NUN’S STORY (AU RISQUE DE SE
PERDRE) (1959), un film de Fred Zinnemann
Le film dont je vais vous parler, est, dans la
filmographie de son interprète principale, plutôt méconnu du grand public.
Erreur vous dirais-je, car ce très beau film mérite sans nul doute qu’on lui
rende dès à présent ses lettres de noblesse.
L’interprète dont je vous parle est l’inoubliable Audrey
Hepburn (1929-1993). Elle se destinait initialement à la danse, mais c’est
pourtant dans le 7ème art qu’elle deviendra l’une des plus grandes
actrices de sa génération. C’est le succès de "Gigi" en 1951
à Brodway, qui lui ouvre les portes du cinéma.
On peut se rappeler certains de ses rôles mémorables
comme celui de la Princesse Ann dans "Vacances
Romaines"(clic ) en 1953 (qui lui valut
d’ailleurs l’Oscar de la meilleure actrice) , celui de Natacha Rostov dans "Guerre et Paix" en 1956, celui de
l’exubérante Holly Golightly dans "Diamants
sur canapé" en 1961, ou encore celui d’Eliza Doolittle dans "My Fair
Lady" en 1964.
Cela dit, ce n’est pas parce qu’un film est moins
connu qu’il n’en est pas moins remarquable, c’est pourquoi je vais évoquer
aujourd’hui le film de Fred Zinnemann "Au risque de se
perdre" , sorti en 1959.
Fred Zinnemann est un réalisateur et producteur d’origine
autrichienne né en 1907 à Vienne et décédé en 1997 à Londres. Il est le
réalisateur, entre autre, de films tels que "Le
train sifflera 3 fois" en 1952, avec Gary Cooper et Grace
Kelly; "Tant qu’il y aura des hommes" avec Montgomery Clift,
Burt Lancaster et Frank Sinatra en 1953 ou "Chacal" (1973) avec Edward Fox en tueur à gages.
Or donc, revenons à notre sujet. "Nun’s
Story " (Au risque de se perdre) est un film inspiré du roman
de Kathryn Hulme (1900-1981), auteur américaine, lui-même inspiré de la
vie de Marie-Louise Habets (1905-1986), religieuse et infirmière belge.
Marie-Louise Habets prend le voile en 1926, dans la
Congrégation des Sœurs de Charité de Jésus et Marie. Elle part au Congo en 1933
et en revient en 1939 car elle y a contracté la tuberculose.
Elle obtient une dispense de ses vœux en 1944.
Impliquée dans la Résistance, elle se consacre aux soins des soldats, blessés
de guerre.
L’histoire du film : Gabrielle Van Der Mal (Audrey
Hepburn) est la fille d’un éminent chirurgien. Elle décide d’entrer dans
les ordres, et devient, après la cérémonie de prise de voile, Sœur Luc.
Orgueilleuse, fière et douée d’une forte personnalité, la vie religieuse
s’avère pour elle une épreuve, du fait de sa difficulté à accepter et
comprendre la règle d’obéissance de son ordre. Lorsque la Mère Supérieure lui
demande d’échouer à son examen par humilité, elle le réussit et est envoyée
dans un asile psychiatrique à Bruxelles. Le caractère
de Sœur Luc ainsi que ses prises de positions font qu’elle s’adapte mal à cet
environnement strict et rigide. Lorsqu’elle part pour le Congo, elle devient
l’assistante médicale du Docteur Fortunati, dont elle fait l’admiration
et avec qui elle va entretenir une relation basée sur la confiance, le travail
acharné et le respect mutuel.
Gérard Philippe et Yves Montand avaient été
pressentis pour incarner le Docteur Fortunati, mais le rôle du médecin athée
reviendra finalement au britannique Peter Finch, vu dans "Sunday
Bloody Sunday" de John Schlesinger en 1971.
Même si ce film ne fit pas l’unanimité
auprès de la critique de l’époque, qui contesta le choix d’Audrey Hepburn pour
incarner Sœur Luc, je trouve personnellement que le résultat final est assez
saisissant.
Agée
de 30 ans, au sommet de sa beauté et icône "chic" pour Givenchy,
Hepburn n’hésite pas à se transformer pour endosser le rôle de Sœur Luc. Les
conditions de tournage rigoureuses au Congo mettent à rude épreuve la santé
d’Audrey Hepburn, qui souffre de déshydratation et est clouée quelque temps au
lit avec des calculs rénaux.
La
silhouette gracile, les yeux cernés d’Audrey Hepburn, ainsi que cette force
étrange qui émane d’elle, en font, à mon sens, l’interprète idéale puisqu’elle
casse l’image de drôle de frimousse qu’on lui connaît, pour le rôle plus
tourmenté d’une religieuse aux conditions de vie difficiles.
Voilà donc un film d’une rare intelligence,
puisqu’il a le mérite de nous faire nous interroger sur le carcan de la vie
religieuse, la stupidité de l’obéissance, la rigidité imposée à ses femmes
parfois très jeunes, et surtout la quête de perfection. Car, comme le dit la
Mère Supérieure : "la vie de nonne est une
quête de perfection, une vie de sacrifice, et, en un sens, une vie contre
nature".
Totalement
anti-conformiste, révoltée par certaines règles auxquelles elle n’entend rien,
le personnage de Sœur Luc est bouleversant, et Audrey Hepburn nous transmet la
dualité émotionnelle que vit son personnage avec une rare justesse. Par
exemple, la scène où Sœur Luc découvre le décès de son père sur le front (le
film se déroule pendant la 2ème guerre mondiale), et où elle lutte
contre le sentiment de haine qui l’habite est criant de vérité. Comment peut-on
rester étrangère aux passions humaines (amour, haine) alors que l’on est fait
de chair et de sang ?
Pour
la première partie de son film, conçu tel un documentaire sur la vie et les
rituels du couvent, Zinnemann a fait appel au décorateur hongrois Alexandre
Trauner (1906-1993). Trauner a participé au décor de films illustres, tels "Quai
des Brumes" (1938) et "Les enfants du Paradis"
(1945) de Marcel Carné, "L’homme qui voulut être roi" de
John Huston (1975) ou "Subway" de Luc Besson (1985).
La
deuxième partie du film évoque un Congo gouverné par le colonialisme
paternaliste. A noter qu’une scène du film où un noir tue une religieuse, a
pris une dimension prémonitoire, si l’on se reporte aux événements tragiques de
1960 qui conduisirent le Congo à son indépendance.
"Au
risque de se perdre" a été nominé pour 8 Oscars, dont celui de la meilleure actrice mais ne
remporta aucune statuette. En 1960, c’est
Simone Signoret qui obtiendra cette distinction pour "Les
chemins de la Haute Ville" .
Audrey Hepburn obtiendra
pour son rôle de Sœur Luc le British Academy Awards et le New York Film
Critics Circle Award.
"Au risque de se
perdre" a été élu meilleur film
au British Academy Awards.
Lorsqu’on connaît l’action
d’Audrey Hepburn auprès de l’UNICEF, on se dit que ce film fait écho à son
propre engagement (voir la "Audrey Hepburn Children's Fund" clic ) . Elle déclara d’ailleurs que le tournage de ce film lui avait
semblé éprouvant mais allait marquer le combat qu’elle mena toute sa vie auprès
des défavorisés et des populations du tiers monde. A noter également cet effet
miroir entre Marie-Louise Habets et Audrey Hepburn : toutes deux se sont
engagées dans la Résistance lors de la 2ème guerre mondiale.
La
fin du film laisse planer le doute quant au devenir de Sœur Luc, qui est
redevenue Gabrielle Van Der Mal. Va-t-elle rejoindre la Résistance (sachant que
le film se termine en 1943). Va-t-elle retrouver son amour de jeunesse ou
rejoindre le Congo avec le Docteur Fortunati ? La porte reste ouverte sur
un éventail de possibilités, mais sachant que le film s’inspire de la vie de
Marie-Louise Habets, on peut supposer que Sœur Luc s’engagera dans la
Résistance.
A
noter que ce film est le seul de la Warner où il n’y a pas de musique sur le
générique de fin, et ce malgré l’avis de Jack Warner. Une musique heureuse
aurait pu être interprétée comme l’approbation du choix de Sœur Luc (choix
d’ailleurs qui n’est pas implicitement exposé), une musique triste aurait
signifié le contraire. Il fut donc décidé qu’il n’y aurait pas de musique de
fin.
"Au
risque de se perdre" est un film d’une grande beauté, superbe et bouleversant, magnifié par
la présence habitée d’Audrey Hepburn, qui reste, encore aujourd’hui, une des
plus belles interprètes de tous les temps.
A
découvrir, pour la beauté du cinéma.
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