mercredi 8 mai 2013

BACKCORNER BOOGIE BAND "The Kotten Fields Sessions" (2012) By Boogie Bibi



     C'est en surfant un peu au hasard sur le net, visionnant quelques vidéos et extraits de concerts, un lien en amenant un autre, que je suis tombé sur ce big band rustique. Parce que sinon, s'il fallait uniquement compter sur nos médias, ce groupe à la musique totalement obsolète, en dehors de l'air du temps (inepties !!!), ayant l'outrecuidance de faire l'impasse sur les effets sonores, les platines, les boîtes-à-rythme, les danseurs, pourrait s'étioler seul dans son coin jusqu'à ce qu'il tombe en poussière. Ce qui serait une gageure, une injustice, car voilà une formation jouant une musique crue et sincère, qui a du corps, vierge de toute sophistication. Une musique qui ne compte que sur le facteur humain pour se construire. Une musique qui s'inscrit dans la continuité des américains de Vintage Trouble. D'ailleurs ce serait vraiment un hasard étonnant si le nom du présent CD, « The Kotten Fields Session », n'était pas un évident hommage, et/ou tribut, au « The Sessions Bomb Shelter » (bien qu'initialement « Kotten Fields » désigne le lieu-dit où le skeud a été enregistré). Serait-ce un nouveau courant ? On plutôt un nouveau Revival remettant à l'honneur les formations cossues de Soul blanche trempées jusqu'aux os de bon Rock, telles que Delaney & Bonnie ou le Mad Dog & English Men, voire de certaines expériences d'Eric Burdon. On peut faire également le rapprochement avec Eli "Paperboy" Reed, toutefois ce dernier aurait alors eu de mauvaises fréquentations et aurait passablement sali le son de sa guitare, et durci son attaque.


   The Backcorner Boogie Band
ne comporte pas moins de douze membres. Ouaip. Et c'est ce qui permet à ce triple « B » d'avoir une palette assez riche sans avoir recours à de quelconques artifices. Riche mais en rien disparate, rien n'allant se perdre dans des impasses sirupeuses et sans saveur, (le genre de truc qui rend malade, et courbe le dos face aux magnats des diktats de la muzak) ; contrairement à la nouvelle coqueluche dite « roots », Gary Clark Jr. Ici pas de mauvaise surprise, pas de mouche dans le potage, rien qui donne la nausée ; il n'y a que du bon.

     B.B.B., c'est une section de cuivres, composée d'une trompette, d'un trombone et d'un saxophone, qui fait revivre le meilleur de Stax (ou, si on ne veut pas se complaire dans la nostalgie, qui suit l'exemple des Dap-Kings de New-York).
Un clavièriste privilégiant les sons aux parfums « Hammond », coincés entre Jon Lord, Matthew Fischer, et le vieil orgue des temples où le Gospel a élu domicile. Un claviériste qui s'empare parfois d'un harmonica pour y souffler avec force, libérant toutes ses frustrations.

     Un guitariste qui a dû faire son apprentissage chez les kangourous, et un lead qui doit trimballer avec lui l'encyclopédie des artisans de la gratte électrique des 60's et des 70's (66-74). Mais attention, pas ceux vantant les soli égotiques et démonstratifs ; plutôt ceux sachant balancer la purée en quelques notes, qui n'ont guère besoin d'un long discours pour s'exprimer. Aucunement dans le style grand technicien exposant son savoir, plutôt dans celui qui se contente de quelques mots pour s'exprimer. Un guitariste plus occupé à compléter la rythmique de petits gimmicks que de s'afficher en solo. Une paire de grattes qui s'épanouit dans le crunchy et dirty.
Un bassiste qui roucoule, groove, tel Donald Dunn et James Jamerson.

     Un trio de choristes, deux mignonnes, et un frisé à lunettes pouvant occasionnellement prendre la place principale au micro. Bien que les deux charmantes choristes soient présentées en qualité de choristes et de chanteuses, à aucun moment sur l'album elles ne se produisent en solo (à l'exception d'un furieux vocalisme sur le coda de « I Get High »), au contraire de leur homologue masculin.
Et un chanteur qui se dépense sans compter, chante avec ferveur et conviction, et qui, lorsqu'il n'éructe pas à la manière d'un Andrew Stone (1), parvient à faire partager ses peines et ses joies.
 

   Bien que d'origine batave, Backcorner Boogie Band n'a aucune intonation pouvant révéler ses origines européennes. Aucun succédané d'un souvenir issu d'un folklore du « vieux continent », aucune touche de variété typée « Eurovision », ni même d'ailleurs de trace de pollution synthétique.
     B.B.B., c'est de la Soul, de la vraie (pas d'la miellasse), celle qui a inscrit son nom en lettres d'or, celle qui a été façonnée par Otis Redding, Wilson Pickett et James Carr. C'est le Rythm'n'Blues séminal de Ike & Tina Turner. De la Soul et du Rythm'n'Blues qui ont goûté au fruit défendu du Rock de Détroit (la Motor City des Mitch Ryder, MC5, Detroit Cobras, et autres Bob Seger) et des antipodes (certains titres défouraillent sec).
« John Fogerty chantant avec Booker T & the MG's, Sam & Dave jammant avec les Black Crowes et les Red Devils. The Staples Singers se pointant parfois... »

     C'est le genre de groupe - trop rare - où il semble ne pas y avoir vraiment de leader. Même si le chanteur se retrouve logiquement parfois plus en avant, chaque membre a une place prépondérante dans la stabilité et la bonne tenue des compositions. Même les choristes apportent une force, un ciment, du corps, sans que l'on ait jamais l'impression que ce ne soit un substrat. Ils sont d'ailleurs parfois placés au même niveau que le chanteur. Personne n'est là pour boucher les trous.

Presque deux chanteurs donc. Erik étant nettement plus rugueux et expansif que le second couteau, Eugene. Ce dernier étant plus mesuré, plus timide, plus lisse (Ben l'Oncle Soul ?).


     B.B.B est le genre de groupe qui occulte soigneusement tout ce qui a fait les modes musicales des trente dernières années ; comme s'il ne s'y était jamais intéressé. B.B.B revendique d'ailleurs un retour aux sources. Enfin pas celles de Hollande mais bien du Sud des USA (même si pour ma part je trouve que cela exsude souvent la vitalité et la rage du Detroit des 60's et 70's).

 

   Enregistré d'un trait, en quelques jours, avec la bonne vieille et infaillible méthode pour retranscrire un son organique, chaud et vivant : l'intégralité du groupe dans une seule pièce, on branche les micros et on capte le tout. C'est simple, rustique, et ne laisse aucune place aux pains (deux soli de guitare sentent l'improvisation à plein nez). Pourtant à l'écoute, on a un peu de mal à croire qu'il n'y ait pas d'overdubs tant l'inter-action entre les musiciens est bonne. Ce qui prouve que leurs compositions, ainsi que l'interprétation, de ces hollandais ont été fignolées avant de rentrer en studio ; certainement également peaufinées au fil de concerts successifs (cela fait bien deux ans que B.B.B monte sur les planches).


     Si The Kotten Fields Session démarre un peu mollement avec « Better Days », comme une ballade meurtrie et alourdie par une paire de guitaristes allumés et un orchestre éméché, « Look At Me Standing » met la barre très très haut en évoquant le Terry Reid de 1969 avant de se durcir progressivement, et, lorsque l'on croit le titre terminé, la basse insiste, ne souhaite pas en rester là. Les guitares rappliquent, la batterie se déchaîne, les cuivres reviennent soutenir le tout. Un coda en apothéose.
« Never Sure » aurait fait le bonheur de Joe Cocker à l'époque des Mad Dogs & Englishmen.
Et puis à partir de « Make You Crawl » la température augmente ostensiblement. Il y aurait même quelques odeurs de brûlé du MC5 de « High Time ».
Accalmie avec « Now I Got Love » avec son saxe jazzy ? Bah, non pas vraiment... Ces lascars ne peuvent s'empêcher de s'échauffer les sens en soufflant avec véhémence dans leurs cuivres, en claquant leurs cordes, maltraitant les fûts. Une sacré énergie.
Ha ! Oui, « Different Faces » est cool, du genre Rythm'n'Blues dans le style de « My Girl », un poil plus corsé.


     Nom di diou ! Et "The Kotten Fields Sessions" s'offre le luxe de terminer en beauté. Pas de « remplissage » ici ; ça assure jusqu'à la fin. The B.B.B n'est pas calculateur pour un sou, encore moins manipulateur. Son seul souci, son seul but est de jouer sa musique sans économie, sans retenue ; sans penser que peut-être il pourrait garder du matériel en réserve. Et pour quoi faire ? Aura-t'il une seconde chance ?
Pour clôturer le disque par un dernier et brillant éclat, B.B.B commence par nous assaillir avec un furieux « My Baby Left Me » où les guitares crachotent à travers une overdrive fiévreuse, l'harmonica se déchaîne, les chanteurs haranguent d'une voix maussade et virulente (Kika Meluka n'est pas loin) ; deux minutes trente de stupre de Motor-city's Rock'n'Roll. La suite est saisissante, faisant presque l'effet d'une douche rafraîchissante après une journée écrasante de chaleur orageuse. « I Get High », ballade Soul-bluesy du genre qui vous malaxe les tripes, avec en fond l'orgue piqué à l'église du coin, qui fait frémir la pilosité des tempes et de la nuque; Le chant d'Erik se mettant à nu, se livrant corps et âme, soutenu par les cuivres exacerbant la confusion d'un gars troublé par l'embrouillamini de ses sentiments. Un coda qui culmine au pinacle.

la troupe au complet
     Bon sang ! Et qui va écouter ça ? Qui va diffuser ça ? Personne ! Il vaut mieux focaliser sur un clown escroc qui fait semblant de prendre son pied en sautillant avec un casque sur la tête, triturant table de mixage et platine-disque (qui n'a peut-être aucune notion de musique) pour en extirper une muzak débilitante. Monde d'injustice !

     Backcorner Boogie Band délivre une musique qui incite aussi bien à la danse, seul ou en duo, qu'à la gesticulation de jobard en mimant basse, batterie, guitares ou ce que vous voulez. Enfin bref, Backcorner Boogie Band secoue les puces ! Enjoy !


  1. Better Days
  2. Look At Me Standing
  3. Never Sure
  4. Make You Crawl
  5. Fuel Up Your Fire
  6. Make It Happen
  7. Now I Got Love
  8. Nothing Takes Me Down
  9. Different Faces
  10. This Game We're Playing
  11. She Don't Mind
  12. My Baby Left Me
  13. I Get High








(1) Le chanteur acariâtre dans le film « The Commitments », tout récemment auteur d'un live distribué par Dixiefrog.

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