samedi 21 septembre 2013

BERLIOZ : Harold en Italie – Tabea Zimmermann & Colin Davis – par Claude Toon



- Mais… M'sieur Claude… Elle a une petite tête cette violoniste où c'est un effet d'optique ???
- Petite tête !? Sacrée Sonia ! Ce n'est pas un violon mais un alto, d'où cette impression. Harold en Italie est une symphonie avec alto solo…
- Ah, je comprends mieux… Vous avez rédigé un RIP pour Colin Davis il y a quelques mois me semble-t-il ?
- En effet Sonia, le chef anglais disparu en avril était un grand serviteur de Berlioz, d'où mon choix pour le CD, un enregistrement de 2003…

Nous étions déjà allés à la rencontre d'Hector Berlioz dans la chronique consacrée à son œuvre phare : "La symphonie fantastique". Une chronique qui opposait par le sommet, sans les départager, les interprétations de Charles Munch à Boston et de John Eliot Gardiner avec son orchestre révolutionnaire et romantique (clic). Berlioz ou le compositeur maudit et mal-aimé, romantique et tourmenté par excellence. Autodidacte, promu à une carrière de pharmacien, et qui préféra devenir l'un des musiciens les plus innovants de son temps. Oui, innovant, rejetant bien des académismes pour des formes plus instinctives et couillues. Harold en Italie est une illustration parfaite de cette inventivité.
Né en 1803, Berlioz compose et crée sa moderniste symphonie fantastique en 1830. Un soir de décembre 1833, de passage à Paris, Niccolò Paganini déjà âgé entend la symphonie et commande à Berlioz un concerto destiné à mettre en valeur un alto stradivarius qu'il vient d'acquérir. Berlioz estime qu'avec son timbre sombre et rugueux l'alto risque de ne pas trouver une place très virtuose face à un orchestre dont il exploite désormais toute la puissance et les couleurs les plus extravagantes. Il ne va composer ni un concerto, ni des variations, ni Dieu sait quelle forme classique. Comme d'habitude, il sort des sentiers battus pour composer une symphonie à programme, où l'alto tiendra le rôle d'Harold, un personnage imaginé par le poète Lord Byron. Il s'agit d'un jeune homme adepte d'aventures picaresques voire paillardes voyageant sans cesse en Italie. À l'instar du héros de la symphonie fantastique, le personnage "musical" est porté par des leitmotive, mais ici, c'est l'alto solo qui se les approprie. On peut parler de symphonie avec alto obligé… L'alto va occuper le terrain symphonique grâce aux thèmes qui lui sont réservés.
Paganini, malade et un peu déçu par la partition qui ne met pas suffisamment l'alto en vedette, ne peut assurer la création d'Harold en Italie en 1834. Il n'entendra le chef d'œuvre (à mon sens trop éclipsé par la symphonie fantastique), qu'en 1938. L'histoire ne dit pas s'il pourra le jouer avant sa mort en 1840. Il est pourtant enthousiasmé, même si comme tous les grands virtuoses, il aurait souhaité encore plus de présence de l'alto dans la partition. Preuve que l'œuvre est d'importance : Paganini a la réputation confirmée d'être avare, il va pourtant payer 20 000 Francs or à Berlioz. Une fortune et une aubaine pour notre génie français qui, comme tous les précurseurs incompris, était fauché comme les blés, une constante de son existence…

~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Dans l'hommage que le blog avait rendu à Sir Colin Davis, tout avait été dit sur le so british maestro, son respect de l'écriture des partitions, sa direction fouillée et sans hédonisme, son art de transfigurer la beauté sonore des plus illustres orchestres qu'il dirigea : Symphonique de Londres, Concertgebouw d'Amsterdam entre autres. (CLIC)
Et puis, il y avait cette symbiose Davis-Berlioz, comme l'histoire du disque nous a apporté Furtwängler-Beethoven ou Celibidache-Bruckner. Dans les années 60, le chef grava chez Philips l'intégrale de l'œuvre du compositeur français, une référence discographique qui n'a jamais quitté le catalogue, avec notamment les enregistrements exemplaires des opéras. Dans les années 2000, Colin Davis récidive avec une seconde quasi intégrale, de nouveau avec l'orchestre Symphonique de Londres. Les CD paraîtront cette fois-ci chez le propre label de l'orchestre : LSO, en effet, de nombreuses sociétés philharmoniques ont créé leurs propres labels devant le manque de motivation des majors. Une nouvelle intégrale en 13 CD disponible soit en un coffret unique, soit sous forme d'albums isolés.
L'altiste Tabea Zimmermann nous vient d'Allemagne. Elle a étudié l'alto dès 3 ans puis le piano. Mais c'est en tant qu'altiste que sa carrière se déroule brillamment, et la relative confidentialité de l'instrument explique qu'elle soit moins connue que ses camarades violonistes. Elle se produit comme soliste avec les plus grands orchestres et chefs de la planète. Le répertoire des concertos pour alto est plus riche qu'on le pense en général.
L'artiste brille aussi dans le répertoire de chambre. Elle joue avec de nombreux ensembles et sa discographie comprend les must des sonates pour alto et piano (Brahms, Hindemith, etc.) Elle a enregistrée notamment le difficile mais magique concerto pour alto de Bartók qui n'a pas la place qui lui revient dans la discographie.

~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Le romantique Berlioz ne pouvait que se passionner pour le sulfureux écrivain et poète anglais Lord Byron. On a beaucoup épilogué sur le personnage : débauché, arrogant, obsédé, sadique, que sais-je encore ? On l'a même comparé au marquis de Sade, rien que cela ! Certes le gaillard ne devait pas être un modèle de vertu, mais dans la prude Angleterre, on ne badinait pas avec la moralité et les coureurs impénitents, divorcés qui plus est. Le cinéaste Ken Russell en a rajouté une couche sur cette réputation glauque avec son film Gothic, illustration d'une nuit de folie orgiaque organisée par Byron en 1816 avec divers intellectuels marginaux de l'époque dont Mary Shelley auteur du bestseller… "Frankenstein". Vous voyez le genre. Mais Russell, comme à l'accoutumée, délire encore plus que ses personnages. Un film qui flirte avec le cauchemar et le gore :o)
Donc Berlioz plonge avec délice dans "Le Pèlerinage de Childe Harold " écrit entre 1812 et 1818. Dans ce long poème, Byron décrit les mésaventures d'un jeune homme déçu par sa vie de débauche partant chercher l'aventure dans les pays étranger, dont l'Italie. Ce personnage extravagant ne rappelle-t-il pas le héros tourmenté de la symphonie fantastique ? De cette saga romanesque, Berlioz va conserver quatre épisodes dans sa "symphonie-concerto".
L'orchestration d'Harold en Italie retrouve la richesse de la Fantastique mais avec plus d'économie pour éviter de noyer le son de l'alto, instrument à la voix discrète.
1 - Harold aux montagnes - Scène de mélancolie, de bonheur et de joie (Adagio - Allegro)
Ce sont les cordes graves qui chantent la nostalgique introduction. Le basson et d'autre bois interviennent avant qu'une mélodie mélancolique déploie les premiers thèmes. Cette première intervention du basson, précise et élégante, nous fait savoir que l'on va être face à une grande, une très grande interprétation. Colin Davis veille à tout et notamment à cet équilibre subtile entre les pupitres de l'orchestration somptueuse de Berlioz. Chapeau à l'ingénieur du son : le basson, comme je le dis souvent, est toujours le parent pauvre du disque… L'introduction se développe sous des nuages sombres. Il règne un climat ténébreux lors des accords des cuivres. Pour l'instant, pour notre héros, ce n'est pas la joie. [3'04"] L'alto fait son entrée pour dissiper ce climat tragique. Le jeu de Tabea Zimmermann est précis et délicat, aux antipodes de celui d'un altiste qui profiterait de la forme concertante de l'œuvre pour tirer la couverture à lui. [7'04"] La seconde partie du mouvement se veut plus joyeuse, plus hardie. L'alto virevolte dans une danse héroïque. L'orchestre lui répond par un jeu viril et fluide de motifs des plus agrestes. Ce qui frappe le plus dans l'interprétation des deux artistes, c'est le refus de toute brutalité symphonique. C'est léger et musclé à la fois, très ludique et d'une clarté assez bluffante. L'humour est présent au détour des mesures de la coda. Je ne suis pas surpris que ce disque ait reçu de nombreuses récompenses lors de sa parution en 2003.
2 - Marche des pèlerins chantant la prière du soir (Allegretto)
Berlioz aimait beaucoup les ambiances processionnaires, les rythmes de marche. La marche au supplice ou l'arrivée des sorcières dans la symphonie Fantastique en sont des exemples frappants. On retrouve ici cet engouement dans cette marche des pèlerins. Il s'agit ni plus ni moins du mouvement lent d'une symphonie de forme classique. La mélodie est d'une grande fluidité, les timbres sont crépusculaires mais pas au sens dramatique du terme. Non Berlioz orchestre les couleurs mordorés du soir. [3'52"] Le compositeur n'oublie pas qu'il écrit pour Paganini et insert un solo de l'alto d'une difficulté technique inouïe, avec un jeu complexe sur deux cordes et des sonorités étranges et mystérieuses. Le héros-alto semble sombrer dans une sereine rêverie à l'écoute du chant des pèlerins. Là encore, la finesse et la pudeur du jeu de Tabea Zimmermann fait merveille. Colin Davis endort tout en douceur nocturne son orchestre lors d'une coda d'une délicate tendresse. Pour parodier de Funès : dans ce mouvement de grâce, il n'y a que Berlioz et lui (je parle de Colin Davis…)
3 - Sérénade d'un montagnard des Abruzzes à sa maîtresse (Allegro assai-Allegretto)
Pour l'habituel scherzo, Berlioz imagine une belle sérénade sur un tempo mesuré, celui de l'allegretto. Certes une oreille attentive retrouvera la forme classique du scherzo : une danse introductive et sa reprise (mais pas da capo) encadrant un trio qui donne libre cours au jeu de l'alto. Comme pour la procession des pèlerins, l'introduction est rythmée et peut suggérer une mandoline. Berlioz pense déjà à Roméo et Juliette (1839) ! Tout le morceau fait penser à une danse villageoise. Colin Davis joue la carte de la tendresse dans une scène bucolique. L'alto intervient surtout dans la partie centrale et symbolise la mélopée chantonnée par l'amoureux d'une belle. L'innovation du compositeur est dans la présence (une cadence innatendue ?) de l'alto dans la reprise de ce scherzo atypique.
4 - Orgie de brigands - Souvenirs des scènes précédentes (Allegro frenetico - Adagio)
Chez Berlioz, il y a toujours de l'énergie à revendre : la nuit de sabbat de la symphonie fantastique, la bataille rangée entre les Capulet et les Montaigu dans Roméo et Juliette. Ici, le héros participe à une joyeuse ripaille qui dégénère, tout en pensant aux évènements de la journée évoqués par les réminiscences des thèmes joués à l'alto. Berlioz peut ainsi déchaîner son orchestre [3'04] dans une scène joyeusement sauvage où tous les instruments s'affrontent. Il y a un raffinement dans le flot musical qui montre une forme d'assagissement par rapport au coup de tonnerre de la symphonie fantastique en 1830. Colin Davis évite absolument toute confusion et tout "débordement". Les cordes du Symphonique de Londres restent disciplinées. L'alto intervient peut dans cette ambiance orgiaque qui conclut la partition. Cela explique sans doute le léger désappointement de Paganini. [10'02"] Seules quelques notes de l'instrument soliste lancent une coda en folie.

~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Charles Munch fut un grand serviteur de Berlioz. Son interprétation de la Symphonie Fantastique chez RCA avec l'Orchestre symphonique de Boston était au centre de la chronique consacrée à cet ouvrage. On le retrouve de nouveau dans ce podium de belles versions avec William Primrose à l'alto qui l'enregistra au moins trois fois dès les années 40' ! (RCA – 5/6).
En 1977, Leonard Bernstein interprète en concert à Paris (TCE) les deux œuvres phares de Berlioz avec l'orchestre national de France. "C'est époustouflant" jugent les critiques de l'époque. Donald McInnes, altiste américain de renom, tient la partie d'alto et, fort heureusement, cette soirée d'anthologie a été immortalisée par EMI (6/6).
Et comme dans la chronique "La Symphonie Fantastique", on retrouve l'autre spécialiste anglais de Berlioz, Sir John Eliot Gardiner qui a enregistré Harold en Italie avec notre grand altiste frenchy Gérard Caussé et avec son orchestre révolutionnaire et romantique qui joue sur instruments d'époque. Comme Colin Davis, Gardiner joue la transparence avec un soupçon de maestria en moins (Philips – 5/6).

XXX XXX

La marche des pèlerins extrait du disque commenté.



Tabea Zimmermann & Colin Davis dirigeant l'Orchestre symphonique de Londres (LSO - 2003)

5 commentaires:

  1. "Ha! ha! ha!- haro! haro! Harold!" Voila commençait l'article d'un journal parisien après la première de "Harold en Italie" et qui accablait d'invectives le pauvre Berlioz. Au lendemain de l'article, il recevra une lettre anonyme avec un déluge d'injure et on lui reprochait "d'être assez dépourvu de courage pour ne pas ce brûler la cervelle". Paganini lui rendra hommage au soir du concert du 16 décembre 1838, le surlendemain il lui envoie une lettre ou il le proclame "successeur de Beethoven". Avec les 20.000 francs (en chèques), Berlioz va les consacrer à "Roméo et Juliette". Pour l'interpretation, je reste sur celle de Colin Davis dans le cycle de 1969 avec la japonaise Nobuko Imai

    RépondreSupprimer
  2. Merci pat pour ce rappel sur le manque de discernement (pour rester poli) des critiques qui ont bien souvent éreinter les plus grands en étant pourtant des pas grands-choses ! D'ailleurs c'est encore vrai de nos jours...

    J'aurais pu faire une discographie uniquement avec les enregistrements de Colin Davis. Il y a bien sûr celui que tu cites et qui n'a pas pris une ride, mais quant à moi, j'ai découvert Harold en Italie à la fin des années 60 avec un autre disque de Colin Davis dirigeant le Philarmonia Orchestra avec Yehudi Menuhin à l'alto ! une réédition existe en CD chez un petit label de derrière les fagots....

    Pour la chronique, j'ai préféré jouer une carte plus récente pour parler de Tabea Zimmermann......

    RépondreSupprimer
  3. Une œuvre qui méritait en effet un article du grand Claude TOON.
    La version de Colin DAVIS est superbe.
    Je crois qu'il existe aussi une transposition pour piano d'Harold, par Franz LISTZ.

    L'auteur (évidement anonyme) attend de CLaude TOON qu'il lui trouve l'intégrale chez LSO.
    Il fait aussi une suggestion, pour faire travailler notre chroniqueur incontournable sur le classique:
    Carl Maria Von WEBER
    l'invitation à la valse
    le concerto pour clarinette
    ou le quintette pour clarinette
    en attendant un article fouillé sur le FREISHÛTZ

    Un anonyme alpin,

    RépondreSupprimer
  4. Merci cher génie des alpages (chronique en prévision dans le cahier des charges de notre ami Pat Slade, mais le sujet est difficile à traiter pour cette BD loufoque à la puissance 10).

    Pour l'intégrale récente LSO : voir : http://www.amazon.fr/Berlioz-Edition-bicentenaire-Colin-Davis/dp/B0000CBLAB/ref=sr_1_4?ie=UTF8&qid=1379758430&sr=8-4&keywords=berlioz+harold+davis (92 € environ, un peu moins en import). Si Ok je peux m'occuper de l'affaire.... on verra cela la semaine prochaine (lieu et tenue vestimentaire à préciser)

    Oui weber : bonne idée. notamment les œuvres pour clarinette. Pour le FREISHÛTZ, je n'ai jamais chroniqué d'opéra, il faut que je me lance (Carlos Kleiber sera la vedette une fois de plus....)

    RépondreSupprimer
  5. A part la version de référence de Carlos Kleiber en 1973, peut être celle de Kubelik chez Decca en 1980 et Colin Davis chez Philips en 1991. Karajan a enregistré les ouvertures de Weber dans les années 70 chez DDG, avec une belle version de l'ouverture du Freishutz.

    RépondreSupprimer