C'est
en surfant un peu au hasard sur le net, visionnant quelques vidéos
et extraits de concerts, un lien en amenant un autre, que je suis
tombé sur ce big band rustique. Parce que sinon, s'il fallait
uniquement compter sur nos médias, ce groupe à la
musique totalement obsolète, en dehors de l'air du temps
(inepties
!!!),
ayant l'outrecuidance de faire l'impasse sur les effets sonores, les
platines, les boîtes-à-rythme, les danseurs, pourrait
s'étioler seul dans son coin jusqu'à ce qu'il tombe en
poussière. Ce qui serait une gageure, une injustice, car voilà
une formation jouant une musique crue et sincère, qui a du
corps, vierge de toute sophistication. Une musique qui ne compte que
sur le facteur humain pour se construire. Une musique qui s'inscrit
dans la continuité des américains de Vintage Trouble.
D'ailleurs ce serait vraiment un hasard étonnant si le nom du
présent CD, « The Kotten Fields Session »,
n'était pas un évident hommage, et/ou tribut, au « The
Sessions Bomb Shelter » (bien qu'initialement « Kotten
Fields » désigne le lieu-dit où le skeud a
été enregistré). Serait-ce un nouveau courant ?
On plutôt un nouveau Revival remettant à l'honneur les
formations cossues de Soul
blanche trempées
jusqu'aux os de bon Rock, telles que Delaney & Bonnie ou le Mad
Dog & English Men, voire de certaines expériences d'Eric
Burdon. On peut faire également le rapprochement avec Eli "Paperboy" Reed, toutefois ce dernier aurait alors eu de mauvaises fréquentations et aurait passablement sali le son de sa guitare, et durci son attaque.
The Backcorner Boogie Band ne comporte pas moins de douze membres. Ouaip. Et c'est ce qui permet à ce triple « B » d'avoir une palette assez riche sans avoir recours à de quelconques artifices. Riche mais en rien disparate, rien n'allant se perdre dans des impasses sirupeuses et sans saveur, (le genre de truc qui rend malade, et courbe le dos face aux magnats des diktats de la muzak) ; contrairement à la nouvelle coqueluche dite « roots », Gary Clark Jr. Ici pas de mauvaise surprise, pas de mouche dans le potage, rien qui donne la nausée ; il n'y a que du bon.
B.B.B.,
c'est une section de cuivres, composée d'une trompette, d'un
trombone et d'un saxophone, qui fait revivre le meilleur de Stax (ou,
si on ne veut pas se complaire dans la nostalgie, qui suit l'exemple
des Dap-Kings de New-York).
Un
clavièriste privilégiant les sons aux parfums
« Hammond », coincés entre Jon Lord,
Matthew Fischer, et le vieil orgue des temples où le Gospel a
élu domicile. Un claviériste qui s'empare parfois d'un
harmonica pour y souffler avec force, libérant toutes ses
frustrations.
Un
guitariste qui a dû faire son apprentissage chez les
kangourous, et un lead qui doit trimballer avec lui l'encyclopédie
des artisans de la gratte électrique des 60's et des 70's
(66-74). Mais attention, pas ceux vantant les soli égotiques
et démonstratifs ; plutôt ceux sachant balancer la purée
en quelques notes, qui n'ont guère besoin d'un long discours
pour s'exprimer. Aucunement dans le style grand technicien exposant
son savoir, plutôt dans celui qui se contente de quelques mots
pour s'exprimer. Un guitariste plus occupé à compléter
la rythmique de petits gimmicks que de s'afficher en solo. Une paire
de grattes qui s'épanouit dans le crunchy et dirty.
Un
bassiste qui roucoule, groove, tel Donald Dunn et James Jamerson.
Un
trio de choristes, deux mignonnes, et un frisé à
lunettes pouvant occasionnellement prendre la place principale au
micro. Bien que les deux charmantes choristes soient présentées
en qualité de choristes et
de chanteuses, à aucun moment sur l'album elles ne se
produisent en solo (à l'exception d'un furieux vocalisme sur
le coda de « I Get High »), au contraire de
leur homologue masculin.
Et
un chanteur qui se dépense sans compter, chante avec ferveur
et conviction, et qui, lorsqu'il n'éructe pas à la
manière d'un Andrew Stone (1), parvient à faire
partager ses peines et ses joies.
Bien que d'origine batave, Backcorner Boogie Band n'a aucune intonation pouvant révéler ses origines européennes. Aucun succédané d'un souvenir issu d'un folklore du « vieux continent », aucune touche de variété typée « Eurovision », ni même d'ailleurs de trace de pollution synthétique.
B.B.B.,
c'est de la Soul, de la vraie (pas d'la miellasse), celle qui a
inscrit son nom en lettres d'or, celle qui a été
façonnée par Otis Redding, Wilson Pickett et James Carr. C'est le
Rythm'n'Blues séminal de Ike & Tina Turner. De la Soul et
du Rythm'n'Blues qui ont goûté au fruit défendu
du Rock de Détroit (la Motor City des Mitch Ryder, MC5, Detroit Cobras, et autres Bob
Seger) et des antipodes (certains titres défouraillent sec).
« John
Fogerty chantant avec Booker T & the MG's, Sam & Dave jammant
avec les Black Crowes et les Red Devils. The Staples Singers se
pointant parfois... »
C'est
le genre de groupe - trop rare - où il semble ne pas y avoir
vraiment de leader. Même si le chanteur se retrouve logiquement
parfois plus en avant, chaque membre a une place prépondérante
dans la stabilité et la bonne tenue des compositions. Même
les choristes apportent une force, un ciment, du corps, sans que l'on
ait jamais l'impression que ce ne soit un substrat. Ils sont
d'ailleurs parfois placés au même niveau que le
chanteur. Personne n'est là pour boucher les trous.
Presque
deux chanteurs donc. Erik étant nettement plus rugueux et
expansif que le second couteau, Eugene. Ce dernier étant plus
mesuré, plus timide, plus lisse (Ben l'Oncle Soul ?).
B.B.B
est le genre de groupe qui occulte soigneusement tout ce qui a fait
les modes musicales des trente dernières années ; comme
s'il ne s'y était jamais intéressé. B.B.B
revendique d'ailleurs un retour aux sources. Enfin pas celles de
Hollande mais bien du Sud des USA (même si pour ma part je
trouve que cela exsude souvent la vitalité et la rage du
Detroit des 60's et 70's).
Enregistré d'un trait, en quelques jours, avec la bonne vieille et infaillible méthode pour retranscrire un son organique, chaud et vivant : l'intégralité du groupe dans une seule pièce, on branche les micros et on capte le tout. C'est simple, rustique, et ne laisse aucune place aux pains (deux soli de guitare sentent l'improvisation à plein nez). Pourtant à l'écoute, on a un peu de mal à croire qu'il n'y ait pas d'overdubs tant l'inter-action entre les musiciens est bonne. Ce qui prouve que leurs compositions, ainsi que l'interprétation, de ces hollandais ont été fignolées avant de rentrer en studio ; certainement également peaufinées au fil de concerts successifs (cela fait bien deux ans que B.B.B monte sur les planches).
Si
The Kotten Fields Session démarre un peu mollement avec
« Better Days », comme une ballade meurtrie et
alourdie par une paire de guitaristes allumés et un orchestre éméché, « Look
At Me Standing » met la barre très très haut
en évoquant le Terry Reid de 1969 avant de se durcir
progressivement, et, lorsque l'on croit le titre terminé, la
basse insiste, ne souhaite pas en rester là. Les guitares
rappliquent, la batterie se déchaîne, les cuivres
reviennent soutenir le tout. Un coda en apothéose.
« Never
Sure » aurait fait le bonheur de Joe Cocker à
l'époque des Mad Dogs & Englishmen.
Et
puis à partir de « Make You Crawl » la
température augmente ostensiblement. Il y aurait même
quelques odeurs de brûlé du MC5 de « High
Time ».
Accalmie
avec « Now I Got Love » avec son saxe jazzy ?
Bah, non pas vraiment... Ces lascars ne peuvent s'empêcher de
s'échauffer les sens en soufflant avec véhémence
dans leurs cuivres, en claquant leurs cordes, maltraitant les fûts.
Une sacré énergie.
Ha
! Oui, « Different Faces » est cool, du genre
Rythm'n'Blues dans le style de « My Girl », un
poil plus corsé.
Nom
di diou ! Et "The Kotten Fields Sessions" s'offre le luxe
de terminer en beauté. Pas de « remplissage »
ici ; ça assure jusqu'à la fin. The B.B.B n'est pas
calculateur pour un sou, encore moins manipulateur. Son seul souci,
son seul but est de jouer sa musique sans économie, sans
retenue ; sans penser que peut-être il pourrait garder du
matériel en réserve. Et pour quoi faire ? Aura-t'il une
seconde chance ?
Pour
clôturer le disque par un dernier et brillant éclat, B.B.B
commence par nous assaillir avec un furieux « My Baby Left
Me » où les guitares crachotent à travers
une overdrive fiévreuse, l'harmonica se déchaîne,
les chanteurs haranguent d'une voix maussade et virulente (Kika
Meluka n'est pas loin) ; deux minutes trente de stupre de
Motor-city's Rock'n'Roll. La suite est saisissante, faisant presque
l'effet d'une douche rafraîchissante après une journée
écrasante de chaleur orageuse. « I Get High »,
ballade Soul-bluesy du genre qui vous malaxe les tripes, avec en fond
l'orgue piqué à l'église du coin, qui fait
frémir la pilosité des tempes et de la nuque; Le chant
d'Erik se mettant à nu, se livrant corps et âme, soutenu
par les cuivres exacerbant la confusion d'un gars troublé par
l'embrouillamini de ses sentiments. Un coda qui culmine au pinacle.
Bon
sang ! Et qui va écouter ça ? Qui va diffuser ça
? Personne ! Il vaut mieux focaliser sur un clown escroc qui fait
semblant de prendre son pied en sautillant avec un casque sur la
tête, triturant table de mixage et platine-disque (qui n'a
peut-être aucune notion de musique) pour en extirper une muzak
débilitante. Monde d'injustice !
Backcorner
Boogie Band délivre une musique qui incite aussi bien à
la danse, seul ou en duo, qu'à la gesticulation de jobard en
mimant basse, batterie, guitares ou ce que vous voulez. Enfin bref,
Backcorner Boogie Band secoue les puces ! Enjoy !
- Better Days
- Look At Me Standing
- Never Sure
- Make You Crawl
- Fuel Up Your Fire
- Make It Happen
- Now I Got Love
- Nothing Takes Me Down
- Different Faces
- This Game We're Playing
- She Don't Mind
- My Baby Left Me
- I Get High
(1) Le chanteur acariâtre dans le film « The Commitments », tout récemment auteur d'un live distribué par Dixiefrog.
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