C’est peu dire si on
l’attendait ce film-là. Paul Thomas Anderson, nous en avions déjà parlé ici
même au sujet de - - PUNCH DRUNK LOVE : la chronique ici - -. Son film précédent était le monumental THERE WILL BE
BLOOD (2007). Ce réalisateur tourne peu, mais tourne bien (euphémisme…).
L'histoire : Freddie Quell, vétéran de la guerre de Corée, 1950, tente sa
réinsertion civile. Le personnage a un lourd passif psychologique, que les
traumatismes de la guerre n’arrangent pas. Il trafique de la gnôle frelatée,
en boit lui-même beaucoup, s’essaie au métier de
photographe dans une galerie commerçante. Il tombe amoureux de sa
marraine de guerre, une fille de 16 ans. Amour éperdu, total, réciproque, mais les
circonstances sépareront les amants. Un soir de beuverie, Freddie monte
clandestinement sur un yacht, et rencontre les membres de La Cause, une secte
dirigée par Lancaster Dodd, surnommé The Master. Dodd voit en Freddie un
stupide animal, attardé, maladivement violent. Le cobaye idéal pour ses expériences
pseudo-psychologiques...
Evacuons de suite le sujet qui
fâche : la scientologie. On a dit et redit que le personnage de Lancaster
Dodd était inspiré par Ron Hubbard, créateur de la Scientologie. C’est vrai, d’autant que le dogme de La Cause, les tests, la rhétorique de
Dodd s’inspirent de la méthode scientologue. Et on sait aussi que le
réalisateur PTA est un ami de Tom Cruise, lui-même scientologue. On se souvient
que dans MAGNOLIA (1999), Tom Cruise jouait un gourou déjanté… Et dans THERE WILL BE
BLOOD, il était déjà question d’Eglise et de prédicateurs mystiques et de manipulateurs.
Le thème est donc cher à
l’auteur, mais ce n’est pas le centre du film. On
comprend très vite que Dodd est un gourou de pacotille, inspiré autant par l'alcool que le cosmos ! D’ailleurs, il se
prénomme Lancaster. Faut-il y avoir une allusion à Burt Lancaster, interprète
du film ELMER GANTRY LE CHARLATAN de Richard Brooks (1960) sur un même
sujet ? Le débat est quasi clôt quand Dodd se fait arrêter par le FBI pour
détournement de fond, que son propre fils ne croit plus en ses sermons, que son éditeur qualifie de torchon les 900 pages de sa bible, dont les
propos pourraient ne tenir qu’en trois feuillets… La domination de Dodd sur son
entourage et ses ouailles fait long feu, comme le montre la scène avec Laura
Dern, septique quant aux termes utilisés dans la dialectique de Dodd.
Pour moi, le cœur du film est ailleurs. C’est d’abord le portrait d’une Amérique déboussolée, avec les vétérans qui ne comprennent plus leur pays, peinent à y trouver leurs marques (la bagarre avec le client photographié est incroyable de désespoir et violence contenue), et une société bourgeoise qui s’encanaille de croyances fumeuses, essayant de perpétrer un modèle de valeur qui se fissure et prend l’eau de toutes parts. THE MASTER parle aussi du fil invisible qui relie les Hommes, un thème qu’on trouvait déjà dans PUNCH DRUNK LOVE (entre les deux amoureux rêveurs), MAGNOLIA (film chorale aux intrigues multiples et reliées entre elles) ou THERE WILL BE BLOOD (domination du prédicateur sur ses fidèles, relation avec Daniel Plainview le misanthrope).
Pour moi, le cœur du film est ailleurs. C’est d’abord le portrait d’une Amérique déboussolée, avec les vétérans qui ne comprennent plus leur pays, peinent à y trouver leurs marques (la bagarre avec le client photographié est incroyable de désespoir et violence contenue), et une société bourgeoise qui s’encanaille de croyances fumeuses, essayant de perpétrer un modèle de valeur qui se fissure et prend l’eau de toutes parts. THE MASTER parle aussi du fil invisible qui relie les Hommes, un thème qu’on trouvait déjà dans PUNCH DRUNK LOVE (entre les deux amoureux rêveurs), MAGNOLIA (film chorale aux intrigues multiples et reliées entre elles) ou THERE WILL BE BLOOD (domination du prédicateur sur ses fidèles, relation avec Daniel Plainview le misanthrope).
Qu’est ce qui relie Freddie
Quell et Lancaster Dodd ? Pas simple de répondre à chaud à cette question.
THE MASTER est le genre de film qu’il faut laisser décanter pour en apprécier
toutes les effluves… Au départ, il est certain que Dodd veut dominer son sujet,
son "animal stupide", le modeler. Freddie, en manque de
repère, trouve cela amusant, il a besoin de cette autorité, cette figure
paternelle. Mais il n’est pas dupe des prêchi-prêcha, et Dodd lui-même s’en
rend compte. La femme de Lancaster aussi : Mary Sue Dodd est l’éminence grise de son mari, rapidement on sait qu’elle tire
les ficelles, et elle sent le danger chez Freddie. Elle
demande qu’il soit chassé de la confrérie. Mais Dodd semble vouloir le
garder auprès de lui, en faire son favori. Est-ce seulement à cause des
breuvages alcoolisés que Freddie fabrique et partage avec le Maître ?
Il y a dans la fabrication de
cet alcool une allégorie très païenne de la croyance. Une recette improbable faite d'huile de moteur, diluant, poudre chimique... Comme le discours de La
Cause, l’alcool de Freddie séduit d’abord, réchauffe les tripes, mais à
haute dose, il tue. Le traine-savate imbibé prend de plus en plus de place dans l’organisation, prend goût à cette
vie, mais reste inconstant, et violent. Il me fait penser à un rat de laboratoire, bien nourri, mais privé de liberté. Liberté qu'il s’octroie, en fuyant le Maître, plusieurs mois. Freddie est-il si
"animal" que ça ?... A la vue de la dernière scène, magnifique, où il couche
avec une femme rencontrée dans un bar, et lui inflige le même test qu’il a subi
(« si tu clignes des yeux, on recommence… ») on comprend que Freddie a
sans doute retenu plus de leçons qu’il n’y parait…
On sait que les films de Paul
Thomas Anderson offriront toujours un spectacle visuel de haute volée, et on
n’est pas déçu ! Quelles images ! Il faut dire que PTA a tourné sur
pellicule 65mm tirée sur 70mm (donc deux fois plus larges que le 35mn
classique, donc, deux fois plus de détails) format de tournage très rare,
utilisé pour LAWRENCE D’ARABIE, BEN HUR, 2OO1. Le format est cependant
légèrement tronqué, ce n’est pas du scope mais du 1:85. Les images ont un piqué
d’une qualité rarement atteinte (scène du désert), et le directeur photo Mihai Malaimare Jr fait
vraiment des merveilles.
Parmi les grands moments de THE
MASTER, il y a ce traveling sublime qui suit un mannequin en vison dans un magasin, ces travellings latéraux (quand Freddie fuit à travers
champs, remarquez les stries de la terre), la course à moto dans le désert,
décor impressionnant qui renvoie à THE MISFIST de John Huston. Il y a cette image de Freddie allongé sur une cheminée de
croiseur, surplombant le pont, le yacht de Dodd filmé de nuit s'éloignant dans la baie, et cette scène
de fantasme totalement incroyable, et qui elle renvoie directement à PIERROT
LE FOU de JL Godard. Lors d’une soirée mondaine autour de Lancaster Dodd, tous
les personnages féminins apparaissent nus. Rien d’érotique là-dedans, ces
femmes de tous âge, parlent, déambulent, jouent de la musique, bref, tout est
très normal, sauf qu’elles sont entièrement nues ! On comprend qu’elles ne
le sont que dans le regard de Freddie, bien imbibé ce soir-là…
Lancaster Dodd est jouée par
Philip Seymour Hoffman, fidèle du réalisateur (5 films sur 6). C’est un
comédien prodigieux, qui nous rappelle ici le profil de Charles Foster Kane
dans CITIZEN KANE. (voir d'ailleurs la scène finale dans le très grand bureau, aux allures de KANE). Les scènes entre lui et Joaquim Phoenix sont passionnantes,
deux manières de jouer, d’appréhender le rôle. Sa femme est jouée par Amy Adams,
impériale, douce et aimante mère au foyer au premier abord... au premier seulement…
C’est une fois de plus Jonny
Greenwood (du groupe Radiohead) qui compose la musique, mélange de thème jazzy
des années 50 à la sauce électro, bidouillages de bandes, impression étrange,
oppressante, du meilleur effet sur les images.
THE MASTER ne se digère pas d'un coup, il y a de la matière ! Moins ample, moins lyrique que THERE WILL BE BLOOD, il manque peut être à THE MASTER une dimension
tragique, un souffle qui nous entrainerait et ne nous relâcherait plus. Ce qu'on perd en spectaculaire, on le gagne en intimité, en humanité aussi. Bon : 2h17, c'est toujours 17 minutes de trop, mais ce film est incontestablement un vrai grand moment de cinéma, inspiré, exigeant, par un des réalisateurs les plus méticuleux depuis Kubrick ou Malick.
THE MASTER
sc, réal, prod : Paul Thomas Anderson
couleur - 2h17 - 1:85 sur tirage 70 mn
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