EDDY MITCHELL "Heros" (2013) par ROCKIN-JL

MONSIEUR EDDY

Autant le dire en préambule, cette chronique ne sera pas forcément très objective, tant  Eddy Mitchell fait partie de mon univers depuis aussi loin que je puisse me rappeler. A 71 ans il publie là son 35eme album studio, hé oui, je n'étais pas né que les Chaussettes Noires éteint déjà rangées au placard de l'histoire du rock… Si la perfide Albion se demandait si elle était Beatles ou Stones, chez nous on demandait parfois "t'es Eddy ou t'es Johnny", moi mon camp a toujours été celui du premier. Eddy c'est la variété française dans ce qu'elle a de meilleure, ancrée dans une profonde culture folk-country-rock-blues, c'est un talent pour pondre des titres inscrits au patrimoine musical français ("couleur menthe à l'eau", "la fille du motel", "il ne rentre pas ce soir"...), c'est aussi un adaptateur hors pair ("le fou sur la colline" (Beatles), "après minuit"(JJ Cale), des Chuck Berry à la pelle ("c'est un rockeur", "à crédit et en stéréo"...) etc etc.

Et je n'oublie pas "La dernière séance" qui a façonné ma passion pour le cinéma, les westerns et les films noirs, Aaaah Burt Lancaster, Aaaah Alan Ladd! Mais ça c'était avant, au temps où la télé savait encore parfois être intelligente,  bien avant "les cht'is à Las Vegas" …

Ajoutons que sur une carrière aussi longue, Eddy a toujours su rebondir malgré quelques périodes de moins bien, et ce sans jamais sombrer dans la grosse variété qui tache tendance Obispo. A noter qu'il n'a jamais non plus étalé sa vie privée dans les torchons.

L'ORCHESTRE

Cropper/ Booker T/ Liza Blackwell/ Al Jackson/ Donald Dunn

Une autre constante dans la carrière d'Eddy c'est qu'il a toujours su s'entourer de musiciens de premier plan et comme nous allons le voir, ce présent album ne fait pas exception.

C'est une brochette de pointures -les héros du titre- puisqu'on va trouver ici:  à la guitare Steve Cropper, nul besoin de  présenter cette légende de la Stax qui a été derrière les plus grands succès de l'écurie de Memphis, que l'on a vu également dans les Blues Brothers. Autre légende, l'organiste Booker T lui-même, rappelez vous, Booker T et ses MG's (ci contre), avec Cropper et Donald Dunn, le groupe maison de Stax et ses fameux "Green onions"….

On continue avec carrément Bill Payne, pianiste et co fondateur  de Little Feat; Charlie McCoy, l'harmoniciste qui a accompagné Elvis, Dylan et Johnny Cash, et régulièrement Eddy depuis son "Rocking in Nashville" (1975), Jack Ashford, percussionniste de la Motown qui avec ses Funk Brothers a soutenu Marvin Gaye, les Temptations ou les Suprêmes. Vous en voulez encore?  Russ Hicks à la pédale steel guitar, un musicien de studio réputé de Nashville , Gabe Witcher au violon (Dwight Yoakam, Willie Nelson, Emmylou Harris), Lee Sklar et sa grande barbe à la basse ( plus de 2000 albums en tant que musicien de studio! America, Jackson Brown, Joe Cocker, Rod Stewart, Leonard Cohen, Crosby Stills&Nash, Toto, Barefoot Servants..) plus 3 batteurs, 2 guitaristes, des cuivres, des chœurs… Les batteurs justement parlons'en ! Rien moins que Vinnie Colaiuta (Jeff Beck, Zappa, Quincy Jones, Herbie Hancock, Satriani..), Matt Chamberlain (Pearl Jam, Peter Gabriel, Chris Isaack, Stevie Nicks, Elton John, Bowie, Springsteen..) et Peter Erskin (Weather Report, Kate Bush, Steely Dan, Al Di Meola, Diana Krall, Joni Mitchell..)  . Et au sax on trouve  Michel Gaucher qui a débuté dans les 60's avec les Chaussettes Noires et a joué depuis avec …tout le monde ou presque (Lavilliers, Souchon, Cabrel, Salvador, Dassin, Johnny, Iglesias, Jonasz, Véronique Sanson, Nino Ferrer, et très souvent sur les albums d'Eddy). La prod est assurée par Larry Klein (Joni Mitchell) et les arrangements de cordes par Vincente Mendoza "le meilleur arrangeur de cordes du moment" dixit Eddy.

 Alors avec une telle équipe on peut s'attendre à ce que ça roule tout seul, c'est ce que nous allons voir ou plutôt entendre ce que nous ont concocté Mr Eddy et Pierre Papadiamandis son compositeur attitrés depuis plus de 40 ans.

 

L'ALBUM

"Le goût des larmes" ouvre les festivités, une ballade country avec violons, c'est le Eddy tendance  crooner et ça il maîtrise bien. Mais ce n'est pas le registre que je préfère... Coté texte, comme souvent il chronique  la vie ordinaire des gens ordinaires, celle des fins de mois difficiles.

 

Ces gens ordinaires et si c'étaient eux "Les vrais héros", sur un Rhythm'n'Blues/Soul qui roule vraiment, cuivres tous voiles dehors, chœurs, et paroles bien troussées, ancrées encore dans le quotidien "les vrais héros d'aujourd'hui ne sont pas machos/ travaillent pour nourrir leurs gosses/ payent des impôts, des assurances, crédits auto"

 

"Premiers  printemps", une autre ballade typique d'Eddy avec un joli  petit coup d'harmo mélancolique  de Charlie McCoy. Dans le même genre nous aurons  plus loin "T'es pas doué pour l'amour"(sur les amours virtuels) et "La cour des grands", celle où joue Mr Eddy...

"Pour tuer le temps" est une reprise de la "Happy song"  signée Otis Redding / Steve Cropper, là on est en plein dans le "son Stax", sans s'en rendre compte on se prend à claquer des doigts et chantonner, allez on écarte les chaises et on danse, c'est quand même mieux pour ça que les daubes de David Guetta!

Et quel orchestre impeccable bien rodé, un assemblage de pointures, dont beaucoup ont déjà joué ensemble depuis des décennies, et ça se sent.

"J'veux qu'on m'aime", boogie woogie emmené par le piano virevoltant de Bill Payne, soutenu par les cuivre et l'harmonica de Charlie McCoy est un très bon titre qui s'emballe crescendo, du grand Eddy.

On connaît la passion d'Eddy pour le cinéma, et le bon, en voila une preuve de plus avec "Final cut" une chanson  amusante construite autour des titres de films du grand Alfred (Hitchcock), avec les chœurs de la Waku Family, les cuivres et l'orgue de Booker T qui  s'en donnent à cœur joie, certainement le titre fort de l'album.

"T'es seul, tu stresses, t'es mal" est une reprise de Hank Williams, une jolie ballade country marquée par l'harmonica plaintif de McCoy.

Beaucoup de mélancolie aussi dans "Léo", touchant hommage à Léo Ferré et encore un joli coup d'harmonica.

3 eme reprise avec "La complainte du phoque en Alaska" de Beau Dommage, le plus grand groupe francophone of all times (avis qui n'engage que moi) et une de leurs plus belles chansons, chantée en duo avec Nolwenn Leroy, jolie voix la bretonne.

Une spéciale Eddy pour finir avec la présentation des musiciens - à ma connaissance c'est le seul qui fait ça sur ses albums studios, chapeau - présenté conjointement  avec Jean Dujardin, et c'est l'occasion de petits solos des zicos, le tout  dans une bonne ambiance chaleureuse, à l'image du disque.

Un bon cru donc que ce nouveau  Eddy, plus soul/Rhytm & Blues que rock'n'roll bien sûr, mais des morceaux forts et une constante qualité musicale et il ne pouvait en être autrement au vu de la qualité des intervenants. De toute façon Eddy nous a rarement déçus. La grande classe quoi !