samedi 20 avril 2013

TE DEUM de CHARPENTIER – William Christie - par Claude Toon



- B'jour M'sieur Claude, ça me dit quelque chose cette musique rutilante, mais alors… alors… très très loin dans mon enfance…
- Ah ça surement Sonia ! C'est l'ouverture du Te Deum de Charpentier, le thème de l'Eurovision, les matchs de Foot, le concours de la chanson la moins pourrie…
- Ah oui… Il y avait un logo en forme de rose des vents… le signe d'une grande occasion…
- En effet, d'ailleurs, puisque l'on en parle, je vais mettre cette image pour décorer… iconographie, nostalgie…
- Ça ne sert plus depuis belle lurette…
- Oh allez savoir, si un jour Mr Rockin' obtient un créneau de Bruxelles pour 2 heures de télé … genre Euro Blues… on remettra ce générique à la mode…

Où comment la TV remit en selle un baroqueux oublié…

Si le musicologue Carl de Nys n'avait pas exhumé en 1954 le Te Deum de Marc Antoine Charpentier et son fanfaronnant début, le compositeur baroque, contemporain du Roi Soleil, végéterait encore dans les oubliettes de la musique classique. Le label Erato accepta d'enregistrer le Te Deum et donc son célèbre générique utilisé pour toutes les émissions de TV diffusées simultanément dans la communauté européenne comme le tournoi des 6 nations.
Question pertinente : est-ce important de consacrer une chronique pour ce morceau plutôt pompeux ? Et bien oui, car au-delà de cette intro qui semble issue du best of de la Garde Républicaine, se cache une œuvre et un compositeur qui, sans rivaliser avec un Bach, Haendel ou Rameau, mérite mieux que 2 lignes dans le Robert II.
Né en 1643, la carrière de Charpentier est caractéristique de celle des musiciens de son époque, à savoir composer des œuvres de circonstances en fonction des commandes de protecteurs, ou disons… d'employeurs. Pour Marc Antoine ce sera par exemple, dès 1688, les jésuites du collège Louis-le-Grand, ce qui explique l'importance de sa production religieuse. Côté lyrique, Lully avait obtenu du Roi l'exclusivité de l'écriture des opéras français (si ça, ce n'est pas de l'orgueil ?!). À sa mort en 1687, Charpentier et d'autres pourront enfin en produire, ainsi sera composé Médée sur un texte de Corneille.
Presque 60 ans ont passé depuis le début de "Tara TaraTa Tsoin Tsoin" sur le petit écran. On dispose désormais d'une belle discographie exhaustive de ce "petit maître". Merci à tous les artistes baroqueux, des précurseurs comme Jean-François Paillard, Michel Corboz ou Jean-Claude Malgoire jusqu'aux disciples comme Hervé Niquet pour ce travail de résurrection. Et puis surtout Charpentier, tant pour sa musique lyrique (religieuse comprise) qu'instrumentale, a bénéficié de la révolution baroque. De l'expansif générique de 1954, jusqu'à la fringance d'aujourd'hui, quel allégement du style, y compris pour l'incontournable prélude qui est beaucoup plus chantant…
Pour la petite histoire, en 1954, l'Orchestre De Chambre Des Concerts Pasdeloup était dirigé par Louis-Martini... Et le côté classique n'avait rien de compassé !

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Où l'on s'aperçoit que, derrière une Intro un peu solennelle, se cache une belle œuvre…


Né en 1944 aux États-Unis, William Christie appartient à la génération des baroqueux d'envergure au même titre que Nikolaus Harnoncourt, ou René Jacobs avec qui il a travaillé. Objecteur de conscience lors de la Guerre du Vietnam, il gagne la France en 1971. Il est naturalisé français depuis 1995 et a même été élu à l'Académie Française en 2008 (Beaux Arts). Claveciniste de formation, il ne joue plus en solo de cet instrument mais uniquement dans le continuo de l'ensemble Les Arts Florissants qu'il a fondé en 1979. Le nom de cet ensemble reconnu lui a été inspiré par celui d'un opéra de… Marc-Antoine Charpentier. Cela montre l'intérêt que porte ce chef à la musique baroque française, pays qu'il l'a accueilli et qu'il a adopté. Sa discographie de haut de gamme compte nombre d'enregistrements de Lully, Rameau, Mondonville mais aussi de compositeurs baroques de tous horizons de Monteverdi à Haydn.

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Je regrette que le livret de l'album Virgin fasse l'impasse sur le Te Deum pour ne commenter que le grand office des morts qui, il faut bien le dire, par sa durée et sa variété musicale est l'intérêt premier de ce disque. Bon j'explique a minima. Dans la gamme des liturgies catholiques, un Te Deum est un hymne de louanges destiné à fêter un évènement, souvent une victoire militaire sous l'ancien régime. Il faut dire qu'à l'époque de Louis XIV, les occasions d'honorer les pauvres bougres morts au champ d'horreur ne manquaient pas.  Les compositeurs de ce style d'office ne chômaient pas…
XXX

D'après mes lectures, et pour suppléer les manquements des informations données avec mes enregistrements (chez Erato avec Corboz, c'est aussi chiche), ce Te Deum aurait été composé à la suite de la bataille de Steinkerque en août 1692 (une victoire française !). On ne devra pas s'étonner si dans ce genre d'œuvre, de très beaux airs spirituels cohabitent avec des chœurs vaillants et des tambours et trompettes… Amateurs de musique de chambre, passez votre chemin… et encore…
William Christie, a ajouté une marche de timbales d'un certain Jacques Philidor, avant l'introduction si célèbre, pour bien situer le contexte militaire de l'affaire. Le Te deum alterne des airs intimistes et de glorieux chœurs qui, eux, ne mettent pas forcément en valeur l'art de Charpentier. Mais trois siècles ayant passé, les baroqueux étant venu alléger les options d'interprétation, on pourra presque s'amuser de ce côté "ballet des soldats de plomb" que le chef adopte grâce à des tempos vigoureux et un phrasé brillant et allègre. Le maestro n'en fait pas de trop, c'est élégant, la mélodie aux cordes du célébrissime prélude est joliment articulée. Après ce départ en fanfare, égarons-nous dans les airs plus religieux…
(1) Te aeternum Patrem [vidéo 3] : le chœur intégrant le Sanctus est d'une belle religiosité, émouvant. Il est interrompu par des passages plus rapides pour bien marquer les changements de versets et surtout par des passages dédiés à quelques solistes. On sent immédiatement à la fois l'influence du style français par la grandeur, et du style italien par l'intervention lyrique, presque intime de quatre solistes. Si la langue n'était pas le latin, on pourrait s'imaginer dans une scène d'opéra ou d'oratorio. Les voix sont parfaites, les instruments (flûtes et bois) accompagnent avec précision et retenue.
On retrouvera à plusieurs reprises ces dialogues chœur-solistes-orchestre dans de très festifs passages au rythme endiablé.
(2) Te per orbem terrarum [vidéo 5] : Cet ode à la Sainte Trinité est chanté par un trio masculin accompagné par un orgue positif et un continuo des basses. Charpentier fait preuve d'imagination à chaque passage, aucun n'adoptant la même formation chorale ou instrumentale. C'est là tout l'intérêt de cette œuvre.
(3) Te ergo quaesumus [vidéo 7] : Place à la voix de soprano. Féminine ici, castrat à l'époque ? C'est un chant de supplication, mais sans tristesse. L'accompagnement, très réduit, à la flûte et à l'orgue, offre un climat de douceur "paradisiaque" à ce passage. C'est très émouvant, et l'équilibre serein trouvé par William Christie entre la voix et les timbres de cet humble continuo  est rêvé !

Marche… quatre timbales

I. Prelude

II. Te Deum laudamus

III. Te aeternum Patrem

IV. Pleni sunt coeli et terra

V. Te per orbem terrarum

VI. (a) Tu devicto mortis aculeo

VI. (b) Judex crederis esse venturus

VII. Te ergo quaesumus

VIII. Aeterna fac cum sanctis tuis

IX. Dignare Domine

X. Fiat misericordia tua Domine

XI. In te Domine speravi

 





Le CD est complété par un office des morts composé de la Messe pour les Trépassés dans laquelle William Christie a intercalé une Prose des morts et un motet. C'est très réussi dans le sens où, ce "montage" nous restitue l'authenticité d'un office de recueillement en cette fin du XVIIème siècle.
Pour la petite histoire, en 1954, l'Orchestre De Chambre Des Concerts Pasdeloup était dirigé par Louis-Martini... Et le côté classique n'avait rien de compassé !
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Bon ok, Lully était quand même un peu fat, mais lui aussi a écrit son Te Deum, et William Christie nous le propose ici en live avec Les Arts Florissants (le 17 novembre 2009 salle Pleyel). 


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