- M'sieur Claude, je ne comprends
pas !! Les numéros des symphonies dont vous allez nous parler ne correspondent
pas à ceux de la pochette…
- La pochette du CD
commenté est tellement hideuse, et les photos en couleurs de Josef Krips
tellement rares, que j'ai choisi une pochette vinyle des années 70' pour
présenter le jovial maestro…
- Ah ! Donc il
s'agissait d'une intégrale parue dans ces années-là…
- Presque Sonia, une
semi-intégrale limitée aux 21 dernières symphonies, et c'est du grand Mozart…
1788 : depuis un an, Mozart est entré dans la période tragique
de sa vie qui s'achèvera en 1791,
avec les ébauches du Requiem. Son père Leopold vient
de mourir. Deux de ses six enfants : Theresia
Constanzia et Johann n'ont vécu
que quelques mois. Les dettes s'accumulent, la maladie s'en mêle. Pour Mozart, exorciser le malheur consiste à
composer. En moins de deux mois, le compositeur va écrire ses trois dernières symphonies, 39 à 41. Trois
ouvrages qui vont clore son patrimoine symphonique. Par leur durée d'une
demi-heure chacune, par leur ambition émotionnelle qui s'écarte résolument de
la musique de divertissement, elles annoncent Beethoven
et Schubert, en un mot : le romantisme.
Sa
frénésie d'écriture, surtout à un tel niveau de génie, laisse sans voix quand
on regarde le calendrier de l'été 1788 :
28
juin : Symphonie n° 39 en mi bémol K 543
10
juillet : Sonatine pour violon et piano
14
juillet : Trio avec piano K 548
25
juillet : Symphonie 40 en sol mineur K 550
10 août : Symphonie 41
en ut "Jupiter" K 551
La
symphonie n° 40 débute par l'un des thèmes les plus connus de Mozart et de la
musique tout court. Léo Ferré l'a utilisé dans
l'une de ses chansons : Les spécialistes, en 1985. Un physicien allemand, Günter
Nimtz, travaillant à Cologne sur l'effet tunnel et les évènements
quantiques, a pu transmettre à 5 fois la vitesse de la lumière les
premières mesures de ce thème. C'est dire la popularité de cette musique jusque
dans la physique pointue. (Clic pour les amateurs de Stars Wars.)
Revenons
en 1788. La symphonie est écrite en sol
mineur, une tonalité sombre. C'est inhabituel chez Mozart
(2 symphonies seulement sur plus de 50* sont en mineur). Oui, le thème initial,
précipité et haletant, distille une sourde inquiétude. Bien que joliment
rythmée, l'introduction semble portée
par la tristesse, même si elle se conclut avec énergie. L'orchestration, le
dialogue entre bois et cordes, est d'une richesse inconnue jusqu'alors même chez
Mozart. Le tempo régulier et serein de Josef Krips
apporte à cette page une belle souplesse. Les cordes graves se font plus
discrètes que dans moult autres enregistrements. Même si Mozart pense
métaphysique et état d'âme, il compose dans un registre classique au XVIIIème
siècle, à savoir avec légèreté, et Krips
dirige avec sobriété.
L'andante oppose à la gravité du premier
mouvement une tentative de sourire. On discerne l'esprit d'une marche aux
cordes au cours de laquelle interviennent de tendres solos de bois. [3'15"]
Le développement gagne en dramatisme, les cordes soutiennent une pulsation
obsessionnelle.
Le
menuet et son trio sont pris à un
tempo exceptionnellement vif (allegretto), habileté
interprétative qui caractérise le panache de Josef
Krips dans Mozart.
Un mouvement faussement gai, sans frivolité. Cet intermède est indispensable
dans la forme classique, mais est-ce une danse ? Non, trop martelé, presque
vengeur, en aucun cas galant. Avec Josef Krips,
nous sommes dans les années 70', beaucoup de grands chefs alourdissent encore
par un jeu emphatique ce petit menuet nerveux de transition. (Je pense aux grands Böhm et Karajan par exemple.) Ici ce n'est pas le cas.
Le
final commence avec la vitalité allegro du début de la symphonie, mais en plus furieux.
Mozart voudrait-il chasser les noires pensées qui l'assaillent ? Par ces
changements incessants de climat, la symphonie échappe à son époque. Même les
12 "londoniennes" de Haydn resteront, malgré leur écriture variée, en deçà de
l'expressivité, de l'intimité que développe Mozart dans ce final (dans toute la
symphonie pour tout dire). Un allegro tumultueux qui se veut interrogatif mais
avec des enchaînements dramatiques [4'25"]. Il n'y a pas réellement de
coda. Mozart savait-il que ses difficultés existentielles devenaient sans issue
? Pas besoin de préciser que le Concertgebouw
d'Amsterdam est d'une beauté plastique superlative, aidé en cela
par une prise de son large et équilibrée.
(*)
Il existe une douzaine de petites symphonies de jeunesse qui ne sont pas
inscrites au catalogue Keuchel qui n'en référencie que 41 (sans N°37 qui n'existe pas !).
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Josef Krips était né en Autriche en 1902 et fut l'élève de Felix Weingartner. Il commence très tôt
(19 ans) une carrière de chef d'opéra et même de professeur à Vienne.
Son
père étant juif, il fuit l'anschluss en 1938
pour Belgrade. L'invasion allemande et l'impossibilité de fuir aux USA le conduisent à
un retour en Autriche. Il ne sera pas pourchassé, mais il lui est interdit
d'exercer son art. Il travaille pour survivre dans une usine de conserves !
À
la chute du régime nazi, il peut reprendre la baguette, n'étant pas suspecté de
collaboration intellectuelle comme Karajan
ou Furtwängler. Il assure la réouverture du festival de Salzbourg, c'est assez
logique pour cet homme pour qui Mozart
était au centre de son travail.
Bien
qu'ayant enregistré plus d'une centaine de disques dès 1934, le legs discographique de Krips est mal réédité. C'est dommage
que l'homme soit mort trop jeune, en 1974.
La plupart de ses enregistrements datent de l'époque monophonique. Cela peut
expliquer son manque de reconnaissance posthume. L'intégrale des 21 dernières
symphonies de Mozart avec le Concertgebouw d'Amsterdam est un testament
incontournable qu'il a pu achever malgré la maladie. Édité à l'origine chez Philips, le fossoyeur de la musique,
l'ensemble a été racheté par le label Decca,
et est donc toujours disponible.
Le
disque de ce jour fait partie d'une collection des meilleurs enregistrements de
Philips. Il semble facilement
disponible. Hein... qu'elle est moche la jaquette !!!
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Si
on regarde de nouveau le planning que s'impose Mozart, on voit que deux semaines
s'écoulent entre le trait final de la symphonie N° 40 et celui de la
"Jupiter" ! Ce surnom bizarre date de 1819 et j'avoue n'avoir trouvé aucun sens précis à ce choix ?!
L'orchestration est riche : 2/2/2 (pas de clarinettes) ; 2 cors et 2 trompettes,
timbales. La 40ème inclut 2 clarinettes, mais ni trompettes, ni
timbales. La tonalité de la "Jupiter" est la plus usuelle qui soit :
do majeur.
L'Allegro vivace ouvre la symphonie de
manière martiale, voire grandiose. A quoi songe Mozart
? Au début d'un Te Deum ? Ça, c'est plutôt réservé à la pompe festive. Au tuba mirum d'un requiem que lui inspirent les temps difficiles, au sentiment d'une
fin tragique qui se profile ? Mozart
énonce des thèmes plus idylliques aux cordes. Tout cet immense mouvement joue
sur cette dualité entre le solennel et l'intime. Josef
Krips délie ce discours avec une rigueur et une fraîcheur
conjuguées. Les bois et les trompettes du Concertgebouw
se répondent sans faux pas. Exemplaire. La coda sonne comme le jugement dernier
!
L'Andante cantabile est jouée sans timbales
ni trompettes. Mozart était l'homme des
mouvements lents. Ici, il nous invite à partager ses rêves, un regain de
sérénité. [1'23"] Un motif plus sombre en ré mineur (une tonalité
douloureuse) suit cette introduction, la nostalgie des temps heureux n'est pas loin. Ce thème sera repris à
[3'37"]. Comment ne pas faire le rapprochement avec les douloureux mouvements
lents des derniers concertos pour piano. La coda est bouleversante de désarroi.
L'interprétation de Josef Krips conserve sa
transparence, notamment le jeu des bassons rarement aussi présent au disque.
Comme
dans la symphonie précédente, le Menuetto
s'impose comme incontournable mais noté allegretto,
il n'invite vraiment pas à la galanterie. Son écriture est par contre très
élégante et colorée pour un intermède formel (timbales et trompettes sont de
retour). Mozart ne négligeait rien.
Le
final flamboyant est une forme sonate
intégrant des fugues. Il est noté molto allegro.
Comme disait un musicologue, on ne réussit pas cette prouesse tous les jours
(ah ! si, Mahler dans la 6ème symphonie).
Il est d'une alacrité opposant gaité (feinte ?) et dramatisme. C'est absolument
extraordinaire qu'une forme relativement complexe soit aussi entraînante et
aisée à écouter. Elle mêle quatre motifs mélodiques plus des citations des
mouvements précédents. Dans l'interprétation de Josef
Krips, l'équilibre entre les pupitres, la précision du legato
aboutit à une forme de fête sonore aux éclats qui s'enchevêtrent à merveille,
sans jamais se superposer. La coda est une folie, un tourbillon, un ultime
hommage à la joie de vivre…
Pour une écoute complète sur le site Deezer, la symphonie N° 40 correspond aux quatre premières plages du CD (soit les plages 1 à 4 sur le minilecteur ci-dessous) et la N° 41 "Jupiter" s'écoute sur les plages 5 à 8 du CD... Deezer ne mentionne pas les n° des symphonies. C'est d'un pratique pour un néophyte...., il faut rechercher avec les indications de tempos !!!
- Heureusement que vous êtes là M'sieur Claude...
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Le
monument de l'intégrale des symphonies mozartiennes, enregistrée au début de
l'ère stéréophonique par Karl Böhm,
n'a jamais quitté le catalogue (Dgg 5/6). C'est énergique et articulé. Je ne
suis pas sûr que le remake à Vienne du diptyque 40-41 à la fin de la vie du
maestro, avec un menuet alangui donc pataud dans la 40ème, soit indispensable.
Otto Klemperer, toujours discutable par la
rigueur peu chaleureuse du discours, entraîne le Philharmonia
et les dernières symphonies de Mozart
vers le romantisme. C'est d'une précision de Rolex mais un rien farouche ! (EMI
5/6). Si Klemperer flirtait avec le
romantisme, Nikolaus Harnoncourt, pour
le bicentenaire de la mort de Wolfgang, a gravé en concert aux accents
baroqueux les trois ultimes symphonies avec l'orchestre de chambre
d'Europe. Mémorable (Teldec 5/6)
Les deux vidéo des interprétations de Josef Krips à Amsterdam.
il est vrai que le molto allegro de la 40eme est archiconnu. A mon souvenir, le final a servit à une émission télévisé comme générique dans les années 60,mais impossible de dire laquelle (Souvenir de gosse). L'andante par J.Krips est très beau. De lui je n'ai que la huitième de Schubert et qui pour moi est la plus belle que j'ai pus entendre.
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