- B'jour Msieur Claude, c'est une nouveauté les symphonies de Brahms dans
le blog. Pourquoi la N°4 et pas débuter par la N°1 tout simplement ?
- Oh vous savez ma chère Sonia, elles ne se suivent pas au sens musical
et puis j'aime bien cette symphonie en particulier, surtout par ce
chef…
- Ah oui en fait c'est un coffret avec toutes les symphonies…
- Oui en effet, une compilation à prix imbattable de disques parus
séparément chez Dgg, une super réédition…
- Bon, j'attends la maquette et le lien pour l'écoute je suppose…
- Oui c'est plus sympa…
Les mélomanes ont souvent l'image d'un
Brahms
obèse arborant une barbe de prophète. Mais
Brahms
a aussi été un très beau jeune homme ! Excès de choucroute ou de bière,
voire les deux, allez savoir…
- M'sieur Claude, vous racontez des âneries et vous allez encore sortir
du sujet et irriter M'sieurs Luc et Rockin' !
- C'est vrai Sonia, un peu de sérieux, cela dit la bière allemande est
bonne… Oui bref, je laisse Philou traiter du sujet.
Né en 1833, le compositeur
allemand a attendu longtemps avant d'écrire les premières esquisses d'une
symphonie. Pour ces balbutiements, nous sommes en
1862, mais la
première symphonie
ne verra vraiment le jour qu'en
1876, soit 14 ans de travail.
Brahms
semble avoir souffert comme d'autres romantiques d'un complexe
d'infériorité face au testament symphonique génial de
Beethoven. Cette première œuvre a été précédée de
2 sérénades pour orchestre
agréables d'écoute et qui peuvent avoir eu un rôle d'essais
d'orchestration.
Cette crainte de la composition symphonique est d'autant plus curieuse
que le
concerto N°1 pour piano, un monument écrit dans la prime jeunesse (1859) d'un compositeur de 26 ans, dure cinquante minutes et comporte un
accompagnement symphonique impressionnant de maturité. C'est une œuvre
magnifique et ambitieuse qui sera copieusement sifflée lors de sa
création… Je vais finir par croire qu'en musique, la nouveauté est
toujours suspecte. Pour digresser : j'avais entendu vers 1975 la
8ème symphonie
de
Chostakovitch
; on a fini le concert, la salle à moitié vide (direction :
Rostropovitch
pourtant).
Mardi 12 novembre dernier, rebelote avec
l'orchestre de Cleveland… Mais là,
Chostakovitch
et sa 8ème, les musiciens et le chef
Franz Welser-Möst
ont bénéficié de 20 minutes d'ovation, public complet. Le temps est venu…
grâce aux radios spécialisées, aux CDs, que sais-je ?!
Bon, revenons au sujet et laissons
Brahms
a ses affres, son manque d'assurance face à l'écriture d'une symphonie
alors qu'il en a toutes les capacités, et faisons un saut dans le temps en
1884, date de mise en
chantier de sa
quatrième
et ultime
symphonie. La symphonie est créée en octobre
1885, non pas à
Vienne mais à
Meiningen. L'accueil est
assez glaciale, comme d'hab', le public trouvant la forme trop classique
par rapport aux
2ème et
3ème symphonies
créées successivement en
1877 et
1883. Il me fait marrer le
public. Certes l'œuvre est d'un romantisme assumé. Mais vous en
connaissez, vous, des finals de symphonie en forme de passacaille d'une
trentaine de variations, et qui s'éteignent en douceur, au lieu de
recourir à une simple forme sonate avec sa petite coda bien clinquante ?
Si, chez les grands :
Mozart,
Beethoven,
Mahler…
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En février 1968, j'ai 16 ans, et ce soir là j'assiste à mon premier
concert symphonique. Sur l'affiche, sous
Orchestre
de Paris, il y a marqué
C.M. Giulini. Je suis mélomane débutant, j'aurais préféré lire
Karajan. La star discographique de l'époque.
Giulini, je ne connais pas. C'est drôle, quand on est ado, on a une culture
encore limitée, forcément. Et là, soit on se comporte comme une éponge
neuve qui absorbe toute nouveauté… soit, ben… on reste enfermé dans son
sachet. Et j'en vois beaucoup encore dans leur sachet 45 ans plus tard… et
paf !!
- Ça m'a l'air d'une vacherie sur le peu d'intérêt de nos contemporains
pour l'aventure culturelle M'sieur Claude…
- C'en est une, ma p'tite Sonia… Ça fait du bien de temps à autres !
Vous n'êtes pas concernée à mon sens !
- C'est gentil, mais je ne suis pas Bob l'éponge !! Ça me fait froid
dans le dos votre métaphore tordue…
Carlo Maria Giulini
a déjà brièvement présenté dans un article consacré au
concerto L'empereur
(clic) de
Beethoven. Je le comparais à un
Visconti de la baguette. Oui,
chez cet artiste né en 1917, violoniste et altiste de formation, il
y avait comme une noblesse dans la direction. Un homme grand, aux gestes
élégants et précis. Ses tempos se voulaient retenus comme pour libérer
chaque note, chaque liaison dans les partitions. Pendant la seconde guerre
mondiale, cet antifasciste et humaniste déserte et parvient à survivre au
conflit. La paix venue, il va diriger les meilleurs orchestres de la
planète, le
Philharmonia, Le
Philharmonique de Los Angeles, La
Scala de Milan
comme directeur et bien d'autres comme chef invité, notamment le
Symphonique de Chicago.
Contrairement à plusieurs grands chefs de sa génération,
Giulini
n'était pas adepte des intégrales, sauf pour
Brahms
et ses symphonies dont il a laissé plusieurs gravures dont celle commentée
ce jour avec le
Philharmonique de Vienne. Il avait également enregistré plusieurs fois les concertos pour piano
de
Brahms
notamment avec
Claudio Arrau
chez EMI, une interprétation restée légendaire. Dans son répertoire
gravé au disque, on doit signaler les
symphonies
1 et 9 de
Mahler
(EMI/Dgg), les
symphonies
8 et 9 de
Bruckner
(Dgg), une
3ème "héroïque"
de
Beethoven
à
Los Angeles
(Dgg), et enfin, voire surtout, deux incontournables : un
Don Juan
de
Mozart
avec le
Philarmonia
et un
Requiem de
Verdi
avec le même orchestre (EMI).
Carlo Maria Giulini
nous a quittés en 2005, à l'âge de 88 ans et après une très courte
retraite.
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L'œuvre
comprend quatre mouvements suivant le découpage classique à cette époque.
L'orchestration est celle de l'orchestre romantique : 2 flûtes, 2
hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 1 contrebasson, 4 cors, 2 trompettes,
3 trombones, timbales, triangle, cordes.
Brahms
a choisi la sombre tonalité de mi mineur.
1 - Allegro non troppo
: Noire, blanche, soupir, noire, blanche, soupir… Une ondulation
arythmique des violons introduit un thème houleux, des vagues, mais
lesquelles ? Le flot du Rhin ? La mouvance des eaux fangeuses du port
d'Hambourg qu'il a si bien connu ? Quelques glaciales rafales de vent ?
Quel univers
Brahms
entend-il nous faire partager ? Une atmosphère descriptive à la façon
"pastorale" de
Beethoven
? Peut-être. Les entrelacs d'une réflexion métaphysique d'un
Bruckner
? Surement pas, il détestait le symphoniste mystique autrichien. Tout le
mystère de la musique de
Brahms
se manifeste dans ces premières mesures. Et si
Brahms
ne faisait que composer de la musique pure, un matériau sonore brut,
laissant moins de place à l'image qu'à l'émotion ? On parle souvent de
l'élégie chez
Brahms, de cette complémentarité entre la nostalgie et la poésie. Pendant cette
ondoyante entrée en matière, les bois entonnent quelques notes, des feux
follets sonores. La magnifique couleur cuivrée des cors de
Vienne
nous interpellent. [4'39"] une fausse reprise du thème initial, souligné
d'un subtil dialogue des bois, permet au compositeur ses premières
fantaisies, soit un premier développement aux variations plus inquiètes.
La pseudo lenteur de
Giulini
ne se constate que sur les durées inscrites sur le livret. Sa direction
cisèle le flot orchestral, magnifie ces infinis détails, une caresse par
ci, une étreinte par là… Le maestro développe avec minutie chaque mesure
et évite ainsi toute lourdeur germanique parfois rencontrée dans des
interprétations plus précipitée. La musique ondule, virevolte. On sent
dans cette direction un souci d'évoquer le
Brahms
chambriste. [12'15"] Dans le développement final aux accents pathétiques,
certains souhaiterons plus de furie (Karajan
1964).
Giulini
ne concède aucune coquetterie, rejette tout pathos, et la légèreté du
discours obtenue de la
Philharmonie de Vienne
n’atténue en rien l'obscurité voulue par
Brahms dans ce dramatique testament symphonique, l'œuvre d'un poète de l'époque
romantique qui sent l'âge le gagner.
2 - Andante moderato
: deux croches, croche pointée et double croche, et on reprend. Deux temps
répétés trois fois… Même principe de répétition rythmique d'une cellule
initiale aux cors et aux bassons que dans l'intro de l'allegro. Vous allez
me dire : "le solfège, on s'en fout" ! C'est votre droit. Mais, contrairement à ce que je lisais d'un
commentateur sur Youtube, le rythme est loin d'être absent en musique
"savante". À partir de ce thème répétitif,
Brahms
tisse une mélodie tendre et mélancolique. [3'00"] une immense litanie aux
violons se prolonge par un passage langoureux d'une beauté sonore qui
prend aux tripes. Toujours ce recours à l'élégie chez
Brahms, sa signature, et aussi la maîtrise absolue du contrepoint, des
variations, techniques qui apportent une richesse thématique inouïe, une
obsédante dualité entre la sérénité et l'angoisse. [7'46"] Comme en écho
aux ultimes mesures de l'allegro introductif, le mouvement se développe
tragiquement, une plainte, un cri scandé par la timbale. Mais la noble
litanie déjà entendue interrompt ce moment de faiblesse, de doute, pour
conduire cet andante rêveur vers une conclusion apaisée. Avec
Giulini, jamais les cordes de
Vienne
n'ont été aussi belles comme aurait pu écrire Flaubert… Heuuu, elles le
sont souvent à vrai dire, mais bravo à l'ingénieur du son.
3 - Allegro Giocoso – poco meno presto – Tempo I
: Un scherzo rageur, dans lequel s'entrechoquent dans les premières
mesures les rugissements des cors, les cris des bois, le staccato agreste
des cordes.
Brahms s'érige en esprit vengeur et goguenard. Le triangle, nerveux, sonne le
tocsin. Pourtant, curieusement dans cette symphonie plutôt sombre, tout
cela ne paraît ni sérieux ni empreint de gravité. On retrouve dans ce
court et vigoureux mouvement les racines populaires et l'énergie champêtre
des danses hongroises.
4 - Allegro energico e passionato – Più allegro
: C'est une passacaille, et même une chaconne articulée autour d'un motif
de 8 mesures empruntés à
Bach
(Cantate BWV 150 d'après mes sources). Je parlais de l'art du contrepoint
comme une constante dans le mode de composition de
Brahms. D'ailleurs le mouvement commence d'une manière sévère pour bien marquer
cette filiation avec l'art du Cantor, époque luthérienne.
Brahms
va architecturer 31 variations dans un climat passionné à partir de cet
élément. C'est d'une richesse d'invention qui ne se commente pas. Il faut
se laisser entraîner. Un passage méditatif, [3'41"] avec une flûte solo
plongée dans la solitude au milieu de quelques cordes discrètes, est
surprenant par sa durée au centre d'un final. La flûte cédera la place à
la clarinette puis aux cors. Trois minutes offertes par un orchestrateur
de génie.
Giulini
ne bouscule rien, laisse s'épanouir chaque pupitre avec liberté, illumine
chacun de leur frémissement. J'ai entendu tant de concerts brouillons et
épais car joués au pas de charge.
Giulini
dans cette intégrale, c'est
Brahms
rendu à la quintessence de la poésie.
Giulini
en colorant cet allegro de teintes automnales restitue à cette symphonie
son mystère crépusculaire et flamboyant, magie héritée des symphonies
précédentes. Il redonne un éclat doré souvent absent des interprétations
plus rudes, plus teutonnes. Sous cette apparente douceur, sourdent la
tragédie et la solitude dans cette symphonie contrastée, joyeuse et
émouvante à la fois. Quant au soi-disant classicisme de
Brahms…
Schoenberg
lui-même considérait ce compositeur
comme l'un des plus novateurs de sa génération…
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La
discographie des symphonies de Brahms est pléthorique au-delà du raisonnable. Bien
entendu,
Furtwängler
a donné une lecture visionnaire de la quatrième en 1943, à
Berlin. La qualité du son étant hélas celle d'un mobile en train de perdre son
réseau, elle est réservée aux admirateurs du maestro allemand. Je la
connais, il faut avouer que la manière de déchirer les tensions internes
de l'andante est poignante. Les tempos sont très proches de ceux de
Giulini… (6/6).
J'ai choisi des versions très différentes de l'approche méditative de
Giulini
pour ceux que les tempos trop lents indisposent…
Herbert von Karajan
a enregistré au moins 3 fois le corpus avec le
Philharmonique de Berlin. J'ai découvert ces symphonies avec la version réalisée dans les années
60. DGG a eu l'idée
judicieuse de proposer un double album en puisant dans des intégrales de
deux époques pour obtenir un Best Of. La 4ème de 1978 a été
préférée à celles des années 19887-89 retenues pour les autres. Avec
Karajan la fougue dramatique est au rendez vous avec une interprétation en 39' !!
Et pourtant, aucune virtuosité ne vient gâcher une approche élégiaque
presque incantatoire (Dgg –
6/6)
Avec
Carlos Kleiber, les amateurs de mise en place métronomique seront en joie.
Philharmonie de Vienne, une fois de plus, et lui aussi des tempos énergiques. Cela dit, on peut
se demander où est passé le romantisme Brahmsien ? (Dgg
– 5,5/6)
Enfin,
Bernard Haitink, dans sa discographie infinie, a abordé avec talent et clarté l'univers
de
Brahms. La dernière mouture à Londres en 2005 est un bon équilibre entre le
legato passionné de
Karajan
et la sécheresse de
Kleiber
(LSO - 5/6)
Le petit label DoReMi a
réalisé un miracle avec des bandes de radio de concerts donnés à Vienne
par le
philharmonique de Leningrad
dirigé par
Mravinky. C'est époustouflant et complètement décoiffant. (Un album de 2 CDs
Difficile à trouver et cher – 5/6). Les tempos sont ceux d'un Blockbuster
! Enfin l'interprétation chambriste et paradisiaque de
Kubelik
captée en 1956 avec la
Philharmonie de Vienne
(son un peu tassé) n'est plus éditée, dommage (DECCA
– 6/6)
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Je n'oublie pas les amateurs de
vidéos… (Voir les instruments est une aide précieuse pour pénétrer une œuvre
symphonique !) Voici un concert live de
Carlo Maria Giulini
dirigeant à 80 ans la
Concertgebouw d'Amsterdam
de Berlin
de 1979. Les tempos sont assez identiques.
Giulini
avait atteint l'âge où la sagesse et la renommée (qu'il ne cherchait pas
de manière hédoniste) exclut la virtuosité un peu vaine…
Si vous avez aimé cet article et Brahms, RDV avec son
Requiem Allemand par Karajan (clic) et les deux
quintettes pour
alto, et clarinette (Reclic).
la quatriéme de Brahms et la magnifique tragique ouverture. Moins connu que la première symphonie mais plus que la deux et la trois. Comme toi j'ai connu Brahms et ses symphonies avec le coffret chez Dgg de la version de Karajan en 1964. J'ai écouté la version de Kleiber ( j'avais apprécié son interprétation du "Der Freischütz" de Weber et aussi de la 8 éme de Schubert (chez Dgg), mais sa version de la 4 eme de Brahms est "froide"; comme tu le dis toi même, sans romantisme. Carlo Maria Giulini reste pour moi le top pour l'intèrprétation de la 1er symphonie de Malher ( avec celle de Rafael Kubelik) (chez EMI), du trouvère de Verdi avec Placido Domingo ( chez Dgg) et du concerto pour violon de Brahms avec Itzhak Perlmann et le Chicago en 1977
RépondreSupprimerHorreur, je découvre que je n'ai pas la 4ème symphonie de Brahms dans ma petite discothèque !!!
RépondreSupprimerPar contre pour GIULINI, chef de grande classe, effectivement comparable à VISCONTI
avec qui il a travaillé pour une mémorable TRAVIATA avec CALLAS en 1955 (à vérifier, pas d'enregistrement à ma connaissance)
Deux autre enregistrements de VERDI, exceptionnels pour leur force dramatique :
RIGOLETTO, avec Placido DOMINGO, Piero CAPUCELLI, Ileana COTRUBAS....Wiener Philharmoniker,...
Il TROVATORE (le Trouvère), avec encore DOMINGO, Rosalind PLOWRIGHT,Brigitte FASSBAENDER...Orchestre di Santa Cecilia de Rome
GIULINI a claqué la porte de la scala de Milan, parce qu'on ne lui donnait pas assez de temps pour préparer les opéras.
Il est ensuite parti aux USA, Los Angeles.
Un commentaire lyrique, sous la neige des Alpes.
Mon cher ami anonyme des alpages enneigés....
RépondreSupprimerLa mémorable TRAVIATA n'a pas eu lieu en 1955 mais pour être précis le jeudi 19 janvier 1956. Visconti à la mise en scène en effet...
J'ai le fac-similé de l'affiche de la soirée sous les yeux (sur un tapis de souris offert par une charmante médiéviste de nos connaissances)
Merci de compléter la discographie exemplaire de ce grand bonhomme...
Il y a tellement de chef qui ont claqué la porte de la Scala pour diverses raisons (Toscanini à Mutti), qu'il devrait installé des rideaux...
Pas de neige mais frisquette la capitale...