mercredi 15 octobre 2014

Ted NUGENT« Shut Up & Jam ! » (2014), by Bruno



     On avait, il y a peu, parlé du premier opus solo d'un des fadas de Detroit, en l'occurrence mister Ted Nugent. On devait logiquement faire un petit papier sur les suivants, car l'ostrogoth a tout de même réalisé de belles galettes de Heavy-rock énervé de 1975 à 1981, avant de s'enliser en essayant de coller aux nouvelles données du Rock US mainstream des années 80, tout en faisant les yeux doux à la radio et la chaîne MTV émergente et en s'auto-parodiant. Les « Free for All », « Cat Scratch Fever », « Gonzo », « Scream Dream » et « Intensities in Ten Cities » méritent leur place dans toutes les discothèques et ouvrages dédiés au petit monde musical du Rock Fort.
Néanmoins, on doit concéder qu'il y a encore quelques bonnes pièces sur « Penetrator » et « Little Miss Dangerous », même s'il est foncièrement évident que ses disques tentent de séduire les ondes.


     On brûlera aujourd'hui les étapes pour évoquer le petit dernier paru cet été, car le Nuge est revenu
aux fondamentaux. Du moins les siens.
Finis tous ses efforts pour fondre son Heavy-rock'n'roll dans l'univers d'un Heavy-Metal US avec force distortions boostées et notes sifflées façon Zakk Wylde (qui, de son côté, a bien dû également potasser son petit Nugent).
Nugent est même, depuis quelques temps, revenu à ses vieilles Gibson Byrdland. Ses bonnes vieilles caisses, qui étaient à l'origine confectionnées pour des musiciens de Jazz, ont participé à l'image singulière de cet escogriffe chevelu de la Motor City. (Des LesPaul du Custom Shop sont réservées pour les titres les plus durs et récents).

     Depuis quelques années,cet énergumène est plus connu pour ses prises de positions discutables et ses discours à l'emporte-pièce, fin comme du gros sel, que pour ses talents de musicien et de show-man. Toutefois, il semblerait que la profusion de critiques qu'il a reçu de toutes parts ces dernières temps, ont peut-être fini par l'inciter à se remettre en question. Dans une certaine mesure, car son égo est, disons, plutôt bien développé.
Il se serait même mis à nuancer ses propos et à expliquer un peu plus en détails la raison de ses prises de position, au lieu de se fendre d'une répartie stérile, digne d'un analphabète du Moyen-Âge, ou d'un couillon n'étant jamais sorti de son trou perdu du Deep-South, fier de sa bêtise et ignorant son inculture.
Peut-être sont-ce les menaces sérieuses sur sa personne et sa famille qui l'ont incité à se poser quelques questions ? Et a lui faire comprendre que, finalement, sa popularité (outre -atlantique) ne le mettait pas à l'abri de la vindicte populaire. 
 

    De plus, certaines critiques finirent par le blesser. Il y a notamment les menaces
 pesant sur sa famille et sa personne et surtout, le fait d'être traité de raciste. Ces critiques là ne sont pas passées. En tout cas, il conteste haut et fort les accusations de racisme. Selon ses dires, comment pourrait-il l'être quand les artistes qui, probablement les premiers, l'ont fait vibrer et inciter à prendre la guitare et à se jeter corps et âme dans le Rock'n'Roll sont plutôt colorés. Et cela avec à la clef des années de galères avant de rencontrer le succès. Comme il aime le rappeler sa musique prend sa source dans le Rock'n'Roll, en l'occurrence celui de Chuck Berry et de Bo Diddley (1), mais aussi dans le Blues (2), le Rythmn'n'Blues et même de la Soul (3). N'oublions pas que la scène musicale de Detroit a d'abord explosé avec la Soul, avant de se faire remarquer par le biais de groupes au services d'un Rock violent et fortement électrisé. Soit la musique créée par la communauté afro-américaine.

     Et puis, il semble avoir enfin compris que – malheureusement ? - quelles que soient ses convictions et ses arguments, on ne peut convaincre tout le monde. Il est vrai que le Nuge a toujours été un intarissable bavard au débit frénétique et au langage fleuri, certes non dépourvu d'humour, mais dont la prose peut offenser. Cela fait partie du personnage. Hélas, lorsqu'il s'attaque à la politique, ou aux problèmes de société, il se comporte comme un lourdaud à l'esprit étroit et arriéré. Malgré tout, cela ne l'empêche de faire une rechute de temps à autre, et de retomber dans ses travers qui ne semblent amuser que lui et l'américain moyen élevé à la Budweiser, au Fastfood et dont l'instruction se limite à celle dispensée généreusement par la télévision américaine et le cinéma hollywoodien.


     C'est, apparemment, plus ou moins conscient de ces faits qu'il a intitulé son nouvel album : « Shut Up & Jam ! ». Un nouveau leitmotiv qui va certainement remplacer son vieil "If it's too loud, you're too old". C'est donc non sans humour qu'il entame cette galette par cette pièce qui n'a pas inventé le fil à couper le beurre ; c'est tout simplement du Rock'n'Roll, du genre qui carbure à la nitroglycérine. 
« You say you heard it all, I believe had enough. Everybody's looking for a free of that political stuff. Right left good bad it all gets boring and old. The only hope for America is that good of Rock'n'Roll ! So, shutup & jam, you know who I am, you know where I stand, so shutup & jam ». Le Nuge souhaiterait-il faire la paix avec ses détracteurs par l'entremise du Rock'n'Roll ? Ou souhaite t-il que la musique soit un centre de non-agression ? Un moment où tous ce retrouvent et laissent de côté ses opinions pour communier ensemble grâce aux douces vibrations musicales ? Une résurgence de ses années Amboys Dukes, du temps des comparses John Drake et Steve Farmer ?

     Question poésie, Nugent n'a jamais fait dans la finesse, mais question guitares, il touche sa bille. Il possède l'art de pondre des riffs imparables et inoxydables (4). Et s'il nous avait fait douter avec tous ses albums passés qui n'étaient plus que la caricature de ses anciens exploits, il revient aujourd'hui avec un lot de Rock'n'Roll fiévreux, virils, franc-du-collier, entre la maîtrise d'un gros cube capricieux et la frénésie d'un cheval fou. Avec « Shutup & Jam !», Nugent retrouve avec bonheur ce qui avait fait son succès dans les années 70, et renoue avec l'esprit des « Nugent, « Free for All », « Catch Scratch Fever » et « Scream Dream ». Fait que laisse déjà présager la pochette, un brin narcissique (étonnant non ?), qui a un petit air de « Free for All » (avec, pour différence notable, que désormais le Nuge n'a plus l'âge pour sauter tel un zébulon sous caféine).
Ce n'est pas « Everything Matters », où l'on retrouve avec grand plaisir Derek St-Holmes au chant, qui pourrait contredire cet état, avec ce pur moment de Boogie Rock'n'Roll aux allures de classique, qui aurait pu être sur l'une des trois premières galettes du Nuge ; d'ailleurs, cette chanson n'est guère éloignée de ce bon vieux « Hey Baby » (écrit par Holmes justement). Un pur moment de Rock'n'Roll qui force l'incompréhension car la présence d'Holmes est limitée à ce seul titre. 
Sentiment de grand retour de Uncle Ted également avec « Fear itself » où l'on retrouve son aptitude naturelle à enfanter des riffs de pur Rock'n'Roll teigneux, sans faire abstraction d'un sens certain de la mélodie (bien que parfois naïf) ; une chanson qui n'est pas sans évoquer le Alice Cooper de "The Eyes of Alice Cooper" et "Dirty Diamonds". 

   Tout comme pour « She's Gone » où Sammy Hagar, en grande forme, vient pousser (ou beugler) la chansonnette (sur un texte qui tient sur une demi-douzaine de lignes, et le double en mots... quand les poètes de ce calibre se rencontrent...forcément, la beauté du texte est exponentielle). Une bonne tranche de Heavy-rock, bien dans le style des titres épiques du Red Rocker, bien que "She's Gone" ait bien plus des allures d'une jam entre potes avertis (avec un Sammy qui doit battre le record du nombre de "Gone" répétés dans une chanson). Les deux loustics sont de la même génération (un an de plus pour Sammy) et semblent sur la même longueur d'ondes avec leur duo digne d'une retrouvaille entre deux Cro-magnons en goguette. 

   Et voilà, « Never Stop Believing » qui déboule comme un joyeux Power-pop-punky-mélodico-rock nimbé d'intonations à la Alice Cooper et  qui confirme que le Motor City Madman a toujours des munitions dans sa besace. Qu'il peut toujours envoyer de belles bastos, non-létales mais bougrement efficientes, du genre à mettre tout le monde d'accord devant son évidente efficacité.
Et « I Still Believe », avec son intro trompeuse qui peut faire croire à une reprise boostée des Beatles, enfonce le clou. C'est le retour du dingo qui extériorisait son surplus d'énergie par de dangereux brûlots tels que « Paralysed », « Motor City Madhouse », "I Got the Feeling" et autres « Violent Love ».


   Le pataud et spirituel « I Love my BBQ », dont on espère sincèrement que les paroles sont du second, voire du troisième degré (« 
I love my BBQ, it's what Americans do... that tofu might kill you, it's protein that we seek, shit's gonna die. I love my BBQ, it's the Africans do... »), entame le creux de la vague. Pourtant, on peut se surprendre à fredonner ce refrain débile, et on finit par trouver cette chanson absurde plutôt sympathique. L'instrumental « Throttledown » est certainement le moins bons qu'il ait jamais composé. Sans aucun intérêt. « Do-Rags & A.45 » qui a bien des airs d'un « Dog eat Dog » légèrement accéléré et en plus hargneux, relève un niveau que « Screaming Eagles » ne parvient pas à tenir. Malgré son puissant riff Boogie-blues les doigts dans la prise, dans un style frénétique entre Hanoï-Rocks, D.A.D. et Guns'n'Roses, cela ne semble mener nulle part. Sur "Semper Fi",  Theodocious Atrocious s'essaye à nouveau au Heavy-funk, ce qu'il avait admirablement réussi en 1980 avec "Terminus Eldorado". Hélas, ici, avec ce chant mi-Rap, mi-éméché, ça fait cafouillis. Gare à l'indigestion. 
Enfin, retour gagnant avec « Trample the Weak, Hurdle the Dead », dont on fera abstraction du titre et des paroles, où Ted envoie du lourd avec cette Love Song qui défouraille et sonne un peu comme une jam entre le Aersomith de "Rock", American Dog et... le Nugent de "Week-end Warriors".

   Et puis, comme pour confirmer ses dires quant à son attachement au Blues, Nugent boucle cet opus avec un Blues. Enfin, un Blues... C'est plutôt une ballade bluesy aux parfums de Southern Rock, un tantinet introspective (pour le Nuge) avec un peu d'orgue en fonds qui reprend « Never Stop Believing » sous un autre tempo.

Ce « Shutup & Jam ! » paraît exsuder un plaisir de jouer totalement retrouvé, avec une relative agressivité qui n'est jamais forcée, sur-jouée, mal-employée, ou hostile. Un retour aux fondamentaux donc. Celui d'un Heavy-rock qui nage dans ses racines. Principalement dans celles du Rock'n'Roll, épicé à la sauce Detroit City, avec des soli qui trempent dans le Blues pour les gammes et les tonalités, mais avec une interprétation en mode excité nerveux. Des soli où Ted se montre d'ailleurs moins bavard qu'auparavant, mais plus concentré sur le rythme et l'harmonie en adéquation avec la composition concernée (ce qui ne l'empêche pas, tel un sadique, de vous vriller les tympans sur le coda de "Fear Itself") . Malgré une baisse de qualité avec un lot groupé de quelques pièces sans impacts ni saveurs (on sauvera finalement ce "I Love my BBQ"), le quatorzième disque studio de Theodore Anthony Nugent se révèle un bon cru. Suffisamment pour qu'on y prête attention, en dépit de sa philosophie de Neandertal. 

     Ha, ce bon vieux Ted Nugent, toujours la pêche à plus de 66 ans (il n'y en a pas beaucoup qui peuvent s'en vanter), lui qui pensait que la vie trépignante du Rock'n'Roll circus aurait eu raison de sa vitalité dépassé les quarante ans. Son abstinence des boissons alcoolisées et de toutes autres formes de drogues aura préservé sa santé. Tellement plus sympathique lorsqu'il « Shutup & Jam ! ».

P.S. : C'est le premier disque de Nugent à intégrer le Top 30 de leurs charts ; fait qui ne s'était plus produit depuis "Scream Dream", en 1980.



(1) Deux artistes qu'il a accompagné à la basse.
(2) Il reprenait déjà « Baby, Please Don't Go » avec les Amboys Dukes, et gardera longtemps cette reprise comme cheval de bataille de ses concerts des années 70.
(3) Il reprend d'ailleurs, depuis peu, « Soul Man » de Sam & Dave (écrit par Isaac Hayes et Dave Porter), afin d'appuyer ses dires.
(4) Personnellement, je ne me lasse pas de ceux de « Great White Buffalo », un grand moment, « Wand Dang Sweet Poontang », « Just what the Doctor Ordered », "Fred Bear", « Queen of the Forest », « Flesh & Blood », "Fist Fighting Son of a Gun"

Autre article / Ted NUGENT : 👉   "Nugent" (1975)





2 commentaires:

  1. Réponses
    1. Certes, "Shut up & jam !" n'a pas la teneur d'un "Scream Dream", d'un "Nugent" ou d'un "Free for All", toutefois il possède les attributs pour bousculer les "State of Shock", "Weekend Warriors" ("Cat Scratch Fever" ?) et piétiner pratiquement tout ce qui est sorti après 1981.
      N'oublions que les disques parfaits de Nugent se comptent sur les doigts d'une main.
      Il est fort possible que ce disque peut paraître meilleur lorsque l'on n'attendait plus grand de l'énergumène ; ce qui était mon cas.

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