Il
y a deux semaines, nous vous avions promis un article complet sur le cinéaste
qui vient de nous quitter. Un RIP de 300 mots fait toujours chiche face pour
évoquer l'un des auteurs les plus populaires du cinéma hexagonal. Bien entendu,
il y aurait des milliers de choses à évoquer entre "j'ai connu une polonaise qui en prenait au
petit déjeuner…" des "Tontons flingueurs" et la nudité féline de Mireille Darc, psychopathe dans "Les seins de
glace" d'après un thriller de Richard Matheson, autre disparu récent… Une comédie, un drame psy… Georges Lautner n'était pas qu'un farceur qui
avec son pote Michel Audiard était devenu une
légende du cinéma fabuleusement hilarant, ou tout au moins poilant à l'époque de la coopération avec Jean-Paul Belmondo…
Et
puis autant me débarrasser de mes coups de gueule d'entrée. Dans les années 60-70,
Lautner agaçaient les critiques officiels,
apôtres de l'intellectualisme de la nouvelle
vague. Oui agacés par le succès de ses films. 40 ans plus tard, on
s'extasie, on rend hommage, on verse une larme de crocodile sur ce que l'on a vilipendé il y
a longtemps. Il est de bon ton de connaître par cœur les répliques des "Tontons flingueurs".
Oui, mais l'ancêtre du blog se rappelle du snobisme anti-Lautner dans la presse
spécialisée de l'époque. Oh, Lautner
n'était pas le seul à subir les avanies des plumes trempées dans le vitriol. On
reprochait tout pêle-mêle : le dégommage des règles du film noir, les dialogues
surréalistes, les scénarios soi-disant simplistes lorsque Lautner
s'attaquait à des sujets de société comme dans "Mort d'un pourri".
Il
semblait inimaginable de tourner des films où le public adhérait, en un
mot : se marrait, ou comprenait facilement un récit linéaire dans les
polars. Henri Verneuil fut une autre victime des
pisses-copie comme disait Ferré,
mais cela est une autre histoire…
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Georges Lautner voit le jour en 1926. Sa mère, Marie-Louise
Vittore, comédienne, se ferra connaître dans onze films de son fiston
sous le nom de Renée Saint-Cyr. Ado, il
fréquente le lycée Janson-de-Sailly (fichtre, la "classe"), mais il use
ses nuits dans les cinoches ou dans les teufs comme l'on dit de nos jours… Dès
le Bac en poche, il tente de percer, non pas les coffres forts, même si le jeune Georges est passionné
de polars, mais le monde du cinéma à renfort de petits jobs. Coup de bol, alors
que le service militaire est encore une corvée incontournable, il est incorporé
dans le Service cinématographique des armées. C'est toujours mieux que se geler
les c**s à attendre les voleurs de sacs de charbon dans une caserne ; c'est du
vécu, et donc que l'on ne me dise pas que la folie douce de Lautner ne flirte pas avec les réalités les
plus absurdes.)
Dans
le cinéma, débuter consiste à faire des rencontres. Pour Lautner
ce sera Marcel Bluwal, un réalisateur
de sa génération qui tourne des "dramatiques" et expérimente les
horizons nouveaux offerts par la télévision. (Les Perses en 1961, la série
Vidocq en 1967.) Il assiste Sacha Guitry, puis une collaboration va décider de son destin : celle avec le scénariste expérimenté
Pierre Laroche (5 films) et du chef
opérateur Maurice Fellous (23 films
!).
La
carrière de Lautner décolle en 1961 avec le "Monocle noir". Dans cette
parodie de film d'espionnage le réalisateur dirige le duo improbable entre Théobald Dromard (Paul Meurisse),
guindé, mondain et pince sans rire, et Trochu (Jacques Marin), titi parisien
un peu rustique mais fidèle, ou Monsieur
Poussin (Rober Dalban) dans les autres films de la série (même profil). Lautner
revisite le roman de Remy avec fantaisie. Le cinéaste veut en rire. Je me
revois gamin exploser de rire lorsque les deux compères explorent les
souterrains d'un château servant de repère de nazis, et tombent sur un os (au
sens propre du terme). Trochu s'en empare et, imperturbable Théobald
lui balance d'un ton badin "Laissez cela, c'est sale". C'est efficace,
déjanté et sans aucune faute de goût. Dans cette simple scène vue il y a 50 ans…
Tous les ressorts comiques de Lautner
sont présents.
Il
y a aura deux suites données aux aventures du Monocle : "L'œil du Monocle"
en 1962 et "Le monocle rit jaune" en 1964. Je ne cite pas toutes les scènes
d'anthologie comme celles montrant Paul Meurisse
nageant la brasse en smoking comme on danse la valse de Vienne, ou Robert Dalban commandant du museau
de bœuf dans un restau 4* !!
Après
le succès de ce "Monocle noir", en 1962, Lautner va tourner un drame
psychologique "Le 7ème juré"
qui montre l'étendu de son registre et le souci de s'entourer de scénaristes,
dialoguistes et acteurs qui forment une équipe permanente et fidèle ("le
bon temps" comme il dira peu de temps avant sa mort).
Dans
le drame "Le 7ème juré", Grégoire Duval, pharmacien de première
classe (Bernard Blier) tue une jeune
femme de petite vertu qui se refuse à lui. Il s'enfuit et Sylvain Sautral (Jacques
Riberolles), un photographe et ami de la victime est désigné
sans preuve suspect idéal. Forcément, il ne fait pas partie du cercle des
notables de Pontarlier ! Ironie du
destin, Grégoire Duval est le 7ème
juré lors du procès en assise. Et le Grégoire,
il en a marre de l'œil de Caïn qui l'obsède, des délibérations qui ont lieu plus fréquemment
au bistrot habituel des bourgeois du cru que dans le prétoire. Il intervient
avec virulence dans les débats, démonte l'accusation, Sylvain Sautral est acquitté, mais Grégoire finit par vouloir assumer
et se dénonce. Mais personne ne veut d'un notable comme coupable… Sa chère Madame Duval (Danièle
Delorme) tend ses filets pour envoyer son mari à l'asile… Un pharmacien
en vu et assassin, et puis quoi encore ! Fou, ça passe mieux...
Lautner tourne avec sa future bande, des comédiens sont à contre
emploi par rapport à leurs images traditionnelles : Maurice
Biraud en vétérinaire dépressif et misanthrope, Francis Blanche en procureur général
magouilleur et démoniaque, Robert Dalban
dans un petit rôle… Cette secte de nantis n'a rien à envier à la veulerie
d'un bestiaire à la Chabrol. En mieux filmé. (Même
si cette remarque fait grincer des dents.) Car Lautner
est un metteur en scène de génie et Maurice
fellous, son chef opérateur attitré, un artiste. Le noir et
blanc est somptueux. L'espace scénique toujours net, même avec les profondeurs
de champ les plus extrêmes. Lautner
filme les visages de près, joue avec les contres plongées. On pense à l’expressionnisme d'un Fritz lang
quand Grégoire monte pour la dernière fois l'escalier vers sa chambre,
dans un clair obscur qui doit faire songer à une montée à l'échafaud, avec une "grande
veuve" qui l'attend et qui porte le nom de Geneviève Duval. Les dialogues de Pierre Laroche sont déjà au centre de la réalisation... Ce n'est
pas un sujet qui prête aux "vannes" si piquantes soient-elles, mais les mots
d'auteurs fusent. L'ironie des répliques fustige tour à tour la bêtise (le patron du bistrot qui n'est jamais
revenu de ses soi-disant exploits lors des boucheries de la guerre, et veut
guillotiner à tour de bras), la cruauté ambitieuse du procureur transcendée par un Francis blanche
qui ricane de tout, l'écœurement de Grégoire
(en voix off), "fabriqué" depuis l'enfance et par "l'élite
locale" pour devenir le notable irréprochable qu'il n'a en fait jamais
voulu être, jusqu'à vouloir échapper de cette intelligentsia corrompue par un crime
de droit commun, un crime de petite frappe.
Le
style de Lautner, après ce films, et
le premier opus de la série des "Monocles" s'affirme : du rythme, des scénarios
bien écrits, des dialogues savoureux et le choix des acteurs qui conviennent à
merveille aux rôles, plutôt que de se plier aux dictats des producteurs. On en
reparlera… Le temps est venu pour le film culte "les Tontons
flingueurs" et la complicité avec Miche Audiard.
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L'accueil
par le public et les critiques est réservé lors de la sortie en salle des
"Tontons
flingueurs" adapté d'un roman d'Albert Simonin. Quoi écrire sur ce film que tout le monde a vu ou
verra ? C'est la première collaboration avec Michel Audiard, le prince du verbe, de l'argot et du bon mot assassin.
Le public est dérouté par cette histoire de fous entre gangsters qui
s'entretuent sans mourir (quoique) pour sauvegarder leur part de l'empire maffieux du
parrain surnommé le Mexicain (Jacques Dumesnil) qui
meurt au début du film… Dans cette univers de dérision, Lautner
met en scène un banditisme bon-enfant ou presque. Toute les scènes sont surréalistes
: la réunion des cadres ou Madame Mado (Dominique Davray), la mère maquerelle se plaint de
la défection des michetons à cause de la télé… La rage frénétique de
Raoul Volfoni (Bernard Blier) qui décide de volatiliser Fernand
Naudin (Lino Ventura) "façon puzzle" (prononcer u et non eu) …
La bataille dans la villa à coup de Poum poum ping ping des silencieux… etc.
etc. et je ne parle pas évidement de la scène de la cuisine qui à elle
seule explique le statut cultissime du film. (Quand on pense que Audiard voulait la supprimer.) Lautner pulvérise les lois du genre dans
les films de gangsters. A l'époque, ils sont bien sapés, polis et tirent la tronche pour régler
sérieusement des affaires d'hommes.
Lautner imposa Lino Ventura
(Jean Gabin fut pressenti ainsi que Paul Meurisse) pour le rôle de Fernand Naudin. La Gaumont n'était pas
chaude pour produire ce pastiche… On pourrait écrire un roman sur la production
et le tournage…
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"Les tontons
flingueurs" sera le prototype d'un autre film délirant : "Les Barbouzes".
On y retrouve Lino Ventura, Francis Blanche, Bernard
Blier et une petite nouvelle Mireille
Darc. Là encore les codes des films d'espionnage volent en éclat,
notamment et au sens propre lors de la bagarre entre Francis
Lagneau (Lino Ventura) et Commodore O'Brien (Jess
Hahn) puisque seuls les murs porteurs de la chambre d'hôtel
subsistent face à un monceau de meubles et cloisons fracassés. À noter la sérénité de Amaranthe Benard Shah née Antoinette Dubois (Mireille
Darc) qui prend un bain pendant le baston.
Ces
deux films sont les must de cette période des années 60. Les années 70 vont
être marquées par l'arrivée d'Alain Delon et
Jean-Paul Belmondo. Le travail entre le
psychorigide Delon habitué des plateaux
et du classicisme (je ne parle pas d'académisme, loin de là) de Jean-Pierre Melville et Jacques Deray et l'épicurien Lautner ne va pas de soi. Pourtant, deux
films importants vont voir le jour : "Les seins de glace" en 1974, un thriller morbide baigné dans
la musique dodécaphonique de Philippe
Sarde et "Mort d'un pourri" en 1977, un film sur les abîmes fangeuses de la politique et de la
finance en pleine période giscardienne.
Cinq
films seront tournés avec Jean-Paul
Belmondo de 1979
"Flic ou
voyou" à "L'inconnu dans la maison" en 1992. Seuls les deux premiers films
sont dialogués par Michel Audiard qui meurt en 1985. Dans le "Guignolo",
on peut s'amuser, mais la magie fantasque des années 60 ne se renouvelle pas,
à mon sens. Du comique de situation des "tontons flingueurs", Audiard dérive vers la farce pour
s'adapter au style farfelu de Jean-Paul
Belmondo.
Vers
le milieu des années 80, la puissance créatrice de Lautner
se ralentit, les succès se font rares, c'est l'époque de la bande du Splendid : des "Bronzés",
du "Père
noël est une ordure". Des
nouveaux styles se mettent en place. Fin des années 90, Lautner
tourne 3 téléfilms oubliés, puis le silence jusqu'au 22 novembre 2013…
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Deux
vidéos : La scène de la cuisine dans les "tontons flingueurs", à voir
et à revoir puis la bande-annonce des "Barbouzes"…
Un petit clin d'oeil du "Monocle" à la fin du films "les tontons flingueurs" ou Paul Meurisse apparait devant Lino Ventura.
RépondreSupprimerFaudrait qu'on m'explique pourquoi son film La route de Salina n'existe pas en DVD et encore moins en Blu ray!
RépondreSupprimerPeut être le dernier film de Rita Hayworth, avec une Mimsy Farmer craquante. Tarantino lui rend homage dans Kill Bill 2 avec une reprise de la zique quand Elle Driver rend visite à Michael Madsen au volant de son bolide sur une route poussiereuse.
Pour faire écho à ta remarque Juan, le 7ème juré a existé mais a disparu du catalogue. J'ai pu en parler grâce à une rediffusion sur la câble sur Ciné+ "quelque chose" la semaine passée.
RépondreSupprimerQuand on voit la profusion d'éditions diverses et variées de de Blockbuster (du simple DVD à édition Blu ray collector, director's cut, etc.. avec 6 h de bonus lénifiants).... on s'interroge, en effet !
Je n'ai jamais vu "La Route de Salina" (qui existait en VHS)... Bref deux films (au moins ) a édité en DVD.... Peut-être qu'avec la disparition de Lautner... Enfin là je rêve un peu !
même remarque, après t'avoir lu Claude je me suis précipité chercher sur le net le Dvd du 7eme juré pensant qu'avec un casting pareil le film devait être facile à trouver; et bien non que dalle!
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