Portrait de Berlioz par Gustave Courbet |
- Bonjour M'sieur Claude, on parle de musique religieuse cette semaine
d'après ce que j'ouïe…
- Pardon ? Hein quoi ? Ahhh… ce que vous entendez Sonia… Vous utilisez un
vocabulaire un peu zarbi mon petit… Ça me rappelle un sketch de Raymond
Devos…
- On entend ce que l'on veut entendre M'sieur Claude… Plus sérieusement,
quel est le sujet que j'aurai à mettre en page ?
- Une "Messe des morts", et en l'occurrence celle écrite par Hector
Berlioz. Majestueuse mais en rien mortifère…
- J'avoue que ce chœur me fait penser à un opéra plutôt qu'à une musique
d'église pure, parfois sinistre…
- Vous seriez surprise de savoir que les requiem les plus captivants ont
été écrits le plus souvent par des compositeurs en délicatesse avec le
Divin…
Lorsqu'à la fin des années 60,
le très francophile chef d'orchestre british
Colin Davis
entreprend l'enregistrement de l'intégrale des
œuvres symphoniques et lyriques
de
Berlioz, il ne se doute peut-être pas que, plus de quarante ans plus tard, ce
corpus puisse continuer à être une référence.
Bien entendu, il existe d'autres gravures marquantes notamment pour le
Requiem. On ne pourra pas faire l'impasse dans cette chronique sur les deux
enregistrements de
Charles Munch
à
Boston
et à
Munich. Par ailleurs,
Davis
lui-même a récidivé en 2012,
toujours à
Londres pour une seconde mouture a priori moins engagée.
Je ne reviens pas sur la carrière et le talent de ce chef (1927-2013) pour
lequel le blog a rendu hommage lors de sa disparition (Clic), pour sa gravure des
symphonies
d'Elgar
(Clic) et déjà
Berlioz
avec son ultime enregistrement d'Harold en Italie avec l'altiste
Tabea
Zimmermann
et toujours son fidèle
Orchestre Symphonique de Londres
(Clic).
Les gravures de ce
Requiem monumental mais exempte de pompiérisme ne sont pas légions. Quand
j'évoquerai l'effectif orchestral requis, on comprendra pourquoi. J'avais
assisté dans les années 70 à un concert dirigé par
Seiji Ozawa
(oui Pat, un grand souvenir) où étaient réunis rien de moins que l'orchestre de Paris et le
Symphonique de Boston
sur la scène du Palais des Congrès à Paris. On comptait quelques centaines
de choristes également, le tout galvanisé par le chef Nippon dans la force
de l'âge… Inutile donc de préciser que pour ne pas obtenir un épouvantable
"barnum", seuls les chefs les plus précis s'attaquent à la partition.
Et côté enregistrement, il faut souligner le défi pour les ingénieurs du
son confrontés à des tuttis qui, bien que naturels, rendraient jaloux des
groupes de Hard Rock par leur puissance insensée…
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Comme je le disais à Sonia, les requiem les plus remarquables ont souvent
été composés par des compositeurs agnostiques voire athées ou encore
convertis à la franc-maçonnerie… Citons Mozart, Verdi
et Fauré
(Clic), (Clic) et (Reclic). Le très pieu Bruckner
a produit l'une de ses œuvres les plus faibles et rarement enregistrée, une
curiosité pour ses fans.
Berlioz, malgré une vie rocambolesque, pour ne pas dire dissolue, s'est pourtant
enthousiasmé pour cette commande à caractère mystique de
Adrien de Gasparin, ministre de
l’Intérieur vers 1837. Berlioz
a alors 34 ans mais déjà une grande expérience des orchestrations complexes
à travers l'écriture de la symphonie fantastique
et de Harold en Italie. Il vient d'achever également, coté voix, son premier opéra : Benvenuto Cellini. Ce n'est pas son premier ouvrage religieux. Une messe solennelle
de 1824, à l'orchestration
généreuse, a été retrouvée dans les années
1990 en Belgique. John Eliot Gardiner, l'autre chef anglais amoureux de Berlioz, en a gravé une belle version. Pour le
requiem, il s'agit donc d'une commande destinée à honorer les soldats morts lors
de la révolution de 1830. Elle
sera créée en fait en hommage aux soldats morts dans la prise de
Constantine. Création dirigée par Habeneck
à la grande fureur de Berlioz
qui détestait le personnage qu'il estimait médiocre, et qui aimait créer ses
œuvres lui-même.
Si Berlioz
retient le texte latin traditionnel pour sa partition, il s'évade de la
forme en usage depuis la messe en si
de Bach, à savoir : quatre solistes, chœur mixte et orchestre, formation que l'on
rencontre dans les œuvres
religieuses
de Mozart, Beethoven
et Schubert. Ici, pas de soliste ! Seul un air de ténor dans le
sanctus. L'effectif de
l'orchestre est imposant : des cordes à profusion, les bois et cuivres par
dizaines et pour marquer les esprits lors du jugement dernier : 16 timbales,
2 grosses caisses, 4 paires de cymbales, tamtam… L'œuvre ayant été conçue
pour être jouée dans la
chapelle Saint-Louis des Invalides, Berlioz
dispose quatre petites harmonies de cuivres supplémentaires aux quatre coins de l'édifice. En salle de concert, on les
loge dans des baignoires ou dans les entrées des escaliers du fond de salle.
Franchement, ça jette, et l'on souhaite que les fauteuils soient solidement
fixés au sol…
Berlioz
précisait que ce n'était pas limitatif… un peu la folie des grandeurs…
À l'écoute, il n'y a rien à jeter. Les styles des dix parties sont variés et même si l'effectif est dément,
les passages "colossaux" restent relativement rares même si saisissants.
Explorons quelques grands moments
:
1 – Requiem – Kyrie
: De longues phrases syncopées des cordes introduisent le
Requiem, des appels de
désespoir auxquels répondent en échos des accords emprunts de gravité des
bois et des cors. Dès ces premières mesures, on devine que l'on est face à
une prise de son d'exception : velouté des violoncelles, couleurs des
cuivres bien perçus en arrière plan des cordes et des bois et puis surtout, occupant
tout l'espace arrière : les chœurs. La lisibilité du chant est
exemplaire.
Colin Davis
explore chaque motif, chaque ligne de chant. Certes le sujet est traité avec
la sévérité qui convient, mais Colin Davis
élargit chaque plan, dissocie avec cohérence toutes les richesses de la
partition dans l'espace sonore. Le chef anglais donne à l'ensemble une
profondeur spirituelle quasi grégorienne. Somptueux.
2 - Dies irae - Tuba mirum
: Mozart
et Verdi
déchaîne leurs forces dans le
Dies irae (Jour de colère) et confie le Tuba mirum à la
voix d'un baryton alternant avec des fanfares de cuivres. C'est logique et
pourtant Berlioz
inverse la situation. Le
Dies irae commence sereinement
pour évoluer vers un style martial dans le traitement des voix, une mélodie
très rythmée qui gagne en violence crescendo pour atteindre un accord
paroxystique des cuivres marquant le début du
Tuba mirum. Colin Davis
et son ingénieur du son parviennent au miracle par la clarté obtenue dans ce
passage d'une férocité sonore inconnue avant
1837 et même après ! Merci la
chaîne audiophile. Ça fout vraiment les jetons. Berlioz
pense que si jugement dernier il y a, nous, pauvres pécheurs, nous sentirons
tout petits… Certes, il est impossible au disque de rendre la dynamique
aussi réaliste qu'en concert, et seule la quadriphonie pourrait faire
tournoyer autour de nos têtes les interventions des groupes de cuivres
additionnels, mais je n'ai jamais entendu mieux sur le plan sonore, même
chez Munch. C'est Berlioz
et son œuvre favorite rendus à leurs quintessences.
6 – Lacrymosa
: (Jour de larmes) : Cette imploration donne souvent lieu à des passages pathétiques (Mozart). Dans ce
Lacrymosa énergique, Berlioz
met l'accent sur les deux idées fortes du texte : le jugement des
"coupables" et la demande de clémence. En introduction, les violents traits
syncopés des cordes témoignent de la crainte de cette résurrection où va se
jouer le paradis ou l'enfer pour les âmes. Le second thème est une prière
confiante portée par les chœurs et soulignée par un motif rythmé et haletant
de l'orchestre sans les cuivres. À l'écoute de cet interprétation toute en
finesse, on est surpris par l'originalité de cette opposition qui permet à Berlioz
de revenir à l'alternance des thèmes d'une forme sonate classique, symétrie
et reprises sont au rendez-vous par ce choix. Berlioz
était un génie de l'orchestration (son traité sur cette technique reste
d'actualité) et ce Lacrymosa en
est un exemple parfait : pas de lourdeur mais mille couleurs dans une page
qui requiert un effectif de 400 musiciens, une épure dans le majestueux, ce
n'est pas donné à tout le monde…
7 – Domine Jesu Christie
: (Offertoire 1) : Berlioz
atteint dans cette marche vers la lumière divine une poignante sérénité.
Après les tumultes du
Lacrymosa,
Berlioz retrouve un climat plus secret. Le chœur murmure le texte en suivant la
ligne sinueuse de l'orchestre où domine la mélodie des violons. Le
compositeur rompt une éventuelle monotonie par un élégiaque passage aux
cordes graves répondant aux notes de tubas placés dans les harmonies
additionnelles. Cette idée rappelle les échos séraphiques déjà imaginés par Monteverdi
dans ses
Vêpres
vers les années 1600. Plus globalement, il y a une rupture de ton dans
l'œuvre. Après les peurs et cataclysmes divins évoqués jusqu'au
Lacrymosa, Berlioz
va proposer à partir de ce début d'offertoire quatre parties priantes et
paisibles.
9 -10 : Sanctus & Agnus Dei
: Le ténor
Ronald Dowd
(1914-1990) assure au mieux le solo du
Sanctus. Il force le trait un
tantinet, montrant s'il le fallait la parenté de ce
requiem
avec le monde de l'opéra (comme celui de Verdi). Le Hosanna est une fugue
dont on rencontrera la petite sœur dans le "chant des étudiants" de
La damnation de Faust écrite en 1846. Ce
Sanctus dénote une grande
spiritualité avec sa flûte solo et sa douceur angélique. Des accords de bois
répondant en écho à des douces phrases des altos introduisent l'Agnus Dei
conclusif. Ce final va reprendre diverses idées développées dans les parties
précédentes. Il en résulte une succession de climats magiques.
Berlioz semble proposer un résumé des motifs qui lui sont les plus chers. Les
ultimes mesures doucement scandées aux timbales évoquent la fin du périple
du trépas, la paix et le repos éternel.
Colin Davis assure un sans faute absolu par l'élégance et la sincérité de sa direction,
donnant une réelle religiosité au discours.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Cette interprétation de Davis
a une sérieuse concurrente datant de la même époque : la seconde gravure de Charles Munch
avec l'orchestre
et les
chœurs de la Radiodiffusion bavaroise. Les tempos sont légèrement plus allants, c'est un peu plus sévère, ce qui
sied parfaitement à l'ouvrage. Le chœur, très articulé, favorise une
compréhension presque intimiste de la prière. Munch
gomme complètement tout aspect extérieur que l'on pourrait craindre dans
cette œuvre monumentale. Mystique et incandescent. Impossible à départager
objectivement de la gravure londonienne écoutée ce jour (Dgg
– 6/6, prise de son un peu neutre). Le maestro français avait déjà
enregistré ce requiem
en 1959 pour
RCA avec son orchestre de Boston. La prise de son est plus présente et le double album est complété par une
version de légende de la symphonie
fantastique
commentée dans le blog (Clic). Un requiem
plus volcanique qu'en 1968 mais
pas forcément aussi spirituel (RCA
– 5/6). On attend désespérément un enregistrement de l'autre grand
berliozien britannique : Sir John Eliot Gardiner
avec son orchestre révolutionnaire et romantique
jouant sur instruments d'époque. Il existe quelques enregistrements de Mitropoulos, Beecham
voire Scherchen. La prise de son indigente de ces captations les réserve aux
inconditionnels…
Berlioz, le Requiem, le tuba mirum Habeneck et sa tabatière, une histoire qui reste dans les anecdotes de la musique quand ce dernier au moment fatal "baisse sa bâton, tire tranquillement sa tabatière et se met a prendre une prise de tabac" (Mémoire de Berlioz chapitre 46). Raconté par Berlioz et sa grandiloquence légendaire cette histoire a quelques chose de comique.
RépondreSupprimerPour ce qui est des enregistrements, je reste sur Munch et la radiodiffusion Bavaroise et un très beau Sanctus par Peter Schreier
J'ai lu que cette affaire de tabatière aurait été inventée par Berlioz pour enfoncer le clou... Note bien que dans le film avec Jean Louis Barrault la scène est reprise... Pas dans le Requiem d'ailleurs.
RépondreSupprimerTout à fait d'accord : Peter Schreier s'impose dans le solo du Sanctus sans difficulté.
Comme je l'écris : impossible et même stupide à départager objectivement. J'écoute l'une ou l'autre gravure suivant mon humeur du jour....
2014....2016
RépondreSupprimerJ'ai eu la chance de trouver la version de Munch en coffret vinyle d'occas....Vraiment splendide en effet.
Chronique d'enfer une fois de plus...Merci.