Il se pourrait bien que ce « Dirt on my Tongue » soit
une révélation ; tout simplement. Un premier album confondant - si l'on excepte
le live « Jo Harman & Company – Live at Hideaway », sorti confidentiellement et qui est par conséquent très difficile à dénicher - grâce à un
professionnalisme exemplaire, une production limpide et des compositions
transcendantes.
Dès les premières mesures de l'accrocheur « I Shall not be Moved », la jeune anglaise séduit l'auditeur, le surprend même. Car à l'évidence c'est une authentique chanteuse, de celles qui ont le don de toucher l'auditeur ; et cela sans faire appel à un quelconque artifice (ouf ! On respire. Tout n'est pas encore perdu). L'album débute d'ailleurs avec seulement des notes aérées de piano et quelques traits lointains de slide acoustique sur lesquels Jo pose sa voix. Et cela suffit amplement à donner du corps à la chanson. Ce n'est que bien discrètement, pratiquement sur la pointe des pieds, que viennent se greffer par la suite une batterie et des chœurs gospels ; juste pour donner un peu d'ampleur.
C'est lors des moments les plus intimistes, empreints d'une subtilité mélodique qui appel le plus à l'humilité qu'à la bravade, que Jo Harman semble libérer toute la mesure de son talent et de son charme vocal. Gage de qualité rare. Parfois quelques phrases simples de piano laissant résonner les notes, couvrant ainsi l'espace tout en en créant un ; ou plus exactement en créant un volume évanescent, idyllique pour cette voix fortement émotionnelle et faussement vulnérable. Au contraire, on sent à travers elle une force certaine de caractère, une réelle personnalité.
L'orchestration est généralement tout en retenue, "roots" mais point rurale. Parfois un orgue Hammond vient offrir une
couleur supplémentaire, comme dans « Cold Heart ». Mais bon sang ! Que cela fait du bien d'entendre en 2013, une jeune artiste composer et interpréter une telle musique. Une musique vraie, près de l'âme.
(J'arrive là, sur les derniers mouvements de "This is my Amnesty" qui s'enveloppent de quelques violons et chœurs, alors que le début n'est habillé que d'une guitare folk, d'une lointaine électrique résonnant comme un distant écho, et d'un piano qui égrène quatre/cinq notes... et je me dis, presque solennellement : "c'est beau").
Si sa musique est bien enracinée dans le Blues (ce que Jo revendique bien volontiers), elle s'ouvre avec aisance à des genres proches. Ainsi, certains mouvements prennent des tournures Soul jusqu'à flirter avec le Gospel, quand d'autres se parent d'accents jazzy, Country même ("I Don't Live Here Anymore") ou plongent carrément dans un bain bouillant de Rock torride : façon Stones avec « Better Woman », façon Heavy-blues avec « Underneath the River », façon Cheap-Trick 80's (?!) meets Etta James avec « Heartstring ».
Pour preuve de l'étendu de son registre : sur son précédent essai, un live, elle reprend « Move Over » de Janis Joplin en lui insufflant une once de lyrisme supplémentaire. Et sur le net, on peut la voir interpréter le fameux "Ain't No Love in the Heart of the City", - popularisé, non pas par David Coverdale, mais par Bobby Bland -.
Si sur l'album, et apparemment en concert, Jo Harman délègue l'emploi instruments à autres, elle n'en est pas moins musicienne, ayant appris le violon, le basson et le piano. Ensuite, plus tard, elle passe à la guitare, qu'elle dit utiliser comme outil de composition (alors que l'on penserait plutôt au piano).
Évidemment, Jo Harman n'a aucun rapport avec les bimbos
vulgaires, les caricatures cartoonesques qui pullulent. elle ne projette pas cette sensation de préfabriqué, d'insondable vide derrière la façade.
S'il fallait faire un rapprochement, ce serait du côté de la regrettée Eva Cassidy et de Layla Zoe, voire de Melody Gardot, et même quelque peu de notre Gaëlle Boswell.
Rien que du matériel original, co-écrit avec Mike Davis (aussi
producteur et guitariste), parfois aidés de John McKenzie, le bassiste, à
l'exception de « Fragile », écrit par James Maddock, et
miraculeusement dans le ton de l'album. Superbe chanson, par la musique et le
texte : « Fragile is a Key. Fragile is a Door
where I wrote your name. A breath on the cold window, but now it’s gone ».
Un disque
qui porte bien mal son nom, car au contraire, à part « Underneath the
River », voire ses deux compères
Rock, il n'y a rien de « dirt » ici.
On peut ici honnêtement parler de beauté musicale, avec quelques mouvements frôlant l'état de grâce. Même le
titre de clôture, l'épuré « What You did for Me », et en dépit des
cinquante minutes déjà écoulées, parvient à donner le frisson.
Coup de Cœur
- I Shall Not Be Moved
- Worthy of Love
- (This is my) Amnesty
- Hearstring
- I Don't Live Here Anymore
- Sweet Man Moses
- Underneath The River
- Fragile
- Cold Heart
- Better Woman
- What You Did for Me
pour la route
Article paru initialement sur BCR La Revue.
D'abord le clavier porte un tee-shirt du Dead, donc déjà un a priori positif......et oui!!! et puis j'écoute les trois titres et là c'est plus de l'a priori , c'est de l'enthousiasme! C'est superbe et je m'en vais faire l'acquisition de cette perle. Merci cher Bruno.
RépondreSupprimerps: il va bien falloir que je m'abonne à BCR.....Depuis la disparition de "Crossroad" y'a plus de revue qui traitent de la musique qu'on aime, à part quelques fanzines spécialisés comme "Band of Dixie" de l'excellent D Demeslay. Et surtout ne me dis pas qu'il y a "Rock et Folk" parce que là je me fous en colère! Amicalement
Tu as l’œil, JP.
RépondreSupprimerCrossroads (Xroads) est une revue que je regrette sincèrement. Même si les derniers numéro étaient moins que ceux des premières années.