu, la direction est assurée par
Georges Prêtre. L’œuvre inventive et concise comprend 6 mouvements enchaînés et dure une
vingtaine de minutes. Nous sommes en
1961.
L'orgue attaque par deux accords puissants en plein jeu avant de dérouler
une mystique péroraison accompagnée par une lugubre timbale. Deux traits des
cordes plaintifs, un univers bien sombre de Te Deum pour un concerto !! À
bien écouter cette introduction, on discerne une ironie parodiant l'écriture
sulpicienne trop souvent de mise dans les œuvres religieuses. Ça jette
jusqu'à la 3ème minute, à la transition andante - allegro.
Changement complet de décor quand
Poulenc
diverge vers une aventureuse course poursuite entre les cordes et les
accords de l'orgue. En quelques mesures,
Poulenc
a montré ce souci de faire cohabiter ses préoccupations religieuses et une
inspiration plus libre, voire épique et amusante.
Maurice Duruflé
n'écrase pas le discours avec son instrument et, de son côté,
Georges prêtre
avec sa direction à la fois musclée et limpide souligne le climat de
fantaisie dissimulée dans la partie de cordes. C'est bluffant de drôlerie et
d'insolence dans un lieu ecclésiastique… Profane mais en rien profanateur !
Le son est bien équilibré, le spectre de l'orgue très large (Ah ! l'époque
de l'analogique !)
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Née en 1879, la pianiste
polonaise
Wanda Landowska
connaît un parcours classique jusqu'au début du XXème siècle,
époque où elle s'interroge sur la pertinence de jouer la musique baroque
pour clavier sur un piano. Peu de clavecins historiques en bon état
existent. Elle en fait fabriquer par Pleyel de nouveaux, plus robustes. Le
clavecin sort du musée et va redevenir le clavier baroque par excellence
jusqu'à la mort de l'artiste en
1959
aux USA où elle a dû fuir le nazisme.
Le regain d'intérêt pour la sonorité de l'instrument va conduire
Manuel de Falla
et
Francis Poulenc
à composer deux concertos pour le clavecin. Celui de
Poulenc date de 1929 et sera créé par
Wanda Landowska
accompagnée par
Pierre Monteux. C'est
Aimée Van de Wiele, l'une de ses élèves, et
Pierre Dervaux
(1917-1992) qui l'interprète pour ce disque mono de
1957. Cela permet d'entendre le
jeu de clavecin métallique et dru qui était à la mode en ces temps de
redécouverte. Évidemment, les baroqueux se sont gaussés de ce style pour
interpréter
Bach
ou
Scarlatti. C'est facile de critiquer quand on ramasse le fruit du travail des
autres… grrrr !
Wanda Landowska
avait fait découvrir les compositeurs des XVIIème et XVIIIème
siècles à
Poulenc, et c'est assez naturellement que celui-ci va écrire son
concerto champêtre
en forme de concerto grosso en trois mouvements.
L'introduction rappelle tout à fait un chant pastoral avec ses notes
lointaines aux cors. L'entrée du clavecin me fait immédiatement penser à ses
musiques flippantes des films d'épouvante de La Hammer des années 50 : La
Fiancée de Dracula, Frankenstein contre Rockin'. (Même pas peur !).
Poulenc
s'amuse, fait virevolter les tempos d'allegro à andante sans transition.
L'orchestration est légère, le discours plein d'imprévus. Attention de ne
pas se méprendre,
Poulenc
ne joue pas la carte du néoclassicisme pure. La mélodie du clavecin prend
des airs acérés, on pense à
Stravinsky
ou
Bartók. Comme dans le
concerto pour orgue, des passages tantôt méditatifs tantôt burlesques s'opposent.
Poulenc
adorait la comédie et le cirque. L'interprétation de
Aimée Van de Wiele
accentue à merveille tous ces contrastes et son jeu staccato convient très
bien au style farfelu et ludique du concerto.
Pierre Dervaux met parfaitement en valeur l'orchestration loufoque et colorée de ce petit
bijou ciselé et féérique…
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Rideau de Scène de Marie Laurencin (1883-1956)
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Terminons dans la bonne humeur avec le ballet
Les biches
donné ici dans sa version intégrale en 9 parties. L'enregistrement de
1980 de
Georges prêtre
avec le
Philharmonia
bénéficie d'une plus-value sonore indéniable.
Poulenc
n'a pas 25 ans quand il écrit sa partition qui sera l'une des nouveautés
dansées à Monte-Carlo à
l'occasion du 25ème anniversaire des Ballets Russes de
Serge Diaghilev.
Poulenc
est séduit par ce projet au caractère libertin : des jeunes filles jouant
aux jeux de la séduction avec trois jeunes hommes athlétiques… Une reprise
modernisée du ballet
Les
Sylphides
de
Glazounov
qui utilisait des pièces de
Chopin
orchestrées pour les besoin de la cause…
Pourquoi les Biches ?
Poulenc
se serait inspiré d'un tableau de
Watteau illustrant le "parc des cerfs" où Louis XV batifolait avec
ses maîtresses à Versailles… Louis XV, comme tous les Bourbons était un
"chaud lapin".
La musique fait succéder danses et chansons dans un climat badin.
Libertinage et marivaudage sont au rendez-vous dans cette partition colorée
et allègre. Musique rythmée et voluptueuse qui assume sa parenté avec les
ballets de
Stravinski
par sa frénésie, mais qui reste néanmoins emprunte de légèreté, et sa
lascivité proche du
Prélude à l'après-midi
d'un faune de
Debussy.
Poulenc
montre qu'il est bien un compositeur de son temps par l'esprit gaillard de
son style. Il intercale - autre innovation dans ce type de ballet - de brefs
chœurs dans trois des tableaux. L'interprétation vivante de
Georges prêtre
fait toujours référence pour ce ballet qui, comme beaucoup des œuvres de cet
album reste un parent pauvre des discographies modernes, hélas.
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Vidéos
:
Le concerto pour orgue, timbales et cordes. Puis le
concerto champêtre
pour clavecin et orchestre. Enfin le ballet Les biches.
>
Belle oeuvre que le concerto pour orgue que je ne connaissais que par Jean Martinon et Marie-Claire Alain. Je ne connais pas les biches, j'aime beaucoup.. Le concert champetre est tout a fait dans la ligne de Poulenc a l'epoque ou il a écrit le bestiaire ( j'ai un enregistrement de cette oeuvre avec Claire Croiza, Mezzo-soprano et Francis Poulenc au piano qui date de 1928; Une réedition de 1977 bien sur !)
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