samedi 5 octobre 2013

RAVEL : Daphnis et Chloé – PIERRE MONTEUX – par Claude Toon



- Non Sonia ! Ne me dites pas encore que l'image de ce CD penche, c'est un effet d'optique, tss tss…
- Ah oui, c'est vrai, cela dit, il me semble avoir lu des choses sur Pierre Monteux dans le blog !
- Oui dans la chronique sur le Sacre du printemps, c'est lui qui créa le ballet moderne de Stravinsky en 1911 avec un b**l indescriptible dans le public !!
- Ah ouiii, je me rappelle, une vraie bataille rangée… Daphnis et Chloé est aussi un ballet d'après ce que je lis…
- Oui et l'une des œuvres les plus ambitieuses de Ravel, c'est tout dire…

Lorsque Pierre Monteux réalise avec l'orchestre Symphonique de Londres cet enregistrement du grand Ballet Daphnis et Chloé de Maurice Ravel, il a… 84 ans !! Il sera d'ailleurs nommé directeur de l'orchestre anglais en 1961, à 86 ans, poste qu'il occupera jusqu'à sa mort à 89 ans. En tant que doyen de ce blog, je ne veux jamais rien lire de négatif sur le rôle des séniors dans la vie artistique, voire la vie tout court !
C'est l'une des versions de référence, une réussite, comme si le temps n'avait jamais eu de prise sur l'énergie et le talent de chef d'orchestre de ce petit homme courtaud aux bacchantes vaillantes. Né en 1875, au début de la troisième République, le petit Pierre étudie le violon et la direction d'Orchestre au Conservatoire de Paris. Il commence sa carrière comme second violon aux Folies Bergères ! Il joue de l'alto également et assiste André Messager lors de la création de Pelléas et Mélisande à l'Opéra comique
1911 va être le grand tournant de sa carrière lorsque le grand maître des ballets Russes, Serge Diaghilev, lui propose de remplacer Gabriel Pierné pour la création du ballet Petrouchka de Stravinsky. Les créations de chefs-d'œuvre vont s'enchaîner de 1911 à 1914 : Prélude à l'Après-midi d'un faune de Debussy, de nouveau Stravinsky avec Le Sacre du printemps et Le Rossignol, Daphnis et Chloé de Ravel (en 1912) et enfin le Coq d'or de Rimski-Korsakov.
Pierre Monteux montre ainsi son goût pour le ballet et la musique russe, et surtout cette faculté de relever les défis des musiques nouvelles. Pour le Sacre du Printemps, il faut une trentaine de répétitions pour que l'orchestre maîtrise la polyrythmie sulfureuse imaginée par Stravinsky. Le soir de la première, le public est compétemment dérouté par la violence primitive et l'innovation du ballet. Un chahut indescriptible agite la salle, Ravel et Debussy sont debout et invectivent le public tout en criant au génie du compositeur russe immigré à Paris. (clic)
En 1916, bien que conscrit dans les tranchées, Monteux obtient l'autorisation de partir en tournée avec les Ballets Russes. Un périple qui va durer jusqu'en 1924. Il joue aussi au Metropolitan et porte secours à l'orchestre de Boston privé de nombreux musiciens partis guerroyer contre les teutons. De retour en France, il codirige le magnifique orchestre du Concergebouw d'Amsterdam à l'invitation de Willem Mengelberg.
1934 : retour sur le sol américain où Otto klemperer qui a fuit le nazisme lui demande de "sauver" l'orchestre de San Francisco en très petite forme. Monteux est également juif, il s'installe définitivement aux USA et obtiendra la nationalité américaine en 1942. Il va hisser l'orchestre de Sans Francisco au somment jusqu'en 1952. Et la qualité de l'ensemble de la côte ouest ne s'est jamais plus démentie, coaché par les plus grands comme Seiji Ozawa ou Michael Tilson Thomas.
La fin de de sa carrière à Londres a déjà été évoquée en introduction de ce paragraphe. De par sa longévité, Pierre Monteux a pu bénéficier des années microsillon et même stéréophoniques. La symphonie de Chausson enregistrée à San Francisco en 1950 reste un disque inégalé. Il existe quelques documents de Monteux en répétition. Du bonhomme émanait certes des exigences pointues sur la lecture de la musique, mais un respect des artistes et une grande douceur.

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Nous avions découvert dans le détail la biographie de l'un des compositeurs français majeurs dans la chronique consacrée au célébrissime Boléro et à d'autres musiques du musicien basque (clic).
Comme on l'a vu dans l'évocation de la vie de Pierre Monteux, Ravel a été l'un des membres les plus actifs de cette période bouillonnante des Ballets Russes, lors de leurs saisons parisiennes, une époque féconde où musiciens modernistes, peintres en vogue, et chorégraphe mettaient les petits plats dans les grands.
Le ballet Daphnis et Chloé a été écrit de 1909 à 1912 sur, bien entendu, une commande de Diaghilev. La durée exceptionnelle de 50 minutes en fait une symphonie chorégraphique.  Le chorégraphe russe Michel Fokine a participé à côté de Ravel à l'écriture de l'argument.
Le ballet évoque une histoire mythologique inspirée par le poète grecque Longus. Bien que divisée en trois parties, l'œuvre est exécutée dans la continuité. Le Berger Daphnis est amoureux de la bergère Chloé. Des pirates s'emparent de la jeune femme, mais l'intervention du dieu Pan réunira dans le bonheur les deux tourtereaux. La partition se veut bucolique, sensuelle, à l'opposé des déchainements d'un Stravinsky. Cependant l'effectif orchestral est impressionnant surtout au niveau de l'harmonie et des percussions. Il y a également un chœur mais qui psalmodie, pas de texte. Comme souvent c'est Léon Blakst qui a dessiné les décors et les costumes. Lors de la première en 1912 sous la baguette de Pierre Monteux, ce sont les danseurs vedettes Vaslav Nijinski et Tamara Karsavina qui assurent les rôles de Daphnis et Chloé.

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1 – Introduction et danse religieuse :
Un climat matinal, sombre et grave, constellé des notes de la harpe ouvre le ballet. La flûte introduit une première idée de soleil qui se lève, de nature qui s'étire. Les chœurs  interviennent et bientôt tout l'orchestre se réunit pour éclabousser de joie cette aube. Aube ou après-midi de torpeur propice à la sensualité, aux amours entre les deux protagonistes. Le chœur semble illustrer les nymphes recevant les offrandes de jeunes filles vivant dans ce lieu enchanteur. L'art de Pierre Monteux est bien là : une pulsation délicate et sensuelle, des enchaînements gracieux des motifs, l'excitation des sens. Aucune dureté, le solo de violon à [6'55"] clôt dans la rêverie cette introduction colorée, lumineuse, cette procession et danse sacrée…
Dans cet enregistrement, l'œuvre est découpée en douze plages, nous allons simplement en écouter quelques-unes parmi les plus représentatives du talent d'orchestrateur de Ravel. Le numéro des paragraphes correspond à la plage du lecteur placé en fin de chapitre.
5 – Danse de Lycéïon, scène des pirates :
Dans cette partie, une grande lascivité nous étreint, les cordes ondulent, les bois se font ludiques, le contrebasson annonce la scène plus violente avec les pirates. Ravel exploite des agrégats de sonorités très nouvelles pour l'époque, notamment pour les bois. Pierre Monteux distille le mystère et les inquiétudes de l'héroïne. Ce qui surprend dans cette partition c'est le chassé-croisé entre tous les pupitres : flûte, xylophone, clarinette, cordes, grosse caisse. La richesse du tissu orchestral est difficile à commenter de par sa profusion, écoutons l'extrait...
3ème partie : en écouter les 3 mouvements est de bon aloi… On retrouve toute la magie de cette longue partition en une petite quinzaine de minutes.
10 : lever du jour : L'aurore, une cascade. Les bois simulent les flots ondoyants, une orchestration limpide et délicatement capricieuse. Cette merveille musicale - on pense aussi à des chants d'oiseaux (flûte et picolo) qui partent dénicher quelques vermisseaux - se prolonge par une mélodie sensuelle aux cordes (aigües et graves). Il règne une poésie fantasmagorique dans l'univers des nymphes. La musique ne suit aucune forme sonate usuelle a priori (de succession de thèmes A et B suivie de leur développement). On sent une forme d'improvisation imaginative. Les personnages de cet éveil pastoral "antique" se poursuivent gaiement près d'un étang argenté. Question clarté du flot, Pierre Monteux assure une transparence et une douceur subtile, affichant une tendresse évidente pour les personnages de ce conte aux aventures voluptueuses.
11 – Pantomime : Dans ce passage, Daphnis et Chloé se taquinent accompagnés par une mélodie des bois. Fugacité, timidité des jeunes bergers, sensualité pudique, un passage orchestral de pure magie avec le diabolique et célèbre solo de flûte qui reprend le leitmotiv caractéristique du ballet. Ravel est un "monstre" envers ces musiciens ! Le chatoyant solo de flûte (Pan ?) se joue en continuité pendant deux minutes avant le premier temps permettant au musicien de reprendre sa respiration. Une "apnée" quasiment impossible à assurer, mais le flûtiste du symphonique de Londres arrive à le faire croire par sa virtuosité, et ainsi la malicieuse mélodie virevolte sans interruption.
12 – Danse générale : des éclats de cuivre et une joyeuse mélodie des bois alliés du tambourin annonce une réjouissante danse générale. Scandée par la caisse claire, une diabolique bacchanale s'élance mesure par mesure. On retrouve ici Ravel, génie de l'orchestration colorée. Comme dans la pantomime, le hautbois et la flûte vont s'affronter dans une joute audacieuse fortissimo. Encore un défi pour les deux solistes. Le chœur fait son entrée puis gagne en puissance crescendo pour donner le ton d'un fête collective. Pierre Monteux assure avec une précision d'orfèvre ce furieux final. Bien que l'effectif mis en jeu soit considérable, la musique se fait allègre et fougueuse mais sans une seule faute de goût ou once de charivari… Monteux-Ravel, encore un duo gagnant…

Nota : l'album proposé en couverture comprend également deux belles interprétations de la Rhapsodie Espagnole et de la Pavane pour une infante défunte enregistrées en 1961. Son excellent en cet âge d'or chez DECCA



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Même si le chef alsacien trouvait sa gravure décevante, le public a retenu comme un grand moment le Dapnis et Chloé de Charles Munch à Boston. C'est à l'image du style musclé de ce chef : bouillonnant et orgiaque dans cette Grèce bucolique quasi cinématographique, un soupçon virile comme vision. Comme toujours avec les disques RCA réalisés à cette époque (1955), le son stéréo est analytique, dru et dynamique (RCA - 6/6).
La réédition de l'intégrale Ravel par l'orchestre de Paris dirigé par Jean Martinon a fait la joie des fans de Ravel en 2008 ! En 1974, l'orchestre a pris des forces grâce à l'intervention (parfois orageuse) de Karajan et Solti après la mort de son créateur : Charles Munch. Directeur d'orchestre, compositeur, le français Jean Martinon a succédé à Fritz Reiner à la tête de l'orchestre symphonique de Chicago de 1963 à 1968. C'est tout dire ! Le style de Martinon, grand défenseur et magicien de la musique française est la clarté, l'élégance, un phrasé souple et poétique ; donc une direction de rêve aidée en cela par des ingénieurs du son de génie. Là est peut-être la troisième référence ?! (EMI – 6/6).
Claudio Abbado a signé à l'ère du numérique, avec l'orchestre symphonique de Londres, une sensuelle version aux couleurs italianisantes qu'affectionne ce chef. Hélas, la dynamique de la prise de son est telle que, même sur du matériel milieu de gamme, on n'entend guère les subtilités diaphanes de l'introduction, ou alors on monte le son et les voisins appellent les flics lors de la réjouissance finale. (En bref cette gravure nécessite un ampli sophistiqué - sans distorsion de mémoire par exemple – et au mieux un ampli à tubes haut de gamme). (D'où une note de 4/6, là ou 5/6 aurait été justifiée.)
XXX XXX

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Les vidéos de Pierre Monteux sont rares et de qualité moyenne. J'ai déniché celle-ci montrant le vaillant maestro dirigeant l'apprenti-sorcier de Paul Dukas avec le symphonique de Londres en 1961. C'est racé, humoristique, d'une verve et d'une jeunesse incroyables pour un chef de 86 ans



Pierre Monteux - Orchestre symphonique de Londres (1 album Decca)

4 commentaires:

  1. Pierre Monteux ses petits sourires sous sa moustache,et sa devise "Rien pour la salle, tout pour l'estrade". Monteux qui corrigeait les fautes de ses partenaires "Je n'ai pas de mérite, la partition est gravée là" disait-il en se touchant le front. La version de la Symphonie Fantastique de Berlioz (Une des nombreuses versions...) de 1961 reste une version de référence.
    Ravel reste un de mes compositeurs préféré, alors comment pourrais -je descendre en flamme "Daphnis et Chloé" et de surcroit par Monteux ? Il faudrait être soit fous soit inconscient ou alors être un blaireau... De Ravel ...évidemment !

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  2. Bon M. TOON, c'est quoi la bestiole sur la photo de M. et Mme MONTEUX, un caniche ou un hérisson géant faisant le beau.
    Ceci dit la musique c'est pas mal, surtout la version MONTEUX
    Il existe aussi un double cd des oeuvres orchestrales de Ravel, chez DG, par Seiji OZAWA et l'orchestre de Boston.

    mais alors l'histoire...
    ça se termine par :"à quoi Chloé connut bien que ce qu'ils faisaient paravent dedans les bois et les champs n'étaient que jeux de petits enfants."
    Certaines éditions anciennes de joli conte contiennent des gravures très suggestives.
    Avez-vous pensé à votre jeune public et à Sonia ?

    Un plouc de province perdu dans les montagnes.

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    1. mort de rire avec le hérisson géant, merci (on a des lecteurs observateurs, je l'avais même pas remarqué le toutou)

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    2. Cher vénérable Plouc

      Il s'agit d'un chien de race "barbet" empaillé et offert par Igor Stravinsky pour service rendu à l'humanité…

      Je suis stupéfait que, malgré l'attention méritoire que vous portez à mes articles, vous ayez "raté" celui consacré à Ravel par Ozawa et intitulé "RAVEL : LE BOLÉRO et AUTRES DANSES", chronique publiée en novembre 2011 et comprenant quelques lignes sur la suite symphonique N°2 de Daphnis et Chloé. Un bien beau disque, je vous l'accorde, mais peut-être pas une référence… comparé au panel d'artistes de ce jour.
      Oui, je sais, chère Sonia, ça se discute.

      Loin de moi d'insérer des images à caractère licencieux sur les ébats champêtres de Daphnis et Chloé. D'ailleurs, mes recherches sur Google sont restées infructueuses et ainsi la protection de mineurs et jeunes filles en fleur (Pour Sonia, rien n'est moins sûr) est assurée…

      Le citadin de la Butte aux Cailles alias Claude Toon

      Nota : pour Ozawa, voir : http://ledeblocnot.blogspot.fr/2011/10/ravel-le-bolero-et-autres-danses-par.html

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