J'ai
lu quelque part que le fait divers, c'était "un peu l'écume de
l'actualité". En effet, comme l'écume d'une houle, le fait divers peut
aussi annoncer une mer démontée. ll a alors toutes les caractéristiques d'une
bombe à retardement, il démarre mollement, presque anonymement, et il suffit
d'un rien pour que tout s'embrase. Le fait divers, Fritz Lang en fait le sujet de ces deux films
réunis pour la circonstance, et dont le cadre est bien entendu celui de la
presse américaine du milieu des années 50, avec ses pigistes, ses enquêteurs et
autres arrivistes. A cette époque, juste après l'affaire McCarthy, l'Amérique
semble alors s'enfoncer dans le conformisme.
Wild
Side Video nous gratifie donc aujourd'hui d'un magnifique coffret comprenant LA CINQUIEME VICTIME (While the City Sleeps) et L'INVRAISEMBLABLE VERITE (Beyond a Reasonable Doubt). Après le
diptyque consacré à deux de ses plus grands films américains (THE WOMAN IN THE
WINDOW / SCARLET STREET) ainsi qu'une série d'introuvables (l'excellent HOUSE
BY THE RIVER, le très moyen HUMAN DESIRE, ou encore ce film noir somme toute
inégal, SECRET BEYOND THE DOOR), Wild Side édite donc ici les deux derniers
films du cinéaste allemand alors exilé aux Etats-Unis depuis 1934. Son premier
film outre-atlantique étant l'impeccable FURY, film magnifique sur une erreur
judiciaire et produit en 1936 par la MGM. Vingt ans plus tard, Fritz Lang est
bien sûr un cinéaste affirmé depuis des décennies. Il n'a plus rien à prouver,
mais comme tout génie du cinéma, il a pas mal de peine à se faire entendre ou à
se faire respecter au sein de l'establishment hollywoodien... D'ailleurs, suite
à une nouvelle embrouille avec un producteur, Lang quittera à jamais le
territoire US pour s'envoler définitivement vers l'Allemagne fédérale où il
réalisera trois derniers films (LE TIGRE DU BENGALE, LE TOMBEAU HINDOU, ET LE
DIABOLIQUE Dr MABUSE)....
Pour
commencer, LA CINQUIEME VICTIME est une oeuvre assez étrange, qui rappellera
par certains égards LE GOUFFRE AUX CHIMERES (Billy Wilder, 1951). A la fois
film noir et comédie sur l'arrivisme (une course au scoop de différents
journalistes pour identifier un tueur en série), le personnage principal est
bien le milieu de la presse, avec ses journalistes pingres, voulant faire à
tout prix de l'audimat, cherchant le scoop ou le sensationnel, quitte à oublier
de vérifier leurs sources... Si la critique est de mon point de vue moins
féroce que dans le film de Billy Wilder, c'est une sacrée leçon de cinéma. On
pourra toujours regretter le manque d'épaisseur de certains personnages (le
couple très conventionnel interprété par Dana Andrews et Sally Forrest) tandis
que d'autres (ceux de George Sanders et Ida Lupino), bien plus intéressants,
auraient mérité un travail plus approfondi de mon point de vue. Mais voilà, si
les personnages manquent d'épaisseur, c'est peut-être aussi, comme le confiait
Lang parce que "les gens font exactement ce que vous faîtes sans doute
vous-mêmes, mais que vous détestez ; courir après un emploi, après l'argent".
C'est donc une critique féroce de notre monde capitaliste basé sur
l'efficacité, un monde qui n'en devient que plus grotesque... En tout cas,
rarement les hommes m'étaient apparus aussi veules à l'écran, vains et
superficiels... Mobley campé par Dana Andrews, tout comme ses collègues, nous
apparaissent hypocrites, machos, voire vulgaires, prêts à abandonner femmes et
fiancées si ça peut les aider à gravir les échelons...
John
Barrymore Jr. dans le rôle du tueur donne un portrait monolithique, voire
caricaturale et sans réelle saveur... Mais là encore, ça a été voulu par Fritz
Lang pour montrer l'apparition d'une nouvelle race de tueurs en partie réglée
sur cette nouvelle société désincarnée : les "mass murderers" qui
deviendront les "serial killers" à partir des années 80. Si
l'épaisseur romanesque n'intéresse plus Lang (la mort du magnat de la presse au
tout début est expédiée en quelques secondes, de même que l'arrivée de son
fils, interprété par le génial Vincent Price), le regard du cinéaste ne m'est
jamais paru aussi cynique et désabusé : Lang donne une image de l'Amérique
comparable à un grand corps malade. Tous les hommes et même les
"meilleurs" (Mobley n'est pas aussi moralement attachant qu'il en a
l'air) sont traités avec férocité, prêts à prostituer leurs femmes pour évoluer
dans leurs carrières ! Les femmes sont les maîtresses de leurs patrons (Rhonda
Fleming, parfaite) et le tableau est ainsi très pessimiste, très noir, avec une
mise en scène quasi-parfaite, même si l'on songe parfois plus à un téléfilm
qu'à un grand film hollywoodien... Les acteurs sont tous brillants, à commencer
par Dana Andrews, mais aussi George Sanders (que l'on voit hélas trop peu), ou
encore Rhonda Fleming que nous avions tous remarqué dans le célèbre LA GRIFFE
DU PASSE de Jacques Tourneur. Le titre anglais
"While the City Sleeps" (= "quand la ville dort") n'est pas
pertinent en français. On ne s'étonnera pas que la traduction littérale n'ait
pas été retenue dans la mesure où ce titre avait déjà été emprunté pour ASPHALT
JUNGLE de John Huston...
Le
film suivant est de mon point de vue plus intéressant, malgré une fin peut-être
un peu trop rapide. En une heure et vingt petites minutes, Fritz Lang expédie son
sujet avec une efficacité qui laisse pantois. Le montage est ici extrêmement
judicieux. Pas de temps mort. Faut dire que comme pour le précédent, L'INVRAISEMBLABLE
VERITE fut tourné sur les plateaux de la
RKO en un temps très court : trente-quatre jours. L’histoire est celle d’un
rédacteur en chef qui fabrique de toutes pièces la culpabilité de son adjoint dans
une histoire de meurtre de prostituée. Ainsi, une fois le journaliste confondu,
arrêté, jugé et condamné à mort ce dernier, son chef pourra prouver son
innocence. Il s'agit rien de moins que d'un montage pour déjouer les rouages du
système et faire un scoop sur l'innocence d'un homme.
Le
récit s'ouvre sur une exécution. Le thème de la peine de mort avait pas mal
divisé l'équipe d'alors. Pour sa fin abrupte (le spectateur a été berné, les
choses ne sont pas aussi simples que ça…), on ne manquera pas de voir une
deuxième fois ce film, qui lors de sa sortie avait pas mal déçu le public, ce
que d'ailleurs le cinéaste craignait. Les acteurs sont pourtant tous
convaincants dans leurs rôles respectifs (mention spéciale à Philip Bourneuf
dont l'interprétation est ici magnifique). Enfin, le titre anglais est tiré
d'une expression qualifiant aux Etats-Unis la certitude légale exigée pour un
verdict. Ici, un innocent se fait passer pour un faux coupable afin de prouver
l'inanité de la peine de mort. Et quand la presse s'en mêle, hypocrisie et
pouvoir s'en mêlent... Sauf qu'ici, la chute, plutôt brutale, est assez
impressionnante...
Malgré
le prix élevé de ce coffret comprenant les deux films, les cinéphiles purs
et durs ne manqueront pas cet événement. Deux versions pour chaque film (16/9
ou 3/4), versions françaises et anglaises (avec sous-titres en français
uniquement) , et un livret de 100 pages "La nuit américaine de Fritz
Lang" de Bernard Eisenschitz. Pas de documentaire.
bonne idée de faire connaitre des films moins connus de Fritz Lang sortie de Métropolis,M le Maudit et du testament du docteur Mabuse. Mais a combien est le prix du coffret ? Peut être que mon banquier voudrait que je me l'achète ?
RépondreSupprimer34.90€ chez amazon, je suis sur que ton banquier fera un effort..
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