- Bonjour Monsieur Claude. Vous écrivez sur un film genre l'Exorciste ou
sur une pièce de Ionesco ?
- Ni l'un ni l'autre Sonia, mais pourquoi Ionesco ?
- Et bien ce n'est pas une Cantatrice Chauve sur la pochette du CD
?
- Ah oui tiens, je n'avais pas fait ce rapprochement… Pour une fois nous
avons une pochette "classique" a priori farfelue… mais il y a des raisons
à cela Sonia !
- Ah, alors je suis curieuse d'en savoir plus…
Sonia a raison de s'interroger sur cette pochette insolite. On comprendra
mieux la démarche du graphiste si je vous dis que ce livre-CD est consacré à
Agostino Steffani, un étrange personnage du XVIIème siècle :
évêque (d'où le costume à col
romain et la tonsure de
Cecilia), diplomate intrépide (d'où
le titre énigmatique "Mission") et bien entendu
compositeur (d'où…
l'enregistrement de sa musique). Les intégristes ont ricané et pourtant
cette jaquette est très logique… CQFD !
Partons en mission pour explorer ce disque original paru fin
2012. J'ai utilisé l'expression
livre-CD pour souligner la qualité de ce produit "culturel". Nous sommes
loin d'un banal CD jeté dans un boîtier en plastique avec 10 lignes de
présentation, radinerie éditoriale frustrante pour les mélomanes. Non, il
s'agit d'un joli livre au format CD de 170 pages, en plusieurs langues, avec
une iconographie créative et riche : des cartes de l'époque, des fac-similés
de manuscrits… (à l'image d'un Cluedo musicologique), des photos style "Dan
Brown" des artistes, et une mine d'informations sur ce compositeur oublié.
Je me dois de signaler que j'ai puisé quelques idées dans les textes de ce
livret exceptionnel.
L'éditeur DECCA et la chanteuse ont choisi l'option "découverte" en
proposant un récital d'airs sélectionnés dans les divers opéras du
compositeur. Pour certains duos,
Philippe Jaroussky
donne la réplique à la diva italienne. Enfin, pour contrarier les esprits
chagrins et jaloux qui ont dénigré cette entreprise, il faut mentionner que
ce disque n'est pas chiche puisqu'il dépasse les 80' !! Que madame
Bartoli
se mette très en scène est certain, mais n'en déplaise aux grincheux, le
résultat est magique !
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Agostino Steffani
Essayons de nous plonger dans l'Europe de la seconde moitié du XVIIème
siècle. En France,
Louis XIV règne dans
l'absolutisme, le palais de
Versailles surgit des
marécages… L'art baroque triomphe. Le Vatican règne sur les âmes. En fonction des éternelles périodes guerrières, les musiciens se mettent au
service des princes des diverses nations. En Italie,
Monteverdi
et
Gabrieli,
Heinrich Schütz
en Allemagne, ont fait passer la musique de la Renaissance à ce que l'on va
appeler la musique "classique". Entre les guerres, la religion et
l'explosion des arts, le travail ne manque pas.
Agostino Steffani
va œuvrer dans les trois domaines tel un personnage picaresque d'Alexandre
Dumas…
Agostino Steffani
voit le jour en 1654 dans la
région de Venise. Il passe son
enfance à Padoue puis devient
choriste à la
Basilique Saint-Marc. Il semble
qu'à 14 ans, l'adolescent soit devenu
Castrat (volontaire ou
involontaire, à cette époque c'est difficile de le savoir…). Les documents
connus plaident en faveur de cette hypothèse à défaut de certitude. Cela
a-t-il un lien avec la carrière ecclésiastique qu'il va embrasser ? En
1667, le jeune chanteur arrive
à Munich auprès du prince de
Bavière, le
Comte Tattenbach. Il va rester
à son service 21 ans. Il va conjointement étudier l'orgue, le clavecin, la
composition et la théologie. Il deviendra prêtre en
1680.
Agostino ne chôme pas. Il compose ses premiers opéras :
Marco Aurelio
en 1681. Il en composera un
chaque année jusqu'en 1696. Il
voyage beaucoup, joue devant le Roi Soleil, sillonne l'Europe entre Italie,
Saint-Empire Germanique et France. À l'évidence, ses voyages permanents ne
sont pas dédiés uniquement au service de la musique, mais à des missions
plus obscures de diplomate. Un demi-siècle après la fin officieuse des
guerres de religions, et avant des tentatives de relancer les conflits comme
lors de la révocation de l'Édit de Nantes en
1685, la tâche n'est pas sans
danger. À lire le livret, l'homme est habile dans ses fonctions
politiciennes !
En 1688, le prince
Maximilien-Emmanuel de
Bavière le congédie. Passage en
Italie, puis départ pour
Hanovre auprès
d'Ernest-Auguste, prince
électeur. Il va y rester jusqu'en
1696. C'est à cette époque
qu'il poursuit l'écriture de tous ses opéras connus. L'influence de
Lully
est manifeste. En 1696 :
Bruxelles. En
1702, départ pour
Düsseldorf auprès du prince
électeur
Jean-Guillaume de Neubourg-Wittelsbach. Il fera aussi un passage éclair à
Heidelberg. Quel incroyable
parcours… pendant lequel Agostino
poursuit sa double carrière énigmatique, entre tractations secrètes et
composition. Devenu évêque "In partibus infidelium" en 1706 ("chez les infidèles", ça ne s'invente pas !),
Agostino
est donc chargé par le
Vatican de faire revenir des
États protestants dans le giron de la Sainte Église catholique.
Cette mission délicate voire impossible lui attire pas mal d'inimitié en
Allemagne. Relativement "grillé", il finit sa vie dans le dénuement et meurt
à Francfort en
1728.
Les partitions des opéras et des recueils de chants sont conservées à
Buckingham Palace. Elles ont
été apportées par l'Électeur de
Hanovre en
1714. C'est dans celles-ci que
les airs qui constituent le disque chroniqué ont été puisés…
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Cecilia Bartoli
Cecilia Bartoli
incarne le mythe de la diva moderne, succédant à des légendes vivantes
telles
Maria Callas,
Kathleen Ferrier
ou
Kirsten Flagstad. Une diva lyrique présente toujours les mêmes facettes : une voix de rêve,
une forte personnalité pour donner chair et âme aux personnages interprétés,
l'adulation du public ou… l'inverse, et enfin une vie privée secrète ou
excentrique. Et puis n'oublions pas une présence assidue dans les médias qui
entretient l'aura, le mystère et consolide le succès.
Dès sa naissance en 1966, la
petite
Cecilia
baigne dans le chant classique puisque ses deux parents sont chanteurs. Sa
mère Silvana sera son premier
professeur. La gamine est douée et chante déjà un petit rôle dans
Tosca
à neuf ans en public !
Cecilia
part étudier à
l'académie Sainte Cécile de Rome. Adolescente, elle préfère apprendre à chanter et danser le
flamenco plutôt que l'art
lyrique au grand damne de ses parents. Elle acquiert ainsi des capacités de
mouvements sur scène qui lui seront utiles pour l'opéra : savoir se déplacer
tout en chantant, dégager la sensualité d'un personnage… C'est souvent le
point faible des chanteurs d'opéra.
Elle a 19 ans en 1985. Elle
participe à l'opéra de Paris à un hommage à
la Callas
puis en 1987 à une émission TV
d'Ève Ruggiéri. Sa carrière est
lancée.
Karajan
et
Barenboïm
la repèrent et l'engagent. Hélas
Karajan
disparait avant la réalisation du projet de
Messe en si
de
Bach.
Rossini
lui assure ses premiers succès sur scène, puis
Mozart.
Cecilia Bartoli
est fascinée par l'époque baroque, celle des Castrats comme
Farinelli
(album
Sacrificium). L'album de ce jour est la suite logique de ce choix. Elle chante,
innove, ressuscite des répertoires oubliés en compagnie des orchestres
baroques les plus réputés. Les citer prendrait cinq lignes. Sa voix de
Mezzo-soprano très souple lui permet tout.
Comme toutes les divas sa vie privée ferait bien les choux gras des
tabloïds. Mais la "femme" se veut discrète et s'est senti trahie lors de la
parution d'un bouquin controversé de
Manuela Hoelterhoff sur la
chanteuse. Biographie qui mentionne le décès tragique de son frère
Gabriele, conséquence d'un
cancer que
Cecilia
souhaitait garder secret. Elle partage actuellement sa vie avec
Oliver Widmer, un baryton.
Un article sera consacré dans les temps à venir
au contre-ténor
Philippe Jaroussky, son complice dans cet enregistrement.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Mission & Agostino Steffani
L'album comprend 25 extraits. J'en ai sélectionné 4 parmi les plus
représentatifs de l'extraordinaire variété de cette musique. Et puis, les
explications sur des musiques inconnues car jamais enregistrées, n'ayant que
peu d'intérêt, chaque exemple est donné en vidéo à la suite…
1 – Plage 1
: L'album démarre en trompette sur un air tiré de
Alarico il Baltha (Acte 2, scène 6), un opéra qui s'inspire de l'invasion par le roi goth
Alaric Ier qui par deux fois essaya d'envahir l'empire romain sur
le déclin vers l'an 400. Dans l'air,
Alarico appelle ses troupes à ravager la fière Rome.
I barocchisti
au grand complet attaque en force mais tout en détails, musicalement
parlant. Le discours mélodique rappelle incontestablement
une ouverture à la française
(Lully).
Cecilia Bartoli
se veut guerrière et convaincante avec des vocalises franches et vaillantes.
Elle chante sur le registre Mezzo cet air dédié à un personnage masculin.
C'est virevoltant, jamais forcé. Son travail sur le chant de tête a porté
ses fruits. Les aigus ne sont jamais maniérés. Nous écoutons un phrasé aux
antipodes de celui d'une soprano romantique, les graves subtils nous
donnent, comme certains commentateurs le disent, un aperçu de la voix de
castrat aussi pertinent que ce que pourrait nous proposé un
contre-ténor.
2 – plage 2 :
Après cette chevauchée, un air de
Servio Tullio
(Acte 2, scène 7) assure la transition vers un monde plus romanesque. C'est
une
lamentation chantée par la reine Tanaquil dans un drame centré autour
du roi étrusque de Rome, Servius Tullius
(500 avant JC, ne m'en demandez pas plus...). La mélodie et l'orchestration
sont merveilleusement élaborées et sensuelles grâce aux couleurs du clavecin
et du théorbe.
Cécilia Bartoli chante sa peine avec intériorité, sans outrance. On retrouve cette sonorité
de voix sans vibrato, une élocution claire, une émotion sincère sans
déchirement dramatique.
1 – Schiere invitte, non tardate
(armées invaincues ne tardez pas)
2 - Ogni Core può sperar
(Tous les cœurs peuvent espérer)
3 – Plage 12
: Un duo énergique ! Écrit en
1693, l'opéra
La libertà contenta
(Acte 2, scène 14) n'a pas laissé beaucoup de trace quant à son argument
(désolé), vraisemblablement encore un sujet mythologique ou antique puisque
l'un des deux personnages se prénomme Énée. Le sujet allégorique de
cet air est typique du baroque italien depuis Monteverdi. Deux personnages
ne dialoguent pas directement mais commentent l'action. Je cite : "En mon âme font rage l'espérance et la crainte".
Le duo commence vigoureusement et de manière primesautière pour signifier ce
combat intérieur entre deux sentiments opposés.
Philippe Jarousski
et
Cecilia Bartoli
se complètent sans compétition. Les deux voix sont bien distinctes dans la
ligne mélodique.
Agostino Steffani
: un maître de la polyphonie méconnu ? Absolument. L'air se développe plus
tendrement avec une belle fluidité des deux voix qui ne sont jamais noyées
dans l'orchestre chatoyant conduit par
Diego Fasolis. Les amateurs de beau chant seront vivifiés.
4 – Plage 23
: Un air encore en duo et avec chœur. Créé à Hanovre en 1692, l'opéra
Le rivali concordi
(Acte 3, scène 15 -
les rivales s'accordent) fait songer à une comédie-ballet,
un cosi fan
tutte
avant l'heure. Deux personnages se réjouissent du retour de l'amour, le
chœur ajoutant notamment "l'amour sait blesser, mais il sait guérir aussi". Un air très festif pour lequel les deux chanteurs s'équilibrent de
nouveau fort bien. On n'imagine en aucun cas une voix masculine dans cette
plaisanterie musicale (ténor par exemple). Le chœur mixte est très en place
assurant une osmose légère et aérée avec les solistes.
La vitalité de cette musique est bluffante. On insiste beaucoup depuis la
parution de ce disque sur l'influence qu'a pu avoir
Steffani
sur
Haendel. C'est possible dans la forme, mais il y a une absence totale ici de
l'austérité métaphysique rencontrée chez le successeur allemand. Chez Agostino Steffani
nous sommes réellement dans l'univers de l'opéra, de la tragédie ou du
marivaudage. Bel héritage de
Monteverdi
avec des nuances illimitées d'atmosphères, et surtout un ensoleillement du
discours musical qui annonce l'opéra selon
Vivaldi, lui aussi honoré par la voix de
Cecilia dans un autre album.
Nota : cet enregistrement existe aussi en DVD
3 - Combatton quest'alma
(En mon âme font rage l'espérance et la crainte)
4 – Timori, ruine, ch'i sensi agistate
(En mon âme font rage l'espérance et la craintes, ruines qui avez troublé
mes sens)
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Quelques CDs de la même veine
Cecilia Bartoli n'est pas à son coup d'essai pour faire revivre des airs d'opéra un peu
trop oubliés. Oubliés parce que les jouer sur des instruments modernes avec
des voix classiques n'aurait aucun sens. La délicatesse qui ressort des
petits ensembles baroques serait gommée, le trait alourdi.
L'album consacré à
Vivaldi
est une merveille. Les opéras du prêtre Roux n'étant certes pas majeurs, ils
méritaient pourtant cette superbe anthologie pleine de verve avec l'ensemble
Il Giardino Armonico
parue en 1999 toujours chez
DECCA, comme tous les disques de
Cecilia
Bartoli
(6/6). Mêmes artistes et même vitalité authentique dans l'album
Sacrificium
avec une découverte du répertoire napolitain à la clé (2009
- 5/6). Enfin, les airs italiens de
Gluck ont conquis le public, le Toon compris (2011 - 6/6).
Agostino Steffani un compositeur inconnu sur mes tablettes et en plus a l'image de la couverture, j'ai vu quelques chose d'austère! Que nenni ! on dirait du Haendel ou du Telemann ! Une decouverte ! merci Claude !
RépondreSupprimerCe disque a été une découverte pour moi aussi. Et puis j'aime bien cette jaquette "gothique" qui change des illustrations fadasses fréquentes sur les albums classiques.
RépondreSupprimerLe Vivaldi et le Gluck de madame Bartoli sont tout aussi énergisants :o)
Nota : ce CD a reçu un Diapason d'or, mais le critique a pas aimé la pochette. Ah la la dès qu'on fait dans le décalé.....
Je préfère le Cover de l'album " born again " de black sabbath.
RépondreSupprimerAaaaahhhhhhhhh ..... J'en tremble encore de voir le diablotin... Damned.... léger et de bon goût !!!!
RépondreSupprimerRayon musical, je confie le sujet à Vincent et/ou Bruno.... :o)