- Montrez-moi ce CD M'sieur Claude… Voyons : Messiaen, La Nativité et… Ah
de l'orgue joué par… Louis Thiry… La Nativité ? c'est de saison
!!
- Oui Sonia, je cherchais une idée pour les fêtes de Noël, d'où ce
commentaire sur un disque de musique plus spirituelle que
religieuse…
- Pourtant, un orgue fait immanquablement penser à une messe et à
l'église…
- Bien entendu mon petit ! Mais le génie de Messiaen est de dépasser le
style sulpicien de la messe du dimanche pour une expression plus
universelle…
- Le passage que j'entends est très doux et les sonorités de l'orgue un
peu mystérieuses, ça me rappelle Steve Wilson si cher à M'sieur
Vincent…
- Et à moi aussi Sonia… oui musique ésotérique, le rapprochement est
amusant mais censé… Tenez prenez un chocolat avant de sortir…
- Hummm Merchi Mchieur Claude…
Comme
Jean-Philippe Rameau
en début de mois, il y a des années que je réfléchis à mon premier article
sur
Olivier Messiaen. À noter que dans l'article sur le musicien baroque
(Clic), j'avais cité
Messiaen
comme l'un des cinq compositeurs que je considère comme les plus essentiels
à l'évolution de l'art musical en France. Initialement, je prévoyais un
article sur une vaste fresque orchestrale intitulée des
Canyons aux étoiles. Nous verrons cela plus tard.
La Nativité pour Orgue, l'un des cycles les plus travaillés du compositeur est, comme le dit
Sonia, de circonstance en cette période de Noël.
Il faudra plusieurs articles pour parcourir la biographie de
Messiaen. Bien que né en 1908, nous sommes face à une personnalité qui va
faire entrer la musique française dans le monde contemporain. Et bien que
disparu en 1992, c'est toujours
vrai, tant l'homme était visionnaire.
Messiaen
a bien entendu eu des maîtres et a subi des influences :
Debussy,
Ravel,
Dukas. Il est surdoué et ses brillantes études d'orgue et de composition lui
permettent de devenir, à seulement 22 ans, titulaire de l'Orgue de la
Trinité à Paris. Il va rapidement trouver son propre langage musical nourri
par une foi chrétienne profonde. Attention, quand je parle de foi chez
Messiaen, il ne s'agit aucunement de bigoterie ou bondieuserie.
Messiaen
va s'intéresser de très près aux spiritualités orientales, notamment
hindouistes, un intérêt qui le conduira à composer un autre chef d'œuvre
après la guerre :
La Turangalila Symphonie pour très grand orchestre, piano et onde Martenot. Le compositeur se
revendique catholique mais considère la spiritualité comme un don universel
quelque soit la religion qui la porte. J'y reviendrai plus tard… Prisonnier
des allemands en 1940-41, il rencontre trois camarades d'infortune jouant de
la clarinette, du violon et du violoncelle, lui-même trouve un piano dans le
stalag. Il réussit à composer et jouer avec ses trois amis
le quatuor pour la fin des temps, inspiré par des versets de l'Apocalypse de Jean, une œuvre qui ouvre
définitivement les portes de l'art contemporain.
Fasciné par le chant des oiseaux,
Olivier Messiaen
devient ornithologue et traduit en musique le chant de centaines d'oiseaux,
chants que l'on retrouve illustrant la quasi-totalité de ses ouvrages à son
retour de captivité en 1941.
Le catalogue de
Messiaen
est immense :
Musique symphonique,
œuvres
pour
piano
ou
orgues, un opéra :
Saint-François d'Assise
(4 heures et cinq ans de travail, créé par
Seiji Ozawa en 1983), un oratorio :
La Transfiguration, des ouvrages divers pour petits ensembles. Aucun déchet.
Messiaen
a été professeur d'harmonie et de composition au conservatoire de Paris dès
1942. Ses élèves ? La crème des compositeurs et artistes de notre
temps ; au hasard quelques noms :
Pierre Boulez, Pierre Henry, Marius Constant, Gilbert Amy, Paul Mefano,
Karlheinz Stockhausen, Iannis Xenakis, Michaël Levinas, Tristan Murail,
Kent Nagano, Betsy Jolas, etc.
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Louis Thiry |
Les organistes sont assez peu connus du grand public a contrario des
violonistes, pianistes, chanteurs et divas… Il est vrai que de se pointer
aux Victoires de la Musique avec un grand orgue n'est pas facile ni très
médiatique… Une exception
Pierre
Cochereau
qui possédait un orgue itinérant pour faire connaître cet instrument même
aux mécréants qui boudent les lieux de culte !!!
Louis Thiry
est natif de la région de Nancy où il est né en
1935. Il est non voyant. Il
fait de brillantes études qui le conduiront au conservatoire de Paris où il
obtiendra deux premiers prix : orgue et improvisation. Un organiste de
talent est toujours un brillant improvisateur par la fantaisie de timbres
sans limite que peut proposer l'instrument. Il va occuper des postes de
titulaires à Metz et à
Rouen et bien entendu enseigner
dans les conservatoires de ces villes.
Louis Thiry
est considéré comme l'un des rares spécialistes de
Messiaen. D'où le choix de cet enregistrement culte (hélas un peu difficile à
trouver). Son répertoire est très large car tout en jouant
Bach
et les compositeurs qui ont servi l'instrument, il a également remonté le
temps jusqu'à l'époque des
rois maudits et
Jeanne d'Arc, XIVème
et XVIème siècles dans un l'album intitulé
Ma fin est mon commencement
avec des œuvres de
Dufay,
Josquin
Desprez
et
Machaut. Oui l'orgue existait déjà à cette époque, on l'appelait
positif… Comme le montre
l'illustration de ces temps reculés, comme les Shadocks, il fallait pomper
en attendant la découverte de l'électricité…
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Le XIXème siècle a vu le facteur d'orgue
Cavaillé-Coll équiper les
grandes cathédrales françaises (et d'autres édifices religieux) d'orgues
d'une puissance et d'une richesse de registration inconnues de la période
baroque et classique. C'est
César
Franck
(1822-1890) qui va lancer un nouveau style
d'écriture
romantique pour ces gigantesques instruments. Des œuvres magistrales vont
voir le jour et faire trembler les nefs sans renier la poésie. J'avais
commenté la symphonie de
Charles-Marie Widor
(1844-1937) dans ce blog
(Clic).
Louis Vierne
(1870-1937) ou encore
Eugène Gigout
(1844-1925) vont également apporter leur contribution au répertoire issu de
l'école franckiste. L'inspiration mystique semble avoir déserté la
créativité au bénéfice d'œuvres plus profanes : Symphonies, Toccatas,
Préludes, Fugues, des formes qui ne sont pas sans rappeler
Bach.
Messiaen
pourrait être un héritier direct de ce patrimoine. Ça ne sera pas le cas.
L'homme est secret et ne méprise personne, ne critique pas les conceptions
en vogue. Il fait sienne une phrase de
Maeterlinck "La pensée ne
travaille que dans le silence". Le silence et le besoin de méditation qui
vont guider sa plume, il les trouve à la console de l'orgue de la Trinité ou
à Grenoble, près des montagnes… C'est là que va naître La Nativité (sans jeu
de mot), une révolution musicale.
Au déchainement sonore qu'autorisent les grandes orgues,
Messiaen
revient à un style épuré, proche du chant grégorien, du plain-chant de la
Renaissance, voire du mode tonale hindou. L'ouvrage d'Alain Perier que j'ai sous les yeux précise les découvertes et inventions de solfège qui
portent le langage à la fois théologique et lumineux de
La Nativité. Je n'ai rien compris, ou pas grand-chose, donc je ne joue pas les
savants. (Wikipédia a pompé mot pour mot les pages 35-37.) Ce que je peux
dire tout simplement, c'est que l'effet émotionnel obtenu est du domaine du
cosmique sous réserve que l'on apprécie les musiques méditatives. On dit
"planantes" de nos jours… Embarquer dans l'écoute de l'œuvre confine à un
voyage astral, à reposer les paupières pour toutefois profiter des couleurs
chamarrées des vitraux.
xxxxxxx xxxxx |
La partition est terminée en
1935. Messiaen la joue pour
lui-même sur l'orgue de la Trinité, puis confie la création publique en
1936 à trois organistes réputés
:
Daniel Lesur,
Jean Langlais
et
Jean-Jacques Grünenwald. Chacun joua un groupe de 3 "méditations" sur les 9 que comporte
l'œuvre.
1 - La Vierge et l'Enfant | 2 - Les Bergers |
3 - Desseins éternels | 4 - Le Verbe |
5 - Les Enfants de Dieu | 6 - Les Anges |
7 - Jésus accepte la souffrance | 8 - Les Mages |
9 - Dieu parmi nous |
La musique de
Messiaen
repose sur la réflexion intime et sur la contemplation intérieure, et par
conséquent ne se prête guère aux commentaires usuels d'une œuvre
instrumentale à programme.
Messiaen
ne souhaite pas décrire une crèche avec un nouveau-né entouré de santons,
d'un bœuf, d'un âne… une imagerie d'Épinal sympathique mais infantile. Pour
s'imprégner de la spiritualité qui survole cette musique, il est bon de
citer l'évangéliste Saint-Jean : "Et le Verbe s'est fait chair" (§1-14). L'enfantement du Messie en ce jour de la Nativité représente
pour
Messiaen
la concrétisation des prophéties bibliques (pièces 1, 3, 4 & 5), mais
aussi l'annonce du sacrifice de la passion et de la crucifixion à venir
(pièces 7 & 9). Le compositeur inclut des passages moins abstraits pour
rappeler que la Nativité est avant tout un jour de fête. Il ne fait pas
intervenir des personnages surgis de la culture populaire mais uniquement
ceux cités dans les Évangiles : anges, bergers, rois mages (pièces 2, 6
& 8).
Parlons du disque. Le vocabulaire concernant le choix des jeux d'orgue est
très technique et rappelle les remarques savantes de Bruno à propos des
guitares électriques. Passons. Louis Thiry a gravé ce disque sur une période
de 10 nuits. La nuit, tous les sons parasites, intérieurs et extérieurs
disparaissent (d'après le livret, le bedeau imbibé de Whisky ronflait toue la journée.
Très gênant… Philou sort de ce corps).
Louis Thiry
a choisi l'orgue Metzler de la Cathédrale Saint-Pierre de Genève. Nous sommes en
1972, à l'apogée des prises de
son analogiques. Pour éviter les échos et réverbérations,
Georges Kisselhoff, l'ingénieur
du son, passe des heures à régler ses micros en fonction des registres
choisis par
Thiry. Le travail sera récompensé par des critiques qui placent cet
enregistrement comme un must de l'histoire du disque.
Bien que le jeune
Messiaen
n'ait que 27 ans, tout son univers enchanteur est présent. L'introduction de
la pièce N° 1 - La Vierge et l'Enfant
se déploie dans des registres cristallins. Des arpèges fugaces zèbrent une
litanie diaphane. Le tempo lent incite à l'introspection. Suit un motif
central très rythmé présentant deux lignes de chants. La ligne rythmique
suggère un hymne de reconnaissance, l'autre une prière d'admiration. La
pièce se conclut par de nouveaux arpèges dans l'extrême aigu bien en accord
avec la représentation de la lumière céleste chère à Messiaen, lumière d'un vitrail ou illumination surnaturelle. Cinq minutes d'amour
maternelle. Le jeu de Louis Thiry
est d'une précision inouïe. La frontière entre le legato et le staccato dans
la musique de
Messiaen
est d'une grande difficulté d'exécution. La légèreté du propos impose le
rejet absolu de toute fioriture ou résonance. La prise de son permet de
baigner dans des sonorités aériennes qui semblent surgir du néant, du
silence de l'espace. Il y a un coté sidérale dans cette réalisation. Il n'y
a jamais de confusion dans les timbres des différents registres. Inutile de
décortiquer les autres pièces, tout a déjà été précisé en analysant les cinq
minutes de ce prologue. On pourra s’attarder cependant sur la pièce N° 4 - Le Verbe
plus développée et expansive, évoquant la proclamation des Écritures : de
l'annonciation aux présages enflammés et courroucés des prophètes comme
Ézéchiel. Même remarque pour la
pièce N° 8 - Les Mages
qui permet de confirmer l'attirance de
Messiaen pour les marches rythmées, souvent inspirées du folklore oriental. Le
final
N° 9 - Dieu parmi nous
redonne au jeu de l'orgue une majestueuse puissance, une folie de
contrastes dans les couleurs, les cris de réjouissance de la multitude
dirait un mystique...
Le choix de l'orgue Metzler de
Genève est plus que judicieux. Construit en 1965, il comporte 67 jeux et
surtout 4 claviers à traction manuelle. De nos jours les mécanismes
sont électrifiés. Un clavier manuel permet une grande réactivité dans la
succession des notes, un atout dans cette musique toute en subtilité. Niveau
gravure, sur du matériel audiophile, l'extrême grave de l'instrument est
profond, jamais "pneumatique".
On peut trouver l'ouvrage un peu long (1 heure) et parfois d'une
inspiration répétitive.
Messiaen
lui-même espérait gagner en concision et en profondeur par la suite. Il le
fera, mais l'inventivité moderniste de
la Nativité
explique pourquoi j'avais classé ce compositeur dans la courte liste des
musiciens majeurs qui ont révolutionné la musique française et même au-delà
de nos frontières hexagonales…
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La Nativité
interprétée par
Louis Thiry. À droite une photo de l'orgue de Genève.
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