Je
vous l’accorde, quand on pense à François Truffaut (1932-1984) ce n’est pas FAHRENHEIT
451 qui vient à l’esprit. Parce que c’est un film anglais, en langue anglaise,
et de science-fiction. Oui, de
la SF. Comme Godard et son ALPHAVILLE (1964). On ne ricane pas dans les rangs !
Le
film est adapté du fameux roman éponyme de Ray Bradbury, publié en 1953. Et on sait que 451°F correspond à la température à laquelle le papier s'enflamme. Le film met
en scène une société totalitaire, où la culture, jugée permissive, est
interdite, comme les livres, véhicules de connaissance. Guy Montag est pompier.
Son métier ne consiste pas à éteindre des feux (dans un dialogue il déclare :
éteindre des incendies, moi, un pompier ? C’est ridicule, les maisons sont ignifugées…)
mais à les allumer. Il intervint avec sa brigade, généralement sur dénonciation
anonyme. Les délateurs n’écrivent pas les noms des gens : l'écrit est banni. On glisse juste leur photo dans une boite
aux lettres. Les bouquins sont
brûlés, et leurs propriétaires arrêtés. Guy fait la connaissance de Clarisse, qui
lui avoue posséder des livres. D’abord suspicieux, Montag finit par s’y intéresser,
et ramène chez lui des centaines de bouquins, pour s’y plonger chaque soir, au
grand dam de sa femme…
Truffaut et Julie Christie |
FAHRENHEIT
451 décrit une
société sans livre, sans écrit. François Truffaut opte donc pour un générique lu en voix off, sur fond d'antenne télé. Surprenant générique, avec ce logo Universal d’abord, et une musique
identifiable de suite : celle des films d’Hitchcock. Car ce n’est pas
George Delerue qui est à la baguette, mais Bernard Herrmann, compositeur
attitré de Sir Alfred. Plusieurs parti-pris renvoient à VERTIGO, à commencer
par le double rôle féminin tenue par Julie Christie (qui joue Clarisse, blonde
cheveux courts et Linda Montag, brune cheveux longs). C’est justement en 1966
que Truffaut publie ses entretiens Le Cinéma selon Alfred Hitchcock, une bible, et on
comprend dans FAHRENHEIT 451, combien le réalisateur était imprégné du style de
son idole.
La
première chose qui heurte un peu, c’est l’aspect même de ce film, qui parait
totalement cheap, voire risible (ricanez, mais regardez la SF hollywoodienne de cette même période, ce n'est pas mieux !). Quelques barres d’immeubles en béton, de drôles de camions,
des intérieurs futuristes (comme la cuisine de MON ONCLE de Tati !) omniprésence
de récepteurs télé (au format 16/9 avec 30 ans d’avance !), quelques
bornes avec gyrophares, et v’là pour ta science-fiction, coco ! Truffaut
utilise un train monorail, prototype des années 60 testé près d’Orléans (quand
vous faisiez Paris-Tours en train, on en voyait des vestiges). C’est dans
ce train que Guy et Clarisse se rencontrent, et lors d’un plan séquence qui suit
les deux personnages en travelling, on découvre un vieux pavillon "banlieue" (y habitent Clarisse et son oncle) puis un
lotissement moderne constitué de cubes bétonnés identiques (où logent les Montag).
Le
film nous capte vraiment lorsque Montag découvre les livres, les dictionnaires. Une passion interdite qu’il doit cacher de tous. Sa femme Linda est horrifiée, comme
si le démon était entré chez elle. Ira-t-elle jusqu'à dénoncer son mari ? Les collègues de Montag se méfient aussi. Montag est mal à l'aise, il s’en rend
presque malade, à brûler des livres le jour, et
les lire la nuit. Le film est un cri d’amour à la littérature. Lors
des autodafés, Truffaut prend soin de filmer les couvertures. Défilent sous nos yeux des
dizaines de titres, de Sade à Chester Himes, Flaubert, Cocteau, Nabokov,
Stevenson… Même LES CHRONIQUES MARTIENNES de Ray Bradbury ! Et un exemplaire DES CAHIERS DU CINEMA ! Des images sublimes et terribles à
la fois, de pages qui se consument lentement, jaunissent, noircissent.
Quand il rentre chez lui, à bout de nerf, il craque devant sa femme et ses amies (quel travelling encore, quelle scène !) et pour les défier, il leurs lit un passage de livre. [Zut, j'ai oublié lequel... note de moi-même !]. Ce sont les réactions des quatre femmes qui sont intéressantes, gênées, troublées, horrifiées, puis l'une d'elle fond en larme. Guy Montag passe irrémédiablement dans le camp de la Résistance. Car on apprend qu'un groupe d'hommes et de femmes résistent, quelque part, Clarisse ira les rejoindre, clandestinement.
C'est la dernière séquence, celle des Hommes-Livres, où chacun s’appelle par le titre du
livre qu'il est en train de lire. Bonjour Guerre et Paix, salut Madame Bovary… Ils se récitent mutuellement les
textes, pour les apprendre et le transmettre à la génération suivante. Comportement
presque sectaire d’ailleurs, de voir ces zombies psalmodiant du Dickens ou du
Hugo en marchant en rond. On ne sait de quelle société laquelle serait la plus vivable.
Truffaut
refera une incursion dans la langue anglaise en 1971 avec LES DEUX ANGLAISES ET
LE CONTINENT (déjà Jean Pierre Léaud en français c’est particulier, alors en
anglais…) mais surtout, abordera la SF cette fois comme acteur, dans RENCONTRE
DU TROISIEME TYPE de Spielberg en 1977, le petit génie du Nouvel Hollywood
tenant absolument à diriger l’auteur de LES QUATRE CENT COUPS.
Guy
Montag est joué par Oskar Werner, acteur autrichien que Truffaut avait fait
tourner dans JULES ET JIM. Clarisse est la délicieuse Julie Christie, la star de DOCTEUR JIVAGO, et qui tournera ensuite avec Losey, Altman, Warren Beatty... Au final, je dirai que FAHRENHEIT 451 vieillit bien,
pour la bonne raison qu’il était déjà vieux à sa naissance ! Il faut
dépasser l’aspect bricolage du film, sa naïveté apparente, pour vraiment en apprécier
le propos et la démonstration. Superbes idées de mise en scène, rythme du
montage, une tension dramatique crescendo. Si ce n’est pas le Truffaut le plus
emblématique, il n'est certainement pas à négliger dans sa (brillante) filmographie. Réhabilitons Fahrenheit !
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En 2010, le réalisateur Frank Darabont veut lancer une nouvelle adaptation ciné. Il trouve difficlement les financements (je n'ai pas trace de la sortie de ce remake), le film risquant de ne pas intéresser le public de moins de 13 ans (la cible préférée d'Hollywood). Un film sur l'absence de culture écrite qui n'intéresserait pas les moins de 13 ans ? Allons bon !! Fallait remplacer "book" par "smartphone" dans le scénar !
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En 2010, le réalisateur Frank Darabont veut lancer une nouvelle adaptation ciné. Il trouve difficlement les financements (je n'ai pas trace de la sortie de ce remake), le film risquant de ne pas intéresser le public de moins de 13 ans (la cible préférée d'Hollywood). Un film sur l'absence de culture écrite qui n'intéresserait pas les moins de 13 ans ? Allons bon !! Fallait remplacer "book" par "smartphone" dans le scénar !
FAHRENHEIT
451 (1966)
Scénario
: François Truffaut et Jean-Louis Richard
D'après
le roman de Ray Bradbury
Couleur
– 1h50 -
format 1,85:1
Le film est bon (en dépit de son aspect kitsch) mais il faut absolument lire le livre de Bradbury, qui porte le même titre. Le livre met un peu plus en avant, que dans le film, la "zombiefication" des gens devant la télé-réalité. Oui, en 1953 Ray Bradbury anticipe la télé-réalité et l'absence de culture : à heures fixes, les gens abandonnent toutes autres activités pour, entre "amis" ou en famille, s'installer devant un écran géant, plat, accroché au mur du salon, pour regarder d'autres familles... A la fin de l'émission, on éteint l'écran, il n'y a rien d'autre. On éteint les lumières et on va se coucher.
RépondreSupprimerMais, il y a un mal-être. Les gens, certes inconsciemment, sentent un vide en eux, et ne savent pas comment le combler. La femme de Montag tente d'ailleurs de se suicider, banalement
Pour Bradbury, l'absence de culture va de pair avec l'absence de sentiments profonds, d'amour. L'absence de livres permet de contrôler aisément la population, qui n'a alors plus aucun repère, n'a plus d'opinion. On ne suit plus qu'aveuglément l'Autorité de l'Administration, sans aucune notion de bien ou de mal, de justice ou de partialité. Le jugement n'est plus possible.
Souvenez-vous de ce qu'on fait les régimes totalitaires : brûler les livres
Pas de livre = pas de culture. Mais il y a aussi une autre idée développée par Bradbury (dans la scène de la bibliothèque) qui dit : si certains peuvent lire, plus que d'autres, il risque d'avoir une inégalité de la population devant la culture. Des classes "sociales", des gens plus ou moins cultivés selon ce qu'ils lisent. Donc, pour que chacun ait les mêmes chances, égalité pour tous, l'état nivelle par le bas. On interdit tout, comme ça, pas de jaloux !
RépondreSupprimerLes écrans de télé moderne sont plats... Dans une des premières scènes, on voit pourtant un poste de télé carré, à l'ancienne. Un pompier l'allume. Le poste ne marche pas. Il démonte l'écran, et s'aperçoit que l'intérieur du poste est vide, car il sert à cacher des livres !
Le monorail entre Paris et Tours, ça me dit quelque chose. J'ai lu le bouquin, mais il y a très très longtemps.
RépondreSupprimerJ'en conclus que nous avons, un jour, peut être, suivi le même chemin, en passant par la belle gare des Aubrais... Je me souviens maintenant d'un type, plutôt renfrogné, tassé dans sa banquette en seconde classe, qui écoutait du Wet Willie...
RépondreSupprimerPourquoi renfrogné?
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