TE DEUM de CHARPENTIER – William Christie - par Claude Toon
- B'jour M'sieur Claude, ça me dit quelque chose cette musique rutilante,
mais alors… alors… très très loin dans mon enfance…
- Ah ça surement Sonia ! C'est l'ouverture du Te Deum de Charpentier, le
thème de l'Eurovision, les matchs de Foot, le concours de la chanson la
moins pourrie…
- Ah oui… Il y avait un logo en forme de rose des vents… le signe d'une
grande occasion…
- En effet, d'ailleurs, puisque l'on en parle, je vais mettre cette image
pour décorer… iconographie, nostalgie…
- Ça ne sert plus depuis belle lurette…
- Oh allez savoir, si un jour Mr Rockin' obtient un créneau de Bruxelles
pour 2 heures de télé … genre Euro Blues… on remettra ce générique à la
mode…
Où comment la TV remit en selle un baroqueux oublié…
Si le musicologue
Carl de Nys n'avait pas exhumé
en 1954 le
Te Deum
de
Marc Antoine Charpentier
et son fanfaronnant début, le compositeur baroque, contemporain du
Roi Soleil, végéterait encore
dans les oubliettes de la musique classique. Le label
Erato accepta d'enregistrer le
Te Deum et donc son célèbre générique utilisé pour toutes les émissions de
TV diffusées simultanément dans la communauté européenne comme le tournoi
des 6 nations.
Question pertinente : est-ce important de consacrer une chronique pour ce
morceau plutôt pompeux ? Et bien oui, car au-delà de cette intro qui
semble issue du best of de la Garde Républicaine, se cache une œuvre et un
compositeur qui, sans rivaliser avec un
Bach,
Haendel
ou
Rameau, mérite mieux que 2 lignes dans le
Robert II.
Né en 1643, la carrière de
Charpentier est caractéristique
de celle des musiciens de son époque, à savoir composer des œuvres de
circonstances en fonction des commandes de protecteurs, ou disons…
d'employeurs. Pour Marc Antoine ce sera par exemple, dès
1688, les jésuites du collège
Louis-le-Grand, ce qui explique l'importance de sa production religieuse.
Côté lyrique,
Lully
avait obtenu du Roi l'exclusivité de l'écriture des opéras français (si ça,
ce n'est pas de l'orgueil ?!). À sa mort en
1687,
Charpentier
et d'autres pourront enfin en produire, ainsi sera composé Médée
sur un texte de Corneille.
Presque 60 ans ont passé depuis le début de "Tara TaraTa Tsoin Tsoin" sur
le petit écran. On dispose désormais d'une belle discographie exhaustive de
ce "petit maître". Merci à tous les artistes baroqueux, des précurseurs
comme
Jean-François Paillard,
Michel Corboz
ou
Jean-Claude Malgoire
jusqu'aux disciples comme
Hervé Niquet
pour ce travail de résurrection. Et puis surtout
Charpentier, tant pour sa musique lyrique (religieuse comprise) qu'instrumentale, a
bénéficié de la révolution baroque. De l'expansif générique de
1954, jusqu'à la fringance
d'aujourd'hui, quel allégement du style, y compris pour l'incontournable
prélude qui est beaucoup plus chantant…
Pour la petite histoire, en 1954, l'Orchestre De Chambre Des Concerts
Pasdeloup était dirigé par Louis-Martini... Et le côté classique n'avait rien de compassé !
>
Où l'on s'aperçoit que, derrière une Intro un peu solennelle, se
cache une belle œuvre…
Né en 1944 aux États-Unis,
William Christie
appartient à la génération des baroqueux d'envergure au même titre que Nikolaus Harnoncourt, ou René Jacobsavec qui il a travaillé. Objecteur de conscience lors de la Guerre du
Vietnam, il gagne la France en
1971. Il est naturalisé
français depuis 1995 et a
même été élu à l'Académie Française en
2008 (Beaux Arts).
Claveciniste de formation, il ne joue plus en solo de cet instrument
mais uniquement dans le continuo de l'ensemble Les Arts Florissantsqu'il a fondé en 1979. Le
nom de cet ensemble reconnu lui a été inspiré par celui d'un opéra de…
Marc-Antoine Charpentier.
Cela montre l'intérêt que porte ce chef à la musique baroque française,
pays qu'il l'a accueilli et qu'il a adopté. Sa discographie de haut de
gamme compte nombre d'enregistrements de
Lully,
Rameau,
Mondonville mais aussi de
compositeurs baroques de tous horizons de
Monteverdi à
Haydn.
- * - * - * -
Je regrette que le livret de l'album Virgin fasse l'impasse sur le Te Deum
pour ne commenter que le grand office des morts qui, il faut bien le dire,
par sa durée et sa variété musicale est l'intérêt premier de ce disque. Bon
j'explique a minima. Dans la gamme des liturgies catholiques, un
Te Deum est un hymne de
louanges destiné à fêter un évènement, souvent une victoire militaire sous
l'ancien régime. Il faut dire qu'à l'époque de
Louis XIV, les occasions
d'honorer les pauvres bougres morts au champ d'horreur ne manquaient
pas.Les compositeurs de ce
style d'office ne chômaient pas…
XXX
D'après mes lectures, et pour suppléer les manquements des informations
données avec mes enregistrements (chez
Erato avec Corboz, c'est aussi chiche), ce
Te Deumaurait été composé à la suite de la
bataille de Steinkerque
en août 1692 (une
victoire française !). On ne devra pas s'étonner si dans ce genre
d'œuvre, de très beaux airs spirituels cohabitent avec des chœurs
vaillants et des tambours et trompettes… Amateurs de musique de chambre,
passez votre chemin… et encore…
William Christie, a ajouté unemarche de timbalesd'un certain Jacques Philidor, avant l'introduction si célèbre, pour
bien situer le contexte militaire de l'affaire. LeTe deumalterne des airs intimistes et de glorieux chœurs qui, eux, ne mettent
pas forcément en valeur l'art de
Charpentier. Mais trois
siècles ayant passé, les baroqueux étant venu alléger les options
d'interprétation, on pourra presque s'amuser de ce côté "ballet des
soldats de plomb" que le chef adopte grâce à des tempos vigoureux et un
phrasé brillant et allègre. Le maestro n'en fait pas de trop, c'est
élégant, la mélodie aux cordes du célébrissimepréludeest joliment articulée. Après ce départ en fanfare, égarons-nous dans
les airs plus religieux…
(1)Te aeternum Patrem[vidéo 3] : le chœur intégrant le Sanctus est d'une belle religiosité,
émouvant. Il est interrompu par des passages plus rapides pour bien
marquer les changements de versets et surtout par des passages dédiés à
quelques solistes. On sent immédiatement à la fois l'influence du style
français par la grandeur, et du style italien par l'intervention
lyrique, presque intime de quatre solistes. Si la langue n'était pas le
latin, on pourrait s'imaginer dans une scène d'opéra ou d'oratorio. Les
voix sont parfaites, les instruments (flûtes et bois) accompagnent avec
précision et retenue.
On retrouvera à plusieurs reprises ces dialogues
chœur-solistes-orchestre dans de très festifs passages au rythme
endiablé.
(2)Te per orbem terrarum[vidéo 5] : Cet ode à la Sainte Trinité est chanté par un trio masculin
accompagné par un orgue positif et un continuo des basses. Charpentier
fait preuve d'imagination à chaque passage, aucun n'adoptant la même
formation chorale ou instrumentale. C'est là tout l'intérêt de cette
œuvre.
(3)Te ergo quaesumus[vidéo 7] : Place à la voix de soprano. Féminine ici, castrat à
l'époque ? C'est un chant de supplication, mais sans tristesse.
L'accompagnement, très réduit, à la flûte et à l'orgue, offre un
climat de douceur "paradisiaque" à ce passage. C'est très émouvant, et
l'équilibre
serein trouvé par William Christie entre la voix et les timbres de cet humble continuo est rêvé
!
Marche… quatre timbales
I. Prelude
II. Te Deum laudamus
III. Te aeternum Patrem
IV. Pleni sunt coeli et terra
V. Te per orbem terrarum
VI. (a) Tu devicto mortis aculeo
VI. (b) Judex crederis esse venturus
VII. Te ergo quaesumus
VIII. Aeterna fac cum sanctis tuis
IX. Dignare Domine
X. Fiat misericordia tua Domine
XI. In te Domine speravi
Le CD est complété par un office des morts composé de la Messe pour les Trépassésdans laquelle William Christiea intercalé uneProse des mortset un motet.
C'est très réussi dans le sens où, ce "montage" nous restitue
l'authenticité d'un office de recueillement en cette fin du XVIIème
siècle.
Pour la petite histoire, en 1954, l'Orchestre De Chambre Des
Concerts Pasdeloup était dirigé par Louis-Martini... Et le côté classique n'avait rien de compassé !
- * - * - * -
Bon ok, Lully était quand même un peu fat, mais lui aussi a écrit
sonTe Deum, et William Christienous le propose ici en live avec LesArts Florissants (le 17 novembre 2009 salle Pleyel).
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