- Qui est ce grand gaillard barbu et costaud M'sieur Claude ?
- Krzysztof Penderecki, ma petite Sonia, un compositeur polonais
octogénaire, l'un des pères de la musique contemporaine…
- Houlà ! De la musique difficile à écouter ou à comprendre je crains
!
- Oui et non. Si Penderecki a été un des grands avant-gardistes dans les
années 50-60, contrairement à Boulez il est revenu à des formes plus
classiques et accessibles par la suite…
- Tiens c'est curieux ce revirement, il y a une explication ?
- Oui, pour ce compositeur, la musique ne doit pas s'enfermer dans un
hyper modernisme réservé à une minorité, elle doit se tourner vers le plus
grand nombre…
- Ah, sage pensée, il m'est déjà sympathique ce monsieur…
En 1945, entre les atrocités
nazies à l'aller, et les saccages de l'armée rouge au retour, il ne reste
que trois locomotives en état de marche en
Pologne et des monceaux de
ruines ! Quel rapport avec une chronique musicale ?
Et bien, c'est dans ce pays martyrisé, sur les terres qui ont connu
Auschwitz, que va éclore la plus féconde école musicale d'Europe, l'art pour
exorciser le mal. Trois compositeurs vont entrer dans le panthéon des
musiciens que l'histoire n'oubliera pas. Ce n'est pas si fréquent, surtout
pour ce petit pays où seul
Chopin
a su se distinguer dans les siècles précédents.
Henryk Górecki
(1933-2010) (clic),
Witold Lutosławski
(1913-1994) et surtout
Krzysztof
Penderecki
(né en 1933).
Ces compositeurs sont reconnus et joués largement, malgré la disparition de
deux d'entre eux, car, sans renier leur attirance vers des modes d'écritures
avant-gardistes, ils se sont attachés à proposer des œuvres non hermétiques,
inspirées de sujets historiques, de poésie et de spiritualité. En Europe
occidentale, beaucoup trop de compositeurs se sont enfermés dans des dogmes
musicaux sophistiqués, sans se soucier réellement de l'émotion du mélomane
moyen… Un simple avis qui connait ses exceptions, au hasard le français
Olivier Messiaen.
Pendant les années 60-70,
Krzysztof
Penderecki
va explorer un monde sonore très moderne, un univers violent et déroutant où
la mélodie disparait. Glissandi de cordes, joutes de pizzicati, clusters,
sérialisme et atonalité vont marquer son langage. C'est d'une richesse
d'invention inouïe mais l'absence de motifs mélodiques marqués et de rythme
déterminé déroutent parfois l'auditeur. Je reparlerai de cette époque dans
la seconde partie.
Vers 1980, soucieux de se rapprocher d'un public plus large,
Penderecki
retrouve une expression plus classique, la forme sonate, la tonalité. La
première œuvre qui marque nettement ce revirement est la
seconde symphonie
dite de
Noël. Il n'y a pas de rapport direct a priori avec la nativité, l'œuvre fut
simplement commencée un 24 décembre. Le climat est à la fois sombre et
mystérieux.
Penderecki, homme de foi, songeait-il, en notant ses premières mesures à l'arrivée du
messie qui sera crucifié, la question est posée ? C'est une musique pure qui
vous surprend par sa puissance, ses déchainements de cuivres contrastant
avec la méditation des cordes. Elle est dirigée ici par le compositeur à la
tête de
l'orchestre
de
la
radio
polonaise (plage 1).
A la suite : avec De natura sonoris 2 puis
De Natura Sonoris N°2 dirigé par le compositeur, Plolymorphia et enfin
Thrène pour les victimes d'Hiroshima.
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- En effet, M'sieur Claude, une musique étrange, je suis émue sans trop
savoir pourquoi…
- Ne cherchez pas Sonia. Il n'y a pas de logique en musique, seulement
des émotions…
La dimension de cette symphonie (34') contraste avec la brièveté des œuvres
de la première manière de
Penderecki. Je propose de poursuive notre voyage avec
De natura sonoris 2. Dédiée au chef
Zubin Mehta, cette œuvre démente date de
1971 et dure 9 minutes. Son
dédicataire l'a souvent reprise en ouverture de ses concerts. Attention, vos
tympans vont sortir des orbites, non pardon, des oreilles. Même nos amis
hard-Rockers habitués à une certaine violence sonore pourraient penser ou
dire p**n !! L'idée musicale ne repose sur aucun thème mélodique
perceptible, mais sur le combat entre des agrégats de sons aux timbres bien
définis : cuivres, percussions, une barre d'acier frappée par un marteau… Il
s'agit de polyphonie orchestrale, d'éclats a priori incontrôlés,
d'explosions de résonances… un orage instrumental.
Penderecki
a enregistré cette pièce à Katowice en 1975. Le vinyle
EMI
Electrola que je possède est
sans doute l'une des meilleures gravures jamais réalisées par le
label.
Le concerto pour violoncelle de
1972 est une pièce monolithique
de seulement 15' (vidéo ci-dessous). Il a été écrit à l'intention du
violoncelliste
Siegfried Palm
(1927-2005), virtuose de haute volée et défenseur acharné de la musique de
notre temps. Ne cherchez pas des allegros et des adagios. Comme dans l'œuvre
précédente, la folie du jeu du violoncelle se déchaîne dans un orchestre
dans lequel s'affronte des couleurs joyeuses, extravagantes et frénétiques.
Siegfried Palm est bluffant (peu de violoncellistes peuvent jouer ce
morceau). Curieusement, le concerto épouse la forme tripartite classique
avec un passage central modéré et énigmatique. Le final et la coda
retrouvent cet esprit de bataille rangée entre timbres. On pourrait parler
de concerto pour orchestre avec violoncelle obligé.
- Houlà, M'sieur Claude, je suis un peu perdue, et je trouve cette
musique… houuu… un rien flippante…
- C'est tout à fait possible cette réaction Sonia, et d'ailleurs la
musique de Pendrecki a été bien utilisée dans les films à suspens, voire
d'épouvante…
- bigre !
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VVVV |
En
1980,
Stanley Kubrick
utilise des extraits de
Polymorphia, de
De natura sonoris n° 1 & 2
(plage 4 et 7) et
Thrène à la mémoire des victimes d'Hiroshima
pour la bande son de son film
Shining. (On trouve également des citations de
Bartok,
Musique pour cordes, percussion et célesta
commentée en 2012
– clic – et de
Ligeti
:
Lantano.) William Friedkin avait déjà
utilisé
Polymorphia, une musique pour cordes seules, infernale et glaçante pour
l'Exorciste.
Martin Scorcese fera de même dans shutter island (Passaglia).
Le titre de
Thrène à la mémoire des victimes d'Hiroshima
(plage 2) n'a été attribué par
Penderecki
qu'après l'écoute des répétitions. Des traits continus dans l'extrême aigu,
des glissandi angoissants. Les tables d'harmonie des instruments utilisés
comme percussions (col legno)… c'est terrifiant, un cri de désespoir, le
chaos. Pourtant le compositeur organise avec rigueur son œuvre de 10'. Tous
les sentiments d'effroi et le silence dans la cité anéantie sont mis en
place par courtes séquences. Ce style angoissé explique l'association d'idée
entre le climat sonore et la monstruosité nucléaire de 1945. En 1991, le
groupe de Rock gallois, et haut en couleurs,
Manic Street Preachers, a utilisé le début de
Thrène
pour son morceau
You love US…
Dans les années 60, le dimanche, avant le journal, sur l'unique chaîne
de l'ORTF, il y avait une émission de musique classique. Oui, vous avez
bien lu… avant le journal de 13H !!! J'avais découvert Penderecki et une
œuvre tragique :
l'Auschwitz Oratorio pour voix a capella
à ce moment là. Maintenant, aucune initiation, aucune découverte, le
fric facile, c'est la télé poubelle. L'état lobotomise et, plus triste,
le public en redemande ! J'avais envie de l'écrire…
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Vidéo 1
:
Krzysztof
Penderecki
dirige le début de la
symphonie de Noël
avec
l'Orchestres Simon Bolivar
du Venezuela. Un orchestre présenté dans l'article consacré à la symphonie
Héroïque de Beethoven sous la baguette de son jeune chef
Gustavo Dudamel
(clic). Quand je dis que
Penderecki
est reconnu dans le monde entier !!!! L'enregistrement du concert date de
2009, un chef-compositeur de 76 ans qui a bon pied bon œil…
Vidéo 2
: la scène terrifiante de la confrontation entre
Jack Nicholson fou et
Shelley Duvall dans
Shining avec
Polymorphia… pour l'ambiance ! Quelques notres
d'Untreja
à la fin, une œuvre pour orchestre.
Tout comme toi (Et comme j'ai pu te le dire hier), j'ai connu Penderecki avec "L'Auschwitz Oratorio - Dies Irae" avec le Cracovie Philharmonia Orchestra. Cool ton coup de gueule. Et comme au débloc on apprend plein de choses, j'apprends que Penderecki a l'age de mon père (Mais ça tous le monde sans fout ! ^^)
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