Non, ce n'est pas une pochette de Hard-Rock allumé !!
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- Bonjour M'sieur Claude, encore au travail si tard ?
- Tiens, tiens, ma petite Sonia, vous tombez à pic ! Vous faites quoi ce
soir ?
- Ms's's'sieur Claude, je vous trouve bien indiscret et entreprenant… ben
heuuu pas grand-chose à vrai dire….
- Ca vous dirait une sortie nocturne sur un thème disons… genre messe
noire, je cherche une partenaire pour un rituel…
- Hiiiiiii, au secouuurs, M'sieur Toon veut m'offrir en sacrifice à
Satan… hiiiiiiiiiii, c'est un démoooonnn, hiiiiiiiiii…..
(C'est rigolo mon sens aigu de la persuasion… Enfin, je n'ai plus qu'à
courir après Sonia pour m'excuser de mes blagues nulles à propos de la
chronique….)
Un génie stimulé aux drogues dures ?
La nuit de Sabbat de la
symphonie Fantastique
de
Berlioz
(clic) sonne comme de la musique de chambre à côté de la danse satanique
imaginée par
Moussorgski. Bon, j'exagère, mais le prénommé
Modeste
déchaîne les démons dans sa féroce et courte partition avec une frénésie qui
a assuré sa popularité. Reprenons l'affaire à son début…
L'armée est là pour former des hommes, des vrais, n'est-ce pas ?
Modeste Moussorgski, qui y passera 3 ans, en reviendra si bien imbibé, que l'alcoolisme
restera son compagnon d'infortune, je devrais dire d'insuccès, et
l'emportera dans la tombe à seulement 42 ans, en
1881. Le tableau hyper-réaliste
de Repine ci-contre, peint une
semaine avant la mort du compositeur russe, montre sans conteste que le
bonhomme négligeait son hygiène de vie (hirsute, nez bien rouge, yeux
bouffis). Comme Edgar Poe,
l'opium faisait aussi partie de ses petits plaisirs coupables, et là, sans
modération. Et oui mes amis du blog, les musiciens n'ont pas attendu les
temps modernes du Pop-Rock pour se déglinguer à coup de stupéfiants.
D'ailleurs, le héros malheureux de
Berlioz
ne plonge-t-il pas dans ses délires en pleine nuit de Sabbat, car lui aussi
s'est shooté au laudanum. Mêmes causes, mêmes effets !!! Bon, je m'égare un
chouia.
Initié au piano par sa mère, l'autodidacte
Moussorgski
se tourne vers la musique après avoir abandonné l'ambition d'une carrière
militaire. Comme
Berlioz, autre "compositeur instinctif", son génie de l'innovation l'emporte sur
un talent académique que lui auraient apporté des études en conservatoire.
Il devient l'ami de
Nicolaï Rimski-Korsakov
(clic) qui le soutient face au mépris des inconditionnels d'une musique plus
formaliste, même si excellente (Tchaïkovski, ou le groupe "des cinq" avec
Borodine
entre autres).
Rimski-Korsakov
réorchestrera avec brio nombre d'œuvres de
Modeste Moussorgski
pour faciliter leur exécution publique, mais en atténuant leur modernité. Il
existe ainsi trois orchestrations de
La nuit sur le Mont
Chauve. Dans le travail originel de Moussorgski, le style et ses recherches lorgnent vers
Debussy, et même
Bartók
par le souci d'utiliser la musique populaire russe.
Les ouvrages de Moussorgski, peu nombreux, demeurent des jalons essentiels du passage de la musique
russe à l'ère moderne. Il commence, sans l'achever, un opéra inspiré de
Salammbô de
Flaubert. Ce projet témoigne de
l'attirance de
Moussorgski
pour des sujets hors du commun : la violence, la sensualité, les univers
sulfureux. L'opéra
Boris Godounov
met en scène l'histoire terrible d'un homme, qui, pour assoir son trône,
fait assassiner le tsarévitch, l'enfant futur tsar légitime. Le sujet,
shakespearien, inspiré par
Pouchkine, fait scandale par sa
liberté avec la réalité historique ! À ce chef d'œuvre de l'art lyrique
russe, on ajoutera
La
Khovanchtchina, autre opéra célèbre,
les tableaux d'une exposition
pour piano (qui sera orchestré par Ravel) et
la Nuit sur le Mont Chauve, poème symphonique, sujet du jour.
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La Nuit sur le Mont Chauve
Moussorgski
compose
La nuit sur le Mont Chauve
en 1867. C'est un poème
symphonique inspiré d'une nouvelle de
Nicolas Gogol, l'auteur de
Taras Bulba, et pour tout dire
l'une de ses rares compositions orchestrales. Rien d'étonnant à ce qu'un
personnage aussi tourmenté que l'écrivain maudit et dépressif ait donné du
grain à moudre à
Moussorgski par ses écrits sur un sabbat de sorcières.
Gogol se croyait pourchassé
par le démon, brulait ses manuscrits et se laissa mourir de faim (bien aidé
dans son agonie par des charlatans qui le saignaient à blanc).
Le programme de cet ouvrage parle de lui-même : transportons-nous sur une
montagne lugubre de la Russie… J'avais une analyse bien commentée que… j'ai
paumée ! Mais en résumé, voici l'argument :
- Les esprits du mal arrivent sur le lieu du Sabbat, grondement
souterrain ;
- Regroupement et invocation des sorcières ;
- Cortège diabolique pour inviter le malin ; Messe noire ; Sabbat ;
- Une cloche chasse les esprits…
- Lever du jour, retour à la sérénité.
En 1867, la partition est
terminée et orchestrée par
Moussorgski
lui-même. L'œuvre n'est hélas pas jouée en l'état et en
1886, après la mort du
compositeur,
Rimski-Korsakov
la crée avec sa propre orchestration, excellente mais plus sage et moins
"barrée" que l'originale. En fait, à l'époque on a perdu l'orchestration de
Moussorgski
(ça n'arrive pas qu'à moi les égarements) qui sera retrouvée en
1968.
Claudio Abbado
en sera un ardent défenseur dans ses concerts des années 70, j'y étais…
C'est néanmoins l'édition de
1886 revue en
1906, qui est la plus jouée, et
que l'on va parcourir en premier avec un grand demiurge :
Fritz Reiner
avec l'orchestre de Chicago… Je parlerai de la version originale de 1867 en quelques mots plus
loin…
[0"] les esprits malins et les sorcières arrivent au son des grincements
des cordes (c'est noté "Presto feroce" de mémoire). Les traits des
contrebasses et violoncelles, très sollicités, évoquent des grondements
souterrains, un vent violent et mauvais. Pour noircir le tableau, les
trombones font entendre leur voix puissante [13"]. Ce n'est pas terrifiant,
plutôt amusant et cocasse. Je me demande dans quelle mesure
Rimski-Korsakov
n'a pas pensé à une utilisation lors d'un ballet.
Berlioz
avait déjà exploité l'esprit sarcastique tout à fait légitime dans cette
magie noire de théâtre dans sa symphonie fantastique. [38"] réexposition.
[1'05] le cortège accompagnant le grand bouc chemine. L'orchestre semble se
prosterner dans ce qui annonce la messe noire. Les motifs brutaux
s'entrechoquent frénétiquement. La musique rugit, mais l'habilité de la
partition et de l'orchestration évite tout charivari un peu vain (Reiner
n'y est pas pour rien). [3'04"] La messe noire se déroule dans des
chuintements staccato des violons. Jusqu'à la sonnerie de la cloche [6'25"],
la folie démoniaque s'empare de l'orchestre où tous les thèmes virevoltent
dans une ronde instrumentale et furieuse. Cette petite œuvre d'une douzaine
de minutes est un exemple rare de la richesse et de la fantaisie des
couleurs que l'on peut obtenir d'un grand orchestre symphonique romantique,
sans se répéter à longueur de mesure. Cela explique sans doute sa popularité
et l'intérêt que porta
Disney pour l’illustrer dans
Fantasia, hélas dans une
adaptation au désordre bien dommageable. Après la sonnerie de la cloche,
esprits et sorcières de dispersent au son d'une jolie mélodie lascive des
cordes rejointes par les harpes. La sérénité est revenue après la fureur.
[8'20"] les harpes accompagnent un solo de clarinette qui symbolise le lever
du soleil, le retour de la lumière. Une flûte reprend ce thème de paix. La
douceur de cette conclusion frappe par son contraste avec la démence
symphonique qui l'a précédée.
Nota
: en anglais, le titre de la partition mentionne que ce rite diabolique se
déroule la nuit de la Saint-Jean.
L'écoute de la version originale de
1867 dirigée par
Abbado
est une belle expérience. Le climat est âpre et violent dès le début où les
timbales martèlent l'arrivée des esprits, tandis que toute l'harmonie est
utilisée comme un kaléidoscope sonore pour créer une ambiance de folie
démoniaque. C'est totalement fantasque et beaucoup plus moderne que le
travail esthétisant de
Rimski-Korsakov.
Moussorgski
fait appel à un staccato sautillant et à des timbres étranges voire
malsains. Il recourt à de nombreuses percussions comme le Tamtam encore peu
utilisé vers 1867. C'est cette sauvagerie que
Rimski-Korsakov
a gommé. L'ami orchestrateur avait compris qu'un tel modernisme aurait
troublé le public. Par moment on semble entendre du
Bartók
ou du
Janacek
!
Moussorgski
avait des dizaines d'années d'avance sur son temps. Les deux éditions ne se
font pas concurrence, mais j'avoue un faible pour l'imagination débridée de
Moussorgski, sacré bonhomme ! Le final n'est pas évanescent comme chez
Korsakov, mais joyeux comme si une guillerette fête de village chassait les
cérémonies démoniaques…
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Quelques disques d'enfer
Tous les chefs ont enregistré ce morceau de bravoure un jour ou l'autre. Ce
n'est pourtant pas une musique si facile à mettre en place. Le mauvais goût
guette les chefs un peu trop hédonistes. Pour la discographie, la chronique
répond déjà au sujet.
Fritz Reiner
à Chicago reste un modèle pour
l'édition
de
Rimski-Korsakov
de 1906 par sa nervosité, sa clarté, bref toutes les qualités que
l'on a déjà reconnues à ce chef dans ce blog. Un disque
RCA de la grande époque
proposant aussi une version magique des
Tableaux d'une Exposition
(5/6). Pour la version originale de la main de
Moussorgski,
Claudio Abbado
l'a enregistrée au moins deux fois. La vidéo ci-dessus est issue d'une
gravure Sony réalisée à
Londres en
1984, difficile à trouver. Une
interprétation sous amphétamine. Le chef italien a récidivé chez Dgg. Dans
les deux cas, les CD sont passionnants car complétés d'œuvres de
Moussorgski
peu connues qui font donc le bonheur des mélomanes curieux (Dgg 5/6).
Enfin, quitte à me fâcher avec les puristes, j'aime beaucoup le CD de
Valery Gergiev
enregistré avec le
Philharmonique de Vienne
(rien de moins). Le chef russe, à défaut de jouer les sorciers déjantés,
offre une lecture acérée et en relief, bien servie par une prise de son live fabuleuse de 2002. Un beau programme
Moussorgski
complète le CD. A oui, j'allais oublier, c'est l'orchestration de
Rimski-Korsakov. (Philips - 4/6)
Fritz Reiner et Abbado (RCA)
J'ai toujours trouvé en regardant le portrait de Moussorgski que Gille Servat lui ressemblait. Mais même si le breton est reconnus pour bien lever le coude, la comparaison s'arrêtera au korrigans, pas de nuit sabbatique! "Une nuit sur le mont chauve", une chronique qui n'est pas tiré par les cheveux.
RépondreSupprimerPlutôt Alain Bombarb, non ?
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