- B'jour M'sieur Claude… Vous me donnez quoi à publier pour ce samedi
entre les fêtes ?
- Une petite chronique à propos d'un petit ballet célèbre ma petite
Sonia… un petit boulot…
- Ça en fait des "petits", vous n'expédiez pas la chose pour retourner à
vos agapes j'espère ?
- Non, point du tout ! Mais en cette période, nos lecteurs ont plein d'obligations, et donc je fais court, et puis le prélude à
l'après midi d'un faune à un charme… disons torride qui sera le bienvenu
en cette période hivernale…
- Houuu, Torriiide ! Pour une fois M'ssieurs Luc et Rockin' vont aimer le
classique…
Retour de l'ami
Debussy, musicien novateur, au caractère difficile, parfois hautain, homme à
femmes mais génial compositeur d'une certaine "évocation symphonique" :
La
Mer
qui avait fait la une de Deblocnot. Donc pour réviser "la vie, son œuvre"
comme on réclame au lycéen :
clic !
En écrivant cette courte pièce de 10 minutes qu'est le
Prélude à l'après midi d'un Faune,
Debussy
pose en 1892-1894 le premier
jalon de la musique moderne en France. Rien de moins ! De la même manière
que l'impressionnisme triomphe enfin en peinture, que le romantisme va
s'essouffler pour ne laisser le champ libre qu'aux deux grands du
postromantisme :
Mahler
et
Richard Strauss,
Claude Debussy
remise la tonalité et la forme sonate. La forme du prélude est totalement
libre dans sa forme. Le solo de flûte (thème du faune) est écrit de manière
chromatique.
Debussy
ne quittera plus dans ses œuvres ultérieures l'usage des nouveautés
harmoniques, usant fréquemment de la gamme tonale par exemple. Bref…
La pièce est inspirée d'un poème du poète
Stéphane Mallarmé
de 110 alexandrins (Debussy
écrira 110 mesures à 9/8). Ce poème évoque un
faune se mouvant lascivement
entre une petite sieste et des songes érotiques habités par les belles
nymphes et
naïades du voisinage… Malgré
ses désirs torrides exacerbés par une chaude journée, il ne pourra pas
"conclure" et retournera à son sommeil et à ses rêves coquins. Il n'est pas
possible d'imaginer un faune sans une flûte (de Pan ou autre modèle). La
flûte solo aura un rôle essentiel dans l'orchestration du prélude, et la
richesse langoureuse de sa romance a donné lieu à maintes adaptations,
notamment pour flûte et violon si on s'attache à celle la plus jouée.
L'orchestration se veut riche et colorée mais légère, dionysiaque. Celle de
la version originale comporte trois flûtes, les hautbois, bassons et
clarinettes par deux plus un cor anglais, quatre cors, deux harpes et des
crotales et un quintette à cordes dont une contrebasse. La version
orchestrale sera déclinée pour les ballets russes en
1912. Une palette sonore
féérique sans trombone, timbales et autres percussions puissantes, de la
dentelle…
La version pour ballet sera donc écrite pour la saison
1912 des ballets
russes
dont on a tant parlé dans le blog à propos de
Stravinski
et son
Sacre du printemps (un beau scandale au Théâtre des Champs Elysées), et
Ravel
pour
Daphnis et Chloé… Le titre devient
l'après midi d'un Faune
tout court.
Sur ce thème sulfureux, le danseur et chorégraphe
Nijinski décide de faire voler
en éclat ce qui reste de la danse académique. Même le patron des ballets
russes, Diaghilev, trouve que
ça part trop loin. C'est lé décorateur et dessinateur
Léon Bakst qui va soutenir
Nijinski dans sa voie. La chorégraphie imaginée par Nijinski
tient plus de la gymnastique rythmique et sportive que de la danse
classique. Il s'est inspiré des gravures de l'art grec et même des
mouvements désaccordés de malades mentaux. Il en résulte une chorégraphie
provocante, une désarticulation du corps, des contorsions inconnues à
l'époque. Les derniers soubresauts du faune s'endormant peuvent faire penser
à un orgasme !! La première a lieu le 30 mai
1912 dans un chahut
indescriptible alimenté par la bourgeoise bien pensante. La claque assurée
par
Ravel, Cocteau,
Rodin et autres visionnaires ne
suffit pas. Ce tumulte préfigure la folie de la création du
Sacre du Printemps qui aura lieu un an plus tard. Dans le Figaro, on peut lire : "Nous avons eu un Faune inconvenant avec de vils mouvements de
bestialité érotique et des gestes de lourde impudeur."
Pour illustrer mon propos, j'ai placé en fin d'article une vidéo d'une
reconstitution à l'identique de cette soirée mémorable de 1912 à
l'opéra Garnier en décembre 2009. À notre époque où le tutu a
encore ses adeptes, on peut admirer le modernisme de
Debussy, Léon Bakst et
Nijinski. La danse
contemporaine voyait le jour de saison en saison avec les ballets russes.
Grâce au chorégraphe imaginatif, la danse a évolué et ouvert la voie
à Jerome Robbins,
Carolyn Carlson, Maurice Béjart, Pina Bausch,
Angelin Preljocaj, Blanca Li...
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Parlons musique. Car ce ballet est devenu une pièce maîtresse des concerts
consacrés à
Debussy, au même titre que
La Mer
ou
Ibéria. Je vous en propose deux enregistrements très différents…
Quand on regarde la photo du sévère et dictatorial
Mravinsky
sur la pochette du CD, on ne pense pas immédiatement au mot… sensualité. On
n'attendait guère le perfectionniste chef russe qui détestait le disque dans
cette évocation d'un après midi d'un faune libertin dans la Grèce
mythologique. C'est mal connaître cet artiste qui, dans ce live capté en
concert en 1965, explore aux rayons X la féérie de cette partition. Le tempo
est idéal, sans lenteur alanguie qui nuit à la facétie de ce ballet. Dans la
rencontre avec la nymphe [5'30], le chassé-croisé des cordes se fait ludique
et espiègle, avec un legato dansant et charnel. Le son, malgré les
toussotements, est clair, lumineux.
Mravinsky
met chaque instrument en avant, notamment les crotales et les harpes qui
colorent si bien les jeux amoureux. J'avais déjà suggéré ce disque pour
l'extraordinaire
Musique pour cordes percussions et célesta
de
Bartók
qui le complète.
Le concert de
Leonard Bernstein
filmé à Rome avec
l'Académie Sainte Cécile
est l'antithèse de la vision de
Mravinsky. Vers la fin de sa carrière, le chef américain adoptait des tempos retenus
laissant ainsi la musique se déployer avec grâce. C'est le cas ici où, dès
les premières mesures, il joue la carte du rêve. Le faune s'étire, s'éveille
en songeant tendrement aux nymphes qu'ils convoitent. Il y a dans cette
direction une priorité donnée, à la souplesse, au mouvement (logique pour un
ballet). La flûte caracole avec douceur en évitant de se "la jouer"
concerto. [4'05]
Bernstein
apporte mystère et incertitude dans ce marivaudage antique. L'orchestre est
somptueux. Un DVD d'anthologie, et pour
Debussy, et pour
Bernstein. [6'40] La rencontre avec la nymphe est d'une lascivité, d'une sensualité
qui nous hérisse l'échine.
Je ne précise pas qu'il existe d'autres très beaux enregistrements : Boulez (2 fois), Charles Munch, Jean Martinon, Karajan, etc.
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Vidéo du centenaire des ballets Russes au Palais Garnier, décembre 2009 :
Le faune - Charles Jude -
La nymphe - Marie-Claude Pietragalla. La
chorégraphie est celle de
Vaslav Nijinsky. Les décors et
costumes sont à l'identique ceux de
Léon Bakst pour la première de
1912. Orchestre et son un peu
médiocres par rapport aux enregistrements commentés.
Le CD et le DVD
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