- Oh Oh M'sieur Claude, après des compositeurs un peu confidentiels comme
Roussel et Chausson, retour aux fondamentaux : Beethoven…
- Et oui Sonia, Beethoven est un monde infini. J'ai parlé symphonie et
concerto, il nous reste les quatuors, les trios, que sais-je et les 32
sonates pour piano…
- Un commentaire sur 32 sonates, vous ne craignez pas d'écrire un roman
et non une chronique ?
- Mais non, c'est pour cela que j'ai retenu ce disque avec un choix de
quatre sonates qui portent toutes un titre comme la célèbre sonate "au
clair de Lune"…
- Et comme toujours un grand pianiste…
- C'est certain, car si j'essaye moi-même, ça craint !… Disons que je
n'ai absolument pas le niveau… mais alors pas du tout !
Je ne reviens plus sur l'homme
Beethoven, l'enfant surdoué né d'un père violent, le drame de la surdité, le
personnage révolté et humaniste, et la gloire. Tout cela a été évoqué plus
en détails dans les chroniques consacrées au
5ème concerto
pour piano, celui
pour violon
et les
symphonies 3, 5, et 7. (Voir les liens vers ces articles dans l'index classique –
CLIC.)
Si on connaît bien le
Beethoven
symphoniste,
pam pam pam paaaam, ce diable d'homme a excellé dans tous les genres et notamment dans la
musique de chambre (ses
quatuors
novateurs). La
sonate pour piano
n'échappe pas à la règle, et elle aussi va franchir avec brio la frontière
entre l'âge classique et le romantisme au fur et à mesure de sa
carrière.
La composition des sonates se déroule sur toute la carrière du musicien,
des
trois premières
écrites par le jeune
Ludwig
de 25 ans en 1795 jusqu'au deux
dernières, les
N° 31
et
N° 32
qui datent de 1820. Le premier
triptyque porte le numéro d'opus N°2 et les deux dernières, les opus 110 et
111. Le catalogue chronologique beethovénien se conclut par l'opus 135 (quatuor N°16) en 1826. De
1795 à
1827, année de sa mort, 32
années et
32 sonates… Ce cycle, une référence dans le genre avec celui de
Mozart, permet de découvrir pas à pas les innovations musicales de celui que l'on
considère comme le dernier classique et le premier romantique. La transition
ayant lieu lors de la
symphonie "Héroïque"
en 1805… Le programme de ce
disque rassemble les sonates
N° 8
op. 13 (1798-1799),
N°
14
op. 27 (1802),
N° 21
op. 53 (1804) et pour finir, la
N° 23
op. 57 (1805). Sept années
pendant lesquelles Beethoven commence sa lutte contre le drame de sa vie :
la surdité.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Oui Sonia, un grand, un immense pianiste du XXème siècle,
Wilhelm Kempff. Il est vrai que je parle le plus souvent possible de jeunes talents du
clavier :
Yuja Wang
(que les crétins estiment forcément médiocre car elle est très jolie),
Lang Lang
(que les fâcheux n'aiment pas car il fait de l'esbroufe sur scène, comme si
la chose était rare dans le monde de la musique),
Fazil Say
(contesté parce que d'allure rustique de par ses origine turques, mais divin
dans
Tchaïkovski), sans oublier quelques séniors comme
Martha Argerich
ou
Kristyan Zimerman
(Heuu, dont personne ne contestera plus le talent). En résumé, des
personnalités bien vivantes. Au début de mes chroniques, j'avais commenté
deux enregistrements du
concerto l'Empereur
de
Beethoven
sous les doigts de
Edwin Fischer
(1886-1960) et
Arturo Benedetti Michelangeli
(1920-1995). Le disque permet aussi de nous léguer les patrimoines musicaux
d'artistes géniaux du siècle passé. Et puis pour les mélomanes de ma
génération, ceux qui ont découvert la musique avec l'avènement de la
stéréophonie, du son réaliste,
Wilhelm Kempff
reste une référence.
Kempff
est né en 1895. Cela paraît
bien lointain et sent le 78 tours… Et bien pas du tout car le pianiste vivra
96 ans et ne disparaitra qu'en
1991 sans vraiment avoir cessé
de jouer puisque les dernières années, il animait encore des master class.
Comme pianiste allemand, il sera l'interprète inspiré de
Beethoven,
Schumann,
Schubert,
Brahms…
Dans les années 60, au faite de son art,
Kempff
va marquer l'histoire du disque en publiant chez Dgg l'une des premières
intégrales des
sonates pour piano
de
Beethoven
en stéréo (il avait déjà gravé l'ensemble, mais à l'époque de la
mono). Il avait également enregistré, toujours pour Dgg, une intégrale des
concertos de
Beethoven
avec la
Philharmonie de Berlin, mais l'accompagnement par un
Ferdinand Leitner
en petite forme (au lieu de
Karajan) n'a pas laissé l'empreinte attendue (quoique réécoutez les concertos 3 et
4,
ça le fait quand même). Toujours dans les années 60, il entreprendra une intégrale des
21 sonates
de
Schubert, encore un must. Tout cela est réédité et disponible en permanence au
catalogue !
Wilhelm Kempff
se voulait aussi compositeur. Il est un peu oublié à ce titre, mais l'une de
ses
symphonies
fut créée par
Wilhelm Furtwängler
en 1929. C'est tout dire.
Kempff
était un penseur, presque un mystique, le regard mélancolique. Quand on
regarde la vidéo, il semble assoupi ! Non il est en communion avec le
compositeur et l'œuvre. On va en reparler…
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Donc quatre sonates parmi les plus connues grâce à leurs sous titres. La
sonate "au clair de Lune"
op. 27. Un nom donné après la mort de
Beethoven. La sonate au célèbre rythme obsédant que connaissent toutes les oreilles.
Et n'oublions pas le sketch hilarant de
Bernard Haller, pastiche d'un
pianiste à deux balles en récital qui soliloque en "off" ses soucis et
commentaires délirants ("il a du payer demi tarif le cul de jatte"). Il pose une question profonde :
que fait un pianiste qui a le nez qui le démange
?
- M'sieur Claude, vous digresser il me semble… On écoutera ce sketch
assez prometteur, mais…
- Ah, heuu… oui Sonia, désolé… Je vais me faire gourmander par M'sieurs
Luc et Rockin'…
Trois autres sonates sont proposées : La
"Pathétique" op. 13, la
"Waldstein"
op. 53 et l'"Appassionata" op. 57…
1 – Sonate N° 8 "Pathétique"
: Murement travaillée de 1798 à
1799, cette sonate est la
première où
Beethoven
impose son style libéré des enseignements de ses maîtres et modèles :
Haydn
et
Mozart. Elle ne comporte d'ailleurs que trois mouvements, à l'instar des 3 autres
figurant sur ce disque.
Beethoven
supprime le 3ème mouvement, un menuet la plupart du temps, qui
sert de pause (pour meubler ?) avant le final.
Autre nouveauté, le mouvement initial débute par un "Grave" avant que le tempo ne se mue en habituel
Allegro. Des accords farouches donnent un ton dramatique voire pathétique, d'où le
titre de la sonate. Et dès ces premières notes, la magie du toucher de
Wilhelm Kempff
opère. Une puissance contenue sans pathos. Chaque note se détache, joue son
rôle avec légèreté mais sans pour autant survoler le clavier. La main gauche
ciselle les graves. Certains reprochent à ces enregistrements un manque de
grave !? C'est oublié que
Beethoven
écrivait pour un pianoforte et non un Steinway D 274, et cela
Kempff
le sait, et sa main gauche se refuse à toute brutalité hyperromantique.
[1'34"] L'allegro se lance dans
une folle cavalcade. Le pianiste ne quitte jamais cette distinction qui
caractérise son jeu, sa hauteur de vue. Le compositeur n'a pas trente ans.
Il entend encore bien. Le jeu de
Kempff
reste donc juvénile.
On retrouve une fraiche sérénité dans
l'adagio cantabile. La
transition du do mineur de l'allegro "pathétique" au la bémol majeur
justifie d'effacer tristesse et mélancolie dans ce passage central.
Kempff
affirme cette tranquille méditation par un staccato raffiné, presque sans
pédale. Je risque de me répéter en soulignant l'allègre
dynamique dans le jeu du
Rondo allegro final. La musique
oublie les sombres accords du début de la sonate pour un jeu entre les
tonalités. Un jeu aérien et facétieux sous les doigts de
Kempff.
2 – Sonate N° 14 "Au clair de Lune"
: Composée avant la seconde symphonie,
Beethoven commence à prendre conscience de l'infirmité qui va le ronger. La tonalité
est sombre : l'ut dièse mineur. Qui n'a pas entendu cette marche
Adagio sostenuto - attacca
obsédante avec quelques notes qui jaillissent par ci par là. C'est le poète
Ludwig
Rellstab qui attribuera en
1832 ce titre "au clair de lune" en songeant à une barque oscillant sans cesse au gré d'un clapotis, sous
un ciel nocturne.
Kempff
poétise cette page. C'est nostalgique certes, mais sans lamentation. Il est
si facile de sombrer dans de lugubres ténèbres avec ces mesures et ce
mouvement perpétuel…
Le très court
Allegretto attacca garde un ton
secret mais avec un soupçon d'humour.
Beethoven
s'interroge-t-il ? Faut-il s'apitoyer ou en rire ? Le final, un
rondo allegro distille
puissance et volonté.
Kempff
trouve le tempo idéal, martèle les notes pour évoquer la colère intérieure.
3 – Sonate N° 21 "Waldstein"
: Composée en 1803-1804 pour
son ami et protecteur, Le
comte Ferdinand von Waldstein,
la sonate présente un premier mouvement
allegro con brio très long et
vivement animé.
Beethoven
vient d'acquérir un piano Erhard au registre plus étendu. On l'entend
dans la profusion d'accords graves et l'exploitation des écarts et registres
extrêmes. Rémission de sa surdité ? La sonate se veut allègre avec une
tonalité gaie et brillante : do majeur. La musique virevolte jovialement
sous les doigts de
Wilhelm Kempff. Le discours est énergique mais jamais hédoniste.
Kempff
redonne la parole à un pianiste qui a retrouvé l'espoir pour un temps.
Le très court adagio central noté
Introduzione - Adagio molto
sert de transition méditative entre le long premier mouvement et le final.
Il ne comporte que 28 mesures ! C'est une simple respiration que
Kempff
traverse avec sérénité, portant une attention à chaque note. Car dans un
passage aussi bref, inutile de préciser que chaque note se doit de trouver
sa place, son émotion individuelle réduite à un bref événement sonore. On
retrouve l'énergie de l'allegro dans le
presto agitato final Avec une
telle indication, on pourrait s'amuser à déchirer l'espace sonore Non !
Kempff
trouve le ton juste, laisse venir
Beethoven
vers nous grâce à une virtuosité sincère, une virtuosité souple et
vigoureuse à la fois.
4 – Sonate N° 23 " Appasionata"
: Elle est dédiée à son ami le comte
Franz von Brunswick et publiée
en 1805, c’est-à-dire pendant
la période dépressive que traverse
Beethoven, entre la composition des
3ème et
4ème
symphonie
(Ludwig van
pense un temps au suicide). Sa tonalité dominante est anxieuse : fa mineur.
Le sous titre "passionnée" est
une idée de l'éditeur. Cette sonate est plus développée que ses sœurs
proposées dans cet album avec une durée d'interprétation de 25' environ.
L'Allegro assai initial
cherche sa voie… L'écriture est plus complexe que dans les sonates qui
précèdent.
Beethoven
tente, et réussit, à s'échapper de la forme sonate traditionnelle ; par
exemple, il ne fait pas la reprise de l'exposition. On pense à nous même
quand des idées inquiètes s'entrechoquent dans notre tête lors d'un coup de
blues. Le jeu de
Kempff
libère une grande intériorité à ce mouvement bouleversé par les questions et
les hésitations de la pensée du compositeur. Le jeu est limpide.
Kempff
nous a épargné sur tout ce parcours l'emphase, l'extatisme, ou encore cette
violence un peu vaine que certains interprètes imposent à cette musique si
intime. À noter dans la coda, la citation du thème universellement connu "du destin" de la 5ème symphonie "pa pa pa paaam" en gestation [8'40].
Beethoven
travaillait toujours sur plusieurs partitions en même temps à partir d'une
multitude de motifs musicaux qu'il voulait "frappants".
L'Adagio attacca en ré bémol
majeur offre un moment de détente avec sa forme "thèmes et variations". Son
climat paisible nous prépare à la furie du final.
Kempff
campe un
Beethoven
songeur et contemplatif par son toucher aérien au legato d'une fine
précision. Il y a une fidélité au texte, un respect de l'esprit et la lettre
qui explique pourquoi ces enregistrements restent indémodables. L'Allegro, ma non troppo – Presto
est enchaîné directement sans pause.
Kempff
nous entraîne dans une course folle, un désir féroce de croire en la vie. Il
est notoire que la "passion" est présente à chaque mesure, chaque transition
épique. Je vais peut-être faire hurler certains, mais dans ce passage,
Kempff, c'est la limpidité virtuose d'un
Gould… avec l'intelligence en plus ! Beethoven
aimait beaucoup cette sonate si secrète et pourtant si couillue. Il attendra
5 ans pour écrire la
24ème sonate
dédiée à la comtesse
Thérèse von Brunsvik.
(Témoignage de
Czerny.)
Il reste 28 sonates à explorer. Ce commentaire est centré sur un pianiste,
Wilhelm Kempff, nous aurons l'occasion de reparler d'autres pianistes qui ont brillé dans
ces pages… Donc pas de discographie alternative cette semaine…
- Heuu... M'sieur Claude, et Alfred Brendel…
- SONIA ! Qu'est-ce que je viens d'écrire bon sang !!!!
- Désolée…
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L'intégrale des quatre sonates. Enfin pour s'amuser le sketch de
Bernard Haller…
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