Que
n’a-t-on pas entendu à propos de ce film, Palme d’Or au dernier Festival de
Cannes, entre la récupération des anti-Mariage pour Tous, les déclarations des
actrices sur des conditions de tournage exécrables, les manquements à répétions
des conventions collectives du travail, les scènes ouvertement pornographiques
éprouvantes à tourner, le film qui creuse encore un peu plus le fossé entre les
spectateurs parisiens forcément lecteurs des Inrock, et les provinciaux à qui
ils ne resteraient que Dany Boon et Franck Dubosc pour les divertir le samedi
soir. Le pompon avec Steven Spielberg
(alors président du jury cannois, un vrai rebelle, gauchiste et
pédéraste, c’est bien connu...) soupçonné de s’immiscer dans la vie politique
française en primant ce torchon vulgaire et prétentieux, pour sauver les miches
de François Hollande… Sait-y au moins qui c’est, Hollande, le papa d’E.T ?
Et
si Spielberg et son jury avaient tout simplement assisté à la projection
d’un grand film de cinéma, radical certes, mais au sujet universel, magnifiquement
traité, et donc susceptible de plaire au plus grand nombre ? Parce que ça raconte quoi au juste ? Le passage de l'adolescence à l'âge adulte. Tout simplement. Le fait qu'elle tombe amoureuse d'une autre femme ne doit pas entrer en ligne de compte. Le sujet n'est pas là.
La
première chose qui frappe en sortant du film, c’est la manière dont Abdellatif
Kechiche maîtrise son récit, son montage. James Camerron ou Peter Jackson
devraient en prendre de la graine (et du mulet) eux qui aussi nous assènent des
films de 3 heures… A la sortie de projection, non seulement on ne s’est pas
ennuyé, mais il apparait comme une évidence que ce film devait être fait comme
cela. L’histoire se déroule sur plusieurs années (rencontre, amour et
séparation d’Emma et Adèle) et tout est d’une fluidité exemplaire. Observez
l’évolution des tenues, des couleurs, de la lumière.
La première partie du film est passionnante, Kechiche dépeint Adèle au travers sa famille, ses amis, son lycée, et ses cours de français qui résonnent dans sa vie. Kechiche capte des images formidables pendant ces cours. Il filme son héroïne comme une femme-fantasme, sexuelle, désirable, lorsqu'elle dort. Adèle se met à vivre devant nous, à exister dans sa complexité, les questions qu’elles se posent, les rencontres qu’elle fait. Dont celle de cette femme aux cheveux bleus, Emma. Un montage de plans millimétrés, regards croisés, impression à la fois fugace et indélébile. Le tout souligné juste avant d'un air de steel drums, irréel et féerique, comme dans un conte où apparait enfin la princesse. Adèle mettra du temps à la retrouver, et Kechiche fait vivre son souvenir par cette couleur bleu dont il truffe ses décors (les draps du lit) ou les vêtements. Adèle rencontre aussi Thomas, en terminale, avec qui elle a une histoire, qu’elle écourte. Et ce baiser à une copine de classe, au lycée. Tout se chamboule chez Adèle, mais ses sens la poussent à retrouver cette femme mystérieuse.
On
a parfois reproché le côté littéraire du film, allusion à cette scène où Emma
parle de Sartre à Adèle. Citations à l’appui, genre j’ai ressorti mon Lagarde
et Michard ! Mais ça colle, Emma cherche à séduire par sa maturité, briller,
de se poser en femme d’expérience face à l’ado. Un personnage difficile,
hautain, froid. Pas sympa Emma. Kechiche désamorce l’aspect sentencieux par la
réplique drôle d’Adèle, allusion à Bob Marley, pleine de bon sens. Ce côté
ampoulé est aussi présent dans la scène de rupture entre Adèle et Emma,
théâtrale, sans doute surjouée.
On
sait que Kechiche tourne beaucoup, essaie, modèle son film au tournage (comme
Chaplin, qui n’était pas un tendre non plus…), c’est le défaut que lui reproche
ses détracteurs. Mais ces plans permettent d’arriver quelque part, il s’y passe
des choses. Cette scène de rupture justement, que je trouve trop longue, mais
c’est tout à la fin qu’Adèle avoue enfin sa faute. Le spectateur la pensait
« innocente » sur la longueur de la scène, et patatras. Et si l’aveu
avait été dit plus tôt, montré plus vite, cela n’avait pas la même intensité. Le
dialogue entre Thomas et Adèle dans le bus nous en dit beaucoup aussi, grâce à
la longueur. Et la scène de la manif, dans la rue, où Kechiche cadre Adèle de
près dans le cortège. Et ça dure, ça dure… Et il se passe quelque chose, on
regarde Adèle, on la ressent.
Pour
ça, il faut les bonnes actrices, et Adèle Exarchopoulos est effectivement
époustouflante de justesse. A tel point que Lea Seydoux parait à côté de la
plaque dans quelques scènes, sonner faux. Un jeu froid.
Comme
dans tous les films de Kechiche, il y est question de classes sociales. C’est
frappant ici, sans doute même trop évident. Les repas chez les uns ou les
autres, le menu, le vin. Kechiche oppose deux mondes, deux classes, et chacun
reste à sa place. Adèle suit les conseils de son père, pragmatique, et s’engage
dans le métier d’institutrice, alors qu’elle est sollicitée par ses nouveaux
amis artistes. On ne se mélange pas. La lutte des classes c’est pour de vrai (ça
me rappelle LE GOUT DES AUTRES, de Jaoui !). Est-ce pour cela que l’amour
est impossible entre Adèle et Emma ? A propos de repas, n’écoutez pas les
mauvaises langues, ouais, Kechiche y filme des gens qui bouffent pendant 20
minutes, avec la caméra qui bouge tout le temps… Ces repas sont des scènes d’échange, aussi de
retour chez soi, ou de parade mondaine. Là aussi Kechiche y capte des choses,
des gestes, des regards, des mots. Et la caméra est stable !
D’ailleurs,
un détail, quand Adèle sort de la boite de nuit, juste avant de trouver Emma
dans un bar, on voit Kechiche et sa caméra dans le reflet d’une vitrine de
magasin ! Preuve qu’il cadre ses films ! Et dans la scène au bord de
l’eau, la caméra est si près des visages, qu’on voit le reflet de l’équipe
technique dans les yeux de Léa Seydoux !!
On
ne peut pas évacuer ce qui a fait polémique : les scènes de sexe. Par sa
méthode de travail, Kechiche cherche une vérité, chez son acteur, et donc, chez
son personnage. Repas, salle de classe, à la maternelle, Kechiche cherche à
rendre au plus juste l’état des choses. Il applique la même méthode aux scènes
d’amour. Ce qui signifie qu’il ne peut pas intégrer un filmage différent, du
glamour, de beaux filtres et des femmes qui se lèvent d’un lit pudiquement emmaillotée
dans les draps, comme on le voit dans 95% des films. Non, Kechiche montre deux
femmes faire l’amour, et ça ressemble à ça. Point barre. Il filme au plus près,
et à la fin de la scène, on entend même le crissement des mains sur la peau. Kechiche
dépeint une relation dans tous ses aspects, initiation sociale, sentimentale,
et sexuelle. Bon, même si dans le cas présent, ça tourne un peu au Kamasutra
pour les Nuls…
Qu’est
ce qui m’a agacé dans ce film ? Le nez qui coule ! Qu’on lui passe un
kleenex à Adèle, merde ! Pendant 3 heures ça coule, ça renifle, ça
pendouille ! Mise à part une petite baisse de régime dans la seconde
partie (plus conventionnelle dans le déroulement de l’intrigue), la durée du
film n’est pas un handicap. La méthode Kechiche, on adhère ou pas. Que son capital sympathie soit à -32 sur l'échelle de Richter, peu importe. Le
résultat est là : LA VIE D'ADELE est un sacré morceau ! Il ne faut pas reporter sur le film la haine qu'inspire l'homme derrière la caméra. Oublier son a priori négatif. Je comprends son point vue, lorsqu'il dit que son film a été sali, pollué, qu'il a presque envie qu'il ne sorte plus sur les écrans. Il y aurait encore des
dizaines d’heures de rush, de quoi monter l’équivalent de deux autres films. Je
serai assez curieux de les voir, pour comprendre ses choix.
La
semaine dernière, je parlais de GRAVITY. Quels points communs ? Une
intrigue simple, mais dont s’emparent des réalisateurs aussi maniaques l’un que
l’autre, qui chacun à sa manière cherche une vérité par la précision
documentaire. Et chacun adapte sa mise en scène, sa méthode, sans concession, pour toucher
au plus près le but fixé. Cessons d’opposer des genres, des styles, le cinéma
est multiple. Heureusement qu’on peut voir à une semaine d’intervalle deux
films si différents dans le rendu, mais profondément semblable dans la démarche
de leurs auteurs.
LA VIE D’ADÈLE, CHAPITRE 1 et 2
sc, prod, réal : Adbdellatif Kechiche
Couleurs - 3h00 - scope 2:35
Ben voilà, grâce à toi, maintenant je sais ... alors que depuis six mois, de grands "penseurs" dont la plupart n'avaient pas vu le film à Cannes ou en projo de presse nous disaient tout ce qu'il fallait détester chez Kechiche (chez la personne, pas dans son film). S'il fallait ostraciser ou "purger" notre monde de toutes les œuvres d'art faites par des sales cons, voire plus, y'aurait du rayonnage de libre dans les médiathèques ...
RépondreSupprimerMerci de toutes tes précisions, M'sieur Luc ...
T'as raison Lester, t'as 1000 fois raison, mais pour l'instant, j'arrive pô...
RépondreSupprimerPourtant, j'aime bien la guitare de Ted Nugent qui est un modèle de yankee-redneck-crétin-réac'.
Je me demande bien par exemple ce que l'on trouve de bien dans Céline, donc, là, facile, j'aime pas l'oeuvre, ouf, je suis sauvé !
C'est typiquement le genre d'oeuvre (film, livre ou disque) qui m'intrigue mais que je préfère découvrir une fois le soufflé retombé, car j'ai trop peur de ne point garder mon sang-froid...
Donc, j'y passerais certainement, mais en VOD, vu que mon vidéo-club a fermé et que ce genre de commerce n'existe plus, snif...
Pour l'instant, je suis quand même vénèr'... pas à cause de l'opportunisme de cette palme par rapport à l'actualité, car, après tout, le Prix Nobel, c'est devenu la même came...
C'est surtout, la tartufferie du réal' qui me gave :
« Je voudrais dédier ce prix et ce film à cette belle jeunesse de France qui m'a beaucoup appris sur l'esprit de liberté, de tolérance et du vivre ensemble, et je voudrais les dédier également à une autre jeunesse, celle de la révolution tunisienne, pour leur aspiration à vivre librement, s'exprimer librement, et s’aimer librement. »
Hé ben, Pépère a été décoré 2 fois par Ben Ali, en 2005 et 2008. A-t-il trop écouté Jacques Dutronc au 1er degré ?
Par contre, j'ai plus envie de lire la BD en attendant de me calmer. Mais je veux me trouver une édition plus ancienne que la ré-impression vue aujourd'hui à la FNAC avec l'affiche du film en 4ème de couverture. D'autant plus que l'auteure de la BD se désolidarise du film : zut alors !
Dernière remarque : James Cameron est un cuistre. OK.
Pour Peter Jackson, pas d'accord. C'est beau, c'est grandiose, c'est épique, c'est long, oui et alors ? Les opéras de Wagner sont longs eux aussi, va--t-on les raccourcir ? Faudrait demander au Claude Toon, il doit bien y avoir une version de Toscanini qui triple le tempo...
J'ai prévu un jour de me faire les 3 films du "Seigneur des Anneaux" en version longue d'un coup en une journée.
M'en lasse pas.
Hop !
et
;o)
BBP, la VOD c'est pour la télé, du petit écran... le cinéma c'est mieux en grand...
RépondreSupprimerPour Peter Jackson, oui c'est vrai, son King Kong est formidable. Pas vu le reste, les trucs héroïc fantasy c'est pas ma tasse de thé. Mais bon, ce n'est pas toi qui va me reprocher un peu de mauvaise foi ?!!!
Pour la "belle jeunesse de France" : je me disais aussi que son film était très "cosmopolitement correct". Un échantillon de chaque. Personne ne manque à l'appel. Le problème, c'est que ça se voit un peu trop !
Alors dans l'ordre :
RépondreSupprimerA lire Luc, j'ai envie de voir ce film. Comme beaucoup, la ménagerie médiatique m'avait gonflé ! Les actrices reçoivent une palme d'or (pas mal pour le CV), puis les minettes et les techniciens critiquent le boss (au moins ils ont du boulot). J'appelle ça cracher dans la soupe… J'ai passé un jour de ma vie sur un plateau comme "acteur de complément", ce n'était pas les cadences infernales…. Comme chantait Ferrat, il y a de la place en usine (enfin des places en usine, elles deviennent rares justement).
J'attendrai le DVD pour éviter d'avoir un mouvement social au niveau du périnée… 3H00, c'est long mais si ça se justifie…
Non BBP, impossible de raccourcir les opéras de Wagner. Les poèmes sont écrits comme les pièces de Racine ou Molière : Acte, scène, dialogue et monologue, pas de baratin pour ne rien dire… pas de récitatifs ou ballets un peu superflus "pour faire" joli et que l'on peut virer ! C'est 4H ou rien. Toscanini a dirigé Wagner mais il existe peu d'enregistrements, seulement des extraits. Tempos rapides mais pas au pas de charge. Italianisant et coloré… son d'un autre âge.
Pour les tempos soutenus : Boulez est très bien. Pour roupiller : Parsifal par James Levine, 4h25 zzzzzzzzzzzzzzzzz… insupportable !
Moi, j'aime bien les films de Cameron (je suis un grand enfant facile à contenter). Ouais, pas faux, ce n'est pas du cinéma philo mais c'est bien fait….
Mais moi aussi j'aime Cameron ! J'adore Titanic, 3h20, et pas chiant une seconde ! Je ne mets pas les deux styles en concurrence. Pour m'être refait Avatar l'autre dimanche à la télé, je pense qu'il y a juste moyen d'alléger un peu ces 3 heures (même remarque pour Abyss) qui est assez délayé (mais dans la flotte, c'est normal !!).
RépondreSupprimerEn ce qui concerne Kechiche, il semblerait que les tournages soient sous pression, et les cadences effectivement infernales. Il déclarait ne pas manger sur un tournage, pour gagner du temps. Sous entendu : vous devez être là quand je vous appelle, déjeuner ou pas. D'autant que le tournage a duré 2.5 fois plus longtemps que prévu, mais le budget, lui, est resté le même. Je crois que tourner pour Chabrol devait être plus agréable...
Il y a des fois où la mauvaise foi soulage le foie et redonne la Foi.
RépondreSupprimerDonc, amen !
Et allez en paix, mon Frère Luc.
Moi, je vais me resservir de cet excellent vin de Messe (un Medoc cru bourgeois).
Hips !
;o)