IMPROVVISO – CHRISTINA PLUHAR ou Quand la musique baroque devient Jazzy - par Claude Toon
- Mais… qu'est-ce que vous faites avec un casque anti bruit sur la tête
M'sieur Claude…………. M'SIEUUUR CLAUUUDE !!!!!
- Hein… ah oui le casque ? C'est pour ne plus entendre les intégristes et
autres puristes du classique ou du jazz hurler aux loups…
- Ô M'sieur Claude, je crois que vous partez de nouveau en croisade à
propos d'un CD original...
- Oui ma petite Sonia, des airs baroques arrangés et improvisés dans un
esprit Jazzy, avec une clarinette notamment, un instrument inventé vers
1770…
- Mais il doit y avoir des amateurs, ne serait-ce que vous ?
- Oui, ils sont nombreux à aimer ce mélange des genres, il faut dire que
le résultat est jubilatoire à défaut d'être complètement abouti...
- Chic ! Et bien sûr, vous allez nous donner des extraits…
Il y a deux ans, j'avais commis un pamphlet en forme de comparatif sur le
saccage orchestré par AndréRieudu répertoire classique (clic). Sa démarche mercantile (150 € la place) trahit la musique pour
satisfaire un public peu initié et peu regardant ; pauvre public. J'entends
par trahir : amputer et désincarner les partitions, faire chavirer
l'évocation et l'émotion voulues par un compositeur vers un spectacle de
foire criard et de mauvais goût. Le pompon était son "adaptation" du
Boléro de Ravel… Son public est à tout jamais perdu pour apprécier la musique dans sa
quintessence, et pas uniquement celle dite "classique"…
L'adaptation de la musique classique n'est pas nouvelle. Le pire (Rondo Veneziano
qui ajoute une batterie asthmatique –
Vincent et Luc vont faire un malaise
- dans
Mozart,
Beethoven
ou
Vivaldi
!!!) côtoie le meilleur (la transcription des
variations Goldberg
de
Bach
par
l'octuor de Paris, ou
KlausNomi
transfigurant
l'air du froid
de
Purcell
avec sa voix stupéfiante)… Tiens, on se fait un p'ti ersatz Beethoven… A
gauche le grand
Otto klemperer
en 1957 et à droite les marioles de (Rondo Veneziano
dans l'ouverture de Coriolan, très dramatique, enfin à ma connaissance...
😅
offert par Radio – Daube 666 Mhz
Trêve de balivernes, je vous propose de passer un moment avec
Christina Pluhar, musicienne autrichienne passionnée de baroque. Elle a eu cette idée
insolite mais amusante d'improviser avec talent sur des airs baroques du
XVIIème siècle, en dirigeant son orchestre auquel se sont joints deux
chanteurs et un clarinettiste de jazz.
Christina Pluhar et ses amis
Bien que née à Graz en Autriche en
1965,
Christina Pluhar
vit à Paris depuis 1992,
ce qui explique que l'album
All’Improvviso ait été enregistré dans une Chapelle de la Rue des Plantes dans le 14ème
arrondissement. Ses études à Graz lui permettent à la fois de travailler les
musiques qu'elle chérit le plus : celle de la Renaissance et du Baroque et,
en toute logique, de maîtriser les instruments phares de l'époque : la
harpe, le luth et son grand frère : le théorbe.
Sa carrière la conduit à s'intégrer aux ensembles baroques les plus
prestigieux :
Hespèrion XXI
de
Jordi Savall,
Il Giardino Armonico,
Les Musiciens du Louvre de
Marc Minkowski,
Elyma de
Gabriel Garrido
et j'en passe ! En 2000, elle
fonde son propre orchestre
L’Arpeggiata. Les enregistrements suivent rapidement et les récompenses pleuvent. Bien
sûr, elle enseigne, à La Haye, pour être plus précis.
Christina Pluhar
a réalisé une discographie riche d'une bonne dizaine d'albums qui ont
rencontré un franc succès par la vitalité colorée qui s'en dégage. Ainsi on
lui doit la renaissance de
Rappresentatione di Anima et di Corpo
de
Emilio de Cavalieri, un oratorio datant de 1600.
Les mélomanes et critiques sont plus réservés (j'en fais partie) sur ses "Vêpres de la Vierge" de
Monteverdi
menées au pas de charge. Mais au moins c'est nouveau…
Mais pour
Christina, le terme "musique vivante" prend un vrai sens, puisque nous la découvrons
aujourd'hui apportant la féérie dans l'improvisation jazzy et endiablée à partir de morceaux baroques ... Voyons ses complices pour cette insolite
et joyeuse aventure :
Le clarinettiste et saxophoniste de jazz
Gianluigi Trovesi
né à Bergame en
1944 maîtrise tout instrument à
anche simple et adore improviser, une constante dans l'univers du jazz. Il
compose également.
On va s'interroger sur la présence d'une clarinette dans une musique de
l'époque
Louis XIII & XIV. Il
existe 13 types de clarinettes de taille croissante, de la
sopranino à la
contrebasse, elles couvrent
ensembles toute la tessiture d'un orchestre. À l'époque baroque, les
instruments étaient moins standardisés que de nos jours. Il y avait des
"chalumeaux" et tout un tas d'instruments bizarres et locaux dont des
collections magnifiques sont visibles au
musée de la cité de la musique à Paris… Vers 1970 Claudio Scimone
avait enregistré les concertos pour mandolines de
Vivaldi
en remplaçant des "salmo"
disparus de nos jours pas des clarinettes basses. Une clarinette n'aura
donc rien d'anachronique dans ces improvisations !
Le ténor napolitain Marco Beasley, né en 1957, est un
spécialiste du chant baroque. Quant à
Lucilla Galeazzi, ce n'est pas une diva d'opéra, mais une chanteuse familière du répertoire
populaire italien de toutes les époques. Elle prête aussi sa belle voix à
des groupes de jazz.
A l'opposé de mes chroniques habituelles, je ne vais rien analyser de
manière musicologique. Nous n'allons pas écouter une musique interprétée à
partir d'une partition détaillée. Et puis comme le montre la photo, il y a
un climat de fête et de danse dans cet album et dans un autre CD qui a été
gravé sur le même concept. Aucune métaphysique donc ! Non, une ambiance
festive où la musique tourbillonne. Cette photo montre même une danseuse,
l'énergie du spectacle…
J'ai fait écouter des extraits à Rockin' et à notre amie
Cat Foirien. Dans leurs réactions, on note les mots clés :
Médiéval
: et oui nous quittons la renaissance, une musique hors des églises et des
salons trop guindés qui seront l'apanage du siècle des lumières puis du
Romantisme. Par moment, même si des noms de compositeurs connus des amateurs
de baroque apparaissent, il y a comme une évocation du monde des
troubadours, des chants et danses de tavernes.
Folk
: synonyme de musique populaire, traditionnelle, attachée à un terroir à une
culture… D'ailleurs, ce côté immédiat
et joyeux, pas du tout intello, n'a pas trompé les clients du
Chat qui Fume qui, pourtant plutôt "addicts" au blues, ne sont pas
partis en courant, au contraire…
En fait, la structure des morceaux à l'époque repose sur une partie écrite,
"les basses obstinées" (l'ostinato), sur lesquelles les interprètes
improvisaient à leur guise. Ces "basses obstinées" font appel le plus
souvent à des rythmes de danse. Un plus du livret du CD : nous expliquer
l'origine de ces danses que l'on rencontrait dans toute l'Europe.
Qui n'a pas entendu ou lu des termes comme Tarentelle, Chaconne,
Bergamasque, etc. ? D'ailleurs je vous propose immédiatement quelques
morceaux d'un autre CD réalisé par les mêmes artistes, (mais sans la
clarinette). On commence par "Tarantella del Gargano" (plage 8), écoutez ensuite la
la trépidante "Pizzicarella mia
"(plage 9), et pour finir laune tarentelle "calabraise" (plage 11).
1.(00:00) Voglio Una Casa
2.(03:05) Folia
3.(04:52) Ciaccona I
4.(08:46) Romanesca
5.(11:12) Turlurù (Bergamasca)
6.(15:28) Folia Passeggiata Sopra D
7.(18:08) Ciaccona II
8.(19:32) Ninna Nanna Sopra La Romanesca
9.(22:18) Chiacona
10.(27:11) Se Laura Spira
11.(30:38) Toccata
12.(33:01) Kapsberger
13.(34:44) Folias
14.(38:30) Españoletas
15.(43:00) Cantata Sopra Il Passacaglio. Diatonica
Les numéros de mes morceaux préférés sont ceux des plages sur le CD.
3 – Ciaconna : instrumental inspiré d'un air de Cazzati.
10 – Se laura spira : un air parmi les plus connus, d'après Frescobaldi avec chant et clarinette. "Si la brise soupire, la rose fraîche sourit…".
14 - Espanoletas : de l'espagnol Lucas Ruiz De Ribayaz avec clarinette et une percussion très ibérique… (Merci pour la
vidéo, mais l'illustration "japonaise" est "zarbie").
Les morceaux de cet autre album "Antidotum Tarantulae" sont encore très proches d'un guilleret passé. J'ai donc choisi de
privilégier l'album
All' Improviso
encore plus fou, et tourné vers le présent, notamment avec la participation
de la clarinette de
Gianluigi Trovesi
qui nous transporte dans un monde modernisé pour cette musique vieille de
plus de 300 ans.
Et puis, il me faut insister, les "bases" mélodiques support des
improvisations sont de la plume de musiciens très estimés à leur époque et
encore de nos jours.
Girolamo Frescobaldi
(1583-1643), contemporain de
Claudio Monteverdi, aura une influence qui se prolongera jusqu'à
Bach et à la fin du XVIIème siècle. Il est toujours une référence
pour les débuts de l'ère baroque et les enregistrements de ses œuvres sont
nombreux. On trouve aussi des airs de
Maurizio Cazzati
de Mantoue, d'autres compositeurs italiens comme
Bertali
mais aussi des espagnols comme
Santiago de Murcia
(contemporain de
Bach) et
Lucas Ruiz de Ribayaz
qui travailla beaucoup sur les règles de l'ornementation.
Je ne vais pas plus loin, mais cette liste montre la richesse des styles
rencontrés dans le disque, de Naples à l'Espagne en passant par l'étrangeté
du jeu du théorbe et du luth de
Kapsberger, un peu allemand, beaucoup italien, un musicien qui fait toujours le
bonheur des joueurs de luth.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire