Sur
le sujet il y avait le superbe bouquin de Peter Guralnick SWEET SOUL MUSIC de
1986 (édition ALLIA). Une somme ! Roboratif et passionnant. Le livre
qui nous occupe aujourd’hui est d’une approche différente, mais tout aussi
complet. L’auteur est Gerri Hirshey, une journaliste qui publie pour ROLLING
STONES et le NEW YORK TIMES. C’est en 1984 qu’elle fait paraître NOWHERE TO RUN, ETOILES DE LA SOUL MUSIC ET DU RHYTHM'n'BLUES, traduit en français l'année dernière par les éditions Rivage Rouge.
Elle s’est lancée dans un grand tour des États Unis pour retrouver et interroger
les protagonistes de la vague Rhythm’n’blues.
C’est
à la fois un survol chronologique et thématique, et surtout une série de rencontres
au long cours, d’interviews et de récits. Les interventions des uns et des autres sont mises en situation (le décor à son importance, le lieu où l'hôte reçoit), l'auteur resituant rapidement la carrière, ou un épisode, du prochain à prendre la parole. Tout est parfaitement lié, témoignages et narration.
Sister Rosetta Tharpe |
En parallèle, apparaît une musique plus rythmée, née des cendres des Big Band de Jazz passés de mode. De petites formations centrées autour d’un saxophoniste qui fait le show : le Rhythm'n'Blues (et ces déclinaisons, Doo-Wop, Jump). Souvenez-vous du film RETOUR VERS LE FUTUR, quand Marty joue de la guitare avec le groupe qui anime le bal. Les gars sont des virtuoses, mais proposent une musique basique, faite pour danser. Il suffira de saupoudrer un peu de country là-dessus, et ça donnera le Rock’n’Roll. Chuck Berry et Little Richard, sont le pendant Wokiwoll du R'n'B. Il est intéressant de regarder le parcours d’Elvis Presley et de James Brown (dont il est souvent question dans le ivre, Brown et Presley ayant été très liés, notamment par leur amour du Gospel. Souvent, Brown se lamente : mon dieu, qu'ont-ils fait de lui...).
Comme
le blues, le Gospel remonte du sud au nord. Comme le blues, il s’électrise, le
son se durcit en arrivant en ville. Mais le Blues est trop rustique, rêche, vulgaire, pour pénétrer les marchés.
Trop Noir pour le grand public. Le Gospel, lui, propose des harmonies plus douces,
riches, complexes, des mélodies, des airs, et les groupes vocaux rivalisent de dextérité, les Moonglows,
les Clovers, les Ravens, les Platters. Certains producteurs ont compris le
potentiel commercial du Gospel, et plus tard de la Soul, si on injecte un peu
de pop. Les fameux cross-over, les ponts dressés entre la musique Blanche et
Noire.
Et puis Ray Charles, qui déjà mixait Jazz et Country, va prendre les
harmonies Gospel pour y superposer le chant profane du Blues. Sa chanson "I got a woman" (1954) est souvent considérée comme l'acte fondateur du R'n'B. Ca fait grincer
les dents, on crie au blasphème, mais ça marche, surtout chez Atlantic, le label de d’Ahmet Ertegun
et Jerry Wexler. La Soul Music, qu’elle soit plus Rhythm’ ou plus Blues, plus Funk ou plus Pop, va s’étendre de foyers bien précis (Detroit, New York, Memphis, Macon)
à l’ensemble du pays. C’est la seule musique Noire qui rivalisera avec le Rock,
la seule qui donnera autant de tubes, qui fera de ses interprètes des stars, la seule dont l’héritage ne cesse d'être décliné jusqu'à la sinistre vague Erumbi des Rihana, Aguillera, Beyoncé (qui interpréta Etta James au cinéma...) et autres usurpateurs.
The Clovers |
Gerri
Hirshey regroupe ses chapitres en deux parties, la Soul urbaine, et la Southern
Soul, en s’attachant aux grands labels. A commencer par Atlantic Records, les précurseurs,
à New York, qui concilient le raffinement de la côte Est, et la ruralité du Sud
(il faut plaire à tous les publics). Ertegun et Wexler sont longuement
interrogés. Atlantic va privilégier les artistes, les personnalités, Ray
Charles, Wilson Pickett, Ben E. King, Ruth Brown, The Coasters pilotés par
Leiber et Stoller - - clic pour relire l'article - - . Au contraire de la Motown de Berry Gordy, à Detroit, qui met
en avant le son, la production. Berry Gordy crée son empire grâce aux
arrangeurs, qui vont injecter une bonne dose d’adoucissant, de soyeux dans les
chansons de Diana Ross & The Supremes, Marvin Gaye, Smookie Robinson,
Gladys Knights, Martha & The Vandellas (témoignage passionnant de Martha
Reeves) et les très jeunes Stevie Wonder, Michael Jackson.
Wilson PIckett et Duane Allman (Muscle Shoals) |
Une des spécificités de l'endroit, comme à Stax, ce sont les groupes mixtes, musiciens Noirs et Blancs, comme le guitariste Duane Allman qui s'est coltiné un nombre impressionnant de sessions. On parle aussi des innombrables petits labels, qui rêvent de sortir un tube. Il y en avait des centaines, qui défrichaient, sélectionnaient, pour décrocher la timbale. Et ceux comme, Chess Records, à Chicago, qui a raté le virage Soul, restant dans le Blues viscéral, alors que Curtis Mayfield ne demandait que ça… Chess qui ferme en 1968, alors qu’il suffisait de tendre la main pour remplir l’écurie.
La
première qualité de ce livre est de donner la parole aux chanteurs. L’auteur
les a retrouvés, au début des années 80, oubliés ou compromis dans la vague
Disco (faut bien bouffer, tous le digèrent mal). Le point commun de beaucoup est cette sensation d’appartenir à une
communauté, les derniers sauvages, exploités puis lâchés, après l'ultime sursaut du film THE
BLUES BROTHERS (1979). [Gerri Hirshey ne le savait pas encore, mais THE COMMIMENTS en 1991 ravivera encore la flamme]. Le paradoxe, c’est que les chansons sont restées, les
artistes ont disparu. C’est Sam Moore (du duo Sam & Dave) encore empêtré
dans ses histoires de dope, s’excusant auprès de Gerri Hirshey d’avoir abrégé
leur dernier entretien pour aller se faire un fix, qui explique : pourquoi
un organisateur de spectacle prendraient les vrais Sam and Dave, alors que
pour trois fois moins cher, des clones viennent chanter le même répertoire. Le
public s’en fout de notre tête. Ils veulent juste entendre les chansons.
Michael Jackson et Stevie Wonder |
NOWHERE
TO RUN fourmille de personnages, d’histoires, de parcours, de gloire, d’oubli, de rancœurs et de
chagrin. Une lecture passionnante, accessible au sens où l’on s’intéresse d’abord
aux hommes et aux femmes, avant de décrypter la musique. C’est cet angle-là qui
démarque le livre des autres. Parce qu'on a souvent l'impression d'être présent aussi, dans la même pièce, et d'assister à la conversation. On ne regrette qu'une chose, qu'à l'époque Gerri Hirshey n'ait pas filmé ces entretiens. L'équivalent des Cinéastes de notre temps, par les journalistes français !
NOWHERE TO RUN - 480 pages (pas de photo, hélas...)
NOWHERE TO RUN - 480 pages (pas de photo, hélas...)
On regarde le titre éponyme, par Martha and the Vandellas, dans un clip très Detroit Motor City...
Screamin' Jay Hawkins était aussi un artiste Rhythm'n'Blues, aux origines très gospel.
La preuve avec l'extrait qui suit...
Bon, okay, prétexte pour vous passer ce moment incroyable.
Amis de la poésie, bonsoir...
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