- Mais… M'sieur Claude… Elle a une petite tête cette violoniste où c'est
un effet d'optique ???
- Petite tête !? Sacrée Sonia ! Ce n'est pas un violon mais un alto, d'où
cette impression. Harold en Italie est une symphonie avec alto solo…
- Ah, je comprends mieux… Vous avez rédigé un RIP pour Colin Davis il y a
quelques mois me semble-t-il ?
- En effet Sonia, le chef anglais disparu en avril était un grand
serviteur de Berlioz, d'où mon choix pour le CD, un enregistrement de
2003…
Nous étions déjà allés à la rencontre d'Hector Berlioz
dans la chronique consacrée à son œuvre phare : "La symphonie fantastique". Une chronique qui opposait par le sommet, sans les départager, les
interprétations de
Charles Munch
à
Boston
et de
John Eliot Gardiner
avec son
orchestre
révolutionnaire et romantique
(clic).
Berlioz
ou le compositeur maudit et mal-aimé, romantique et tourmenté par
excellence. Autodidacte, promu à une carrière de pharmacien, et qui préféra
devenir l'un des musiciens les plus innovants de son temps. Oui, innovant,
rejetant bien des académismes pour des formes plus instinctives et
couillues.
Harold
en Italie
est une illustration parfaite de cette inventivité.
Né en 1803,
Berlioz
compose et crée sa moderniste
symphonie fantastique
en 1830. Un soir de décembre
1833, de passage à Paris,
Niccolò Paganini
déjà âgé entend la symphonie et commande à
Berlioz
un concerto destiné à mettre en valeur un alto
stradivarius qu'il vient
d'acquérir.
Berlioz
estime qu'avec son timbre sombre et rugueux l'alto risque de ne pas trouver
une place très virtuose face à un orchestre dont il exploite désormais toute
la puissance et les couleurs les plus extravagantes. Il ne va composer ni un
concerto, ni des variations, ni Dieu sait quelle forme classique. Comme
d'habitude, il sort des sentiers battus pour composer une symphonie à
programme, où l'alto tiendra le rôle d'Harold, un personnage imaginé par le poète
Lord
Byron. Il s'agit d'un jeune
homme adepte d'aventures picaresques voire paillardes voyageant sans cesse
en Italie. À l'instar du héros de la
symphonie fantastique, le personnage "musical" est porté par des leitmotive, mais ici, c'est
l'alto solo qui se les approprie. On peut parler de symphonie avec alto
obligé… L'alto va occuper le terrain symphonique grâce aux thèmes qui lui
sont réservés.
Paganini, malade et un peu déçu par la partition qui ne met pas suffisamment l'alto
en vedette, ne peut assurer la création
d'Harold en Italie
en 1834. Il n'entendra le chef
d'œuvre (à mon sens trop éclipsé par la
symphonie fantastique), qu'en 1938. L'histoire ne
dit pas s'il pourra le jouer avant sa mort en
1840. Il est pourtant
enthousiasmé, même si comme tous les grands virtuoses, il aurait souhaité
encore plus de présence de l'alto dans la partition. Preuve que l'œuvre est
d'importance :
Paganini
a la réputation confirmée d'être avare, il va pourtant payer 20 000 Francs
or à
Berlioz. Une fortune et une aubaine pour notre génie français qui, comme tous les
précurseurs incompris, était fauché comme les blés, une constante de son
existence…
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Dans l'hommage que le blog avait rendu à
Sir Colin Davis, tout avait été dit sur le so british maestro, son respect de l'écriture
des partitions, sa direction fouillée et sans hédonisme, son art de
transfigurer la beauté sonore des plus illustres orchestres qu'il dirigea :
Symphonique de Londres,
Concertgebouw
d'Amsterdam
entre autres. (CLIC)
Et puis, il y avait cette symbiose
Davis-Berlioz, comme l'histoire du disque nous a apporté
Furtwängler-Beethoven
ou
Celibidache-Bruckner. Dans les années 60, le chef grava chez
Philips l'intégrale de l'œuvre
du compositeur français, une référence discographique qui n'a jamais quitté
le catalogue, avec notamment les enregistrements exemplaires des opéras.
Dans les années 2000,
Colin Davis
récidive avec une seconde quasi intégrale, de nouveau avec
l'orchestre Symphonique de
Londres. Les CD paraîtront cette fois-ci chez le propre label de l'orchestre :
LSO, en effet, de nombreuses
sociétés philharmoniques ont créé leurs propres labels devant le manque de
motivation des majors. Une nouvelle intégrale en 13 CD disponible soit en un
coffret unique, soit sous forme d'albums isolés.
L'altiste
Tabea Zimmermann
nous vient d'Allemagne. Elle a étudié l'alto dès 3 ans puis le piano. Mais
c'est en tant qu'altiste que sa carrière se déroule brillamment, et la
relative confidentialité de l'instrument explique qu'elle soit moins connue
que ses camarades violonistes. Elle se produit comme soliste avec les plus
grands orchestres et chefs de la planète. Le répertoire des concertos pour
alto est plus riche qu'on le pense en général.
L'artiste brille aussi dans le répertoire de chambre. Elle joue avec de
nombreux ensembles et sa discographie comprend les must des sonates pour
alto et piano (Brahms,
Hindemith, etc.) Elle a enregistrée notamment le difficile mais magique concerto
pour alto de
Bartók
qui n'a pas la place qui lui revient dans la discographie.
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Le romantique Berlioz ne pouvait que se passionner pour le sulfureux
écrivain et poète anglais Lord
Byron. On a beaucoup épilogué
sur le personnage : débauché, arrogant, obsédé, sadique, que sais-je encore
? On l'a même comparé au marquis de Sade, rien que cela ! Certes le
gaillard ne devait pas être un modèle de vertu, mais dans la prude
Angleterre, on ne badinait pas avec la moralité et les coureurs impénitents,
divorcés qui plus est. Le cinéaste
Ken Russell en a rajouté une
couche sur cette réputation glauque avec son film
Gothic, illustration d'une nuit
de folie orgiaque organisée par Byron en
1816 avec divers intellectuels
marginaux de l'époque dont
Mary Shelley auteur du
bestseller… "Frankenstein". Vous voyez le genre. Mais
Russell, comme à l'accoutumée,
délire encore plus que ses personnages. Un film qui flirte avec le cauchemar
et le gore :o)
Donc
Berlioz
plonge avec délice dans "Le Pèlerinage de Childe Harold
" écrit entre 1812 et
1818. Dans ce long poème,
Byron décrit les mésaventures d'un jeune homme déçu par sa vie de
débauche partant chercher l'aventure dans les pays étranger, dont l'Italie.
Ce personnage extravagant ne rappelle-t-il pas le héros tourmenté de la
symphonie fantastique
? De cette saga romanesque,
Berlioz va conserver quatre épisodes dans sa "symphonie-concerto".
L'orchestration d'Harold en Italie
retrouve la richesse de la
Fantastique
mais avec plus d'économie pour éviter de noyer le son de l'alto, instrument
à la voix discrète.
1 - Harold aux montagnes - Scène de mélancolie, de bonheur et de joie
(Adagio - Allegro)
Ce sont les cordes graves qui chantent la nostalgique introduction. Le
basson et d'autre bois interviennent avant qu'une mélodie mélancolique
déploie les premiers thèmes. Cette première intervention du basson, précise
et élégante, nous fait savoir que l'on va être face à une grande, une très
grande interprétation.
Colin Davis
veille à tout et notamment à cet équilibre subtile entre les pupitres de
l'orchestration somptueuse de
Berlioz. Chapeau à
l'ingénieur du son : le basson,
comme je le dis souvent, est toujours le parent pauvre du disque…
L'introduction se développe sous des nuages sombres. Il règne un climat
ténébreux lors des accords des cuivres. Pour l'instant, pour notre héros, ce
n'est pas la joie. [3'04"] L'alto fait son entrée pour dissiper ce climat
tragique. Le jeu de
Tabea Zimmermann
est précis et délicat, aux antipodes de celui d'un altiste qui profiterait
de la forme concertante de l'œuvre pour tirer la couverture à lui. [7'04"]
La seconde partie du mouvement se veut plus joyeuse, plus hardie. L'alto
virevolte dans une danse héroïque. L'orchestre lui répond par un jeu viril
et fluide de motifs des plus agrestes. Ce qui frappe le plus dans
l'interprétation des deux artistes, c'est le refus de toute brutalité
symphonique. C'est léger et musclé à la fois, très ludique et d'une clarté
assez bluffante. L'humour est présent au détour des mesures de la coda. Je
ne suis pas surpris que ce disque ait reçu de nombreuses récompenses lors de
sa parution en 2003.
2 - Marche des pèlerins chantant la prière du soir (Allegretto)
Berlioz
aimait beaucoup les ambiances processionnaires, les rythmes de marche. La
marche au supplice ou l'arrivée des sorcières dans la symphonie Fantastique
en sont des exemples frappants. On retrouve ici cet engouement dans cette
marche des pèlerins. Il s'agit ni plus ni moins du mouvement lent d'une
symphonie de forme classique. La mélodie est d'une grande fluidité, les
timbres sont crépusculaires mais pas au sens dramatique du terme. Non
Berlioz
orchestre les couleurs mordorés du soir. [3'52"] Le compositeur n'oublie pas
qu'il écrit pour
Paganini et insert un solo de l'alto d'une difficulté technique inouïe, avec un jeu
complexe sur deux cordes et des sonorités étranges et mystérieuses. Le
héros-alto semble sombrer dans une sereine rêverie à l'écoute du chant des
pèlerins. Là encore, la finesse et la pudeur du jeu de
Tabea Zimmermann
fait merveille.
Colin Davis
endort tout en douceur nocturne son orchestre lors d'une coda d'une délicate
tendresse. Pour parodier
de Funès : dans ce mouvement de
grâce, il n'y a que
Berlioz
et lui (je parle de
Colin Davis…)
3 - Sérénade d'un montagnard des Abruzzes à sa maîtresse (Allegro
assai-Allegretto)
Pour l'habituel scherzo,
Berlioz
imagine une belle sérénade sur un tempo mesuré, celui de l'allegretto.
Certes une oreille attentive retrouvera la forme classique du scherzo : une
danse introductive et sa reprise (mais pas da capo) encadrant un trio qui
donne libre cours au jeu de l'alto. Comme pour la procession des pèlerins,
l'introduction est rythmée et peut suggérer une mandoline.
Berlioz
pense déjà à
Roméo et Juliette (1839) ! Tout le morceau fait penser à une danse villageoise.
Colin Davis
joue la carte de la tendresse dans une scène bucolique. L'alto intervient
surtout dans la partie centrale et symbolise la mélopée chantonnée par
l'amoureux d'une belle. L'innovation du compositeur est dans la présence
(une cadence innatendue ?) de l'alto dans la reprise de ce scherzo
atypique.
4 - Orgie de brigands - Souvenirs des scènes précédentes (Allegro
frenetico - Adagio)
Chez
Berlioz, il y a toujours de l'énergie à revendre : la
nuit de sabbat
de la
symphonie fantastique, la bataille rangée entre les
Capulet et les Montaigu
dans
Roméo et Juliette. Ici, le héros participe à une joyeuse ripaille qui dégénère, tout en pensant aux évènements de la journée évoqués par les réminiscences
des thèmes joués à l'alto.
Berlioz
peut ainsi déchaîner son orchestre [3'04] dans une scène joyeusement sauvage
où tous les instruments s'affrontent. Il y a un raffinement dans le flot
musical qui montre une forme d'assagissement par rapport au coup de tonnerre
de la
symphonie fantastique
en 1830.
Colin Davis
évite absolument toute confusion et tout "débordement". Les cordes du Symphonique
de
Londres
restent disciplinées. L'alto intervient peut dans cette ambiance orgiaque
qui conclut la partition. Cela explique sans doute le léger désappointement
de
Paganini. [10'02"] Seules quelques notes de l'instrument soliste lancent une coda
en folie.
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Charles Munch
fut un grand serviteur de
Berlioz. Son interprétation de la
Symphonie Fantastique
chez RCA avec
l'Orchestre symphonique de Boston
était au centre de la chronique consacrée à cet ouvrage. On le retrouve de
nouveau dans ce podium de belles versions avec
William Primrose
à l'alto qui l'enregistra au moins trois fois dès les années 40' ! (RCA
– 5/6).
En 1977,
Leonard Bernstein
interprète en concert à Paris (TCE) les deux œuvres phares de
Berlioz
avec
l'orchestre national de France. "C'est époustouflant" jugent les critiques de l'époque.
Donald McInnes, altiste américain de renom, tient la partie d'alto et, fort heureusement,
cette soirée d'anthologie a été immortalisée par
EMI (6/6).
Et comme dans la chronique "La Symphonie Fantastique", on retrouve l'autre spécialiste anglais de
Berlioz,
Sir John Eliot Gardiner
qui a enregistré
Harold en Italie
avec notre grand altiste frenchy
Gérard Caussé
et avec son
orchestre révolutionnaire et romantique
qui joue sur instruments d'époque. Comme
Colin Davis,
Gardiner
joue la transparence avec un soupçon de maestria en moins (Philips – 5/6).
La marche des pèlerins extrait du disque commenté.
Tabea Zimmermann & Colin Davis dirigeant l'Orchestre symphonique de Londres (LSO - 2003)
"Ha! ha! ha!- haro! haro! Harold!" Voila commençait l'article d'un journal parisien après la première de "Harold en Italie" et qui accablait d'invectives le pauvre Berlioz. Au lendemain de l'article, il recevra une lettre anonyme avec un déluge d'injure et on lui reprochait "d'être assez dépourvu de courage pour ne pas ce brûler la cervelle". Paganini lui rendra hommage au soir du concert du 16 décembre 1838, le surlendemain il lui envoie une lettre ou il le proclame "successeur de Beethoven". Avec les 20.000 francs (en chèques), Berlioz va les consacrer à "Roméo et Juliette". Pour l'interpretation, je reste sur celle de Colin Davis dans le cycle de 1969 avec la japonaise Nobuko Imai
RépondreSupprimerMerci pat pour ce rappel sur le manque de discernement (pour rester poli) des critiques qui ont bien souvent éreinter les plus grands en étant pourtant des pas grands-choses ! D'ailleurs c'est encore vrai de nos jours...
RépondreSupprimerJ'aurais pu faire une discographie uniquement avec les enregistrements de Colin Davis. Il y a bien sûr celui que tu cites et qui n'a pas pris une ride, mais quant à moi, j'ai découvert Harold en Italie à la fin des années 60 avec un autre disque de Colin Davis dirigeant le Philarmonia Orchestra avec Yehudi Menuhin à l'alto ! une réédition existe en CD chez un petit label de derrière les fagots....
Pour la chronique, j'ai préféré jouer une carte plus récente pour parler de Tabea Zimmermann......
Une œuvre qui méritait en effet un article du grand Claude TOON.
RépondreSupprimerLa version de Colin DAVIS est superbe.
Je crois qu'il existe aussi une transposition pour piano d'Harold, par Franz LISTZ.
L'auteur (évidement anonyme) attend de CLaude TOON qu'il lui trouve l'intégrale chez LSO.
Il fait aussi une suggestion, pour faire travailler notre chroniqueur incontournable sur le classique:
Carl Maria Von WEBER
l'invitation à la valse
le concerto pour clarinette
ou le quintette pour clarinette
en attendant un article fouillé sur le FREISHÛTZ
Un anonyme alpin,
Merci cher génie des alpages (chronique en prévision dans le cahier des charges de notre ami Pat Slade, mais le sujet est difficile à traiter pour cette BD loufoque à la puissance 10).
RépondreSupprimerPour l'intégrale récente LSO : voir : http://www.amazon.fr/Berlioz-Edition-bicentenaire-Colin-Davis/dp/B0000CBLAB/ref=sr_1_4?ie=UTF8&qid=1379758430&sr=8-4&keywords=berlioz+harold+davis (92 € environ, un peu moins en import). Si Ok je peux m'occuper de l'affaire.... on verra cela la semaine prochaine (lieu et tenue vestimentaire à préciser)
Oui weber : bonne idée. notamment les œuvres pour clarinette. Pour le FREISHÛTZ, je n'ai jamais chroniqué d'opéra, il faut que je me lance (Carlos Kleiber sera la vedette une fois de plus....)
A part la version de référence de Carlos Kleiber en 1973, peut être celle de Kubelik chez Decca en 1980 et Colin Davis chez Philips en 1991. Karajan a enregistré les ouvertures de Weber dans les années 70 chez DDG, avec une belle version de l'ouverture du Freishutz.
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