vendredi 4 janvier 2013

"BORN IN THE USA" de Bruce Springsteen (1984) par Luc "the Boss" B.


C’est sans conteste la chanson la plus célèbre de Bruce Springsteen, la plus moquée, caricaturée, et à l’époque, la plus incomprise. A l’instar du rôle de l’inspecteur Harry pour Clint Eastwood, « Born in the USA » fit passer son auteur pour un patriote nationaliste convaincu, et il doit encore y avoir pas mal de monde à y croire. D’autant qu’à l’époque, sur la tournée qui suivit, Springsteen arborait un blouson de jean coupé aux épaules et un splendide bandana ridicule qui nous renvoyait au Stallone de RAMBO 2 ! On se souvient que Ronald Reagan, alors en campagne électorale, avait cru bon de reprendre les paroles du refrain à son compte, et Bush de carrément choisir la chanson pour hymne de campagne… sans autorisation. Mal leur en a pris, puisque Springsteen s’évertua à leur démonter la gueule à chaque concert ou manifestation publique ! Ah bon ? Ca ne veut pas dire que je suis fier d’être américain ? Ben non, ducon, au contraire, lis les paroles des couplets, pas seulement du refrain ! La chanson raconte l’histoire d’un vétéran qui rentré au pays, ne retrouve plus sa place, est rejeté, et qui hurle à qui veut l’entendre qu’il est né ici, que c’est chez lui. A noter que Springsteen avait aussi refusé que le candidat démocrate, Walter Modale, utilise aussi la chanson. 

La méprise vient aussi de la couverture du disque. Plus américain, tu meurs… Bandes rouges évoquant le drapeau, jean, tee-shirt et casquette de baseball enfoncée dans la poche : l'arsenal type américain ! Sauf que sur le 33 tours, le cadrage est resserré sur les fesses. Personnellement, j’y ai toujours vu un type pisser sur le drapeau américain (regardez bien la position de la main droite… tendancieux, non ?). Une pochette régulièrement détournée, ce qui tend à prouver que cette photo était la bonne, un visuel fort, très géométrique, avec couleurs primaires.

Le texte fait référence au Vietnam, et au siège de Khé Sahn, pendant l'offensive du Têt, en 1968. Springsteen n'a pas fait la guerre du Vietnam (il en parle longuement dans le monologue qui introduit "The River" sur le Live 75-85, concluant sur son retour chez lui, après les trois jours, annonçant qu'il n'est pas pris : "I came back home, my father asked me 'what happened ?' I said 'they didn't take me' and he said 'that's good'). Le batteur de son groupe du moment n'a pas eu la même chance, il y est parti, et y est resté. D'où l'allusion à ce "frère", cet ami, resté là_bas, dans la chanson.

A l’origine, elle fut écrite pour un film de Paul Schrader, mais qui ne se fit pas. Remaniée et rebaptisée, elle devait paraître sur l’album NEBRASKA (1982). On peut écouter la démo sur le coffret TRACKS. De nouveau modifiée, elle ne paraitra que 2 ans plus tard sur l’album éponyme BORN IN THE USA, l’album qui fit de Springsteen une célébrité internationale. Pourtant, passée la tournée consécutive au disque, Springsteen ne la joue pas systématiquement. Pour preuve, je ne l'ai entendue sur scène que très récemment, et pourtant, en France, j'en ai pas raté beaucoup des concerts du Boss ! Au début des années 2000, on ne l'entend quasiment plus. Ou alors, des versions acoustiques, une ligne mélodique nouvelle, sur une 12 cordes avec bottleneck qui donne un côté oriental. Sauf qu’après tout, se sentir étranger dans son propre pays, rejeté, laissé sur le chemin, ce n’est pas réservé aux seuls vétérans des années 70. Il faut voir le nombre de pauvres gens foutus à la porte de chez eux par les banques, sans que l’état n’y puisse (n'y fasse) grand-chose. De nouveau d’actualité donc, la chanson reprend donc sa forme originelle. Et quelle forme ! Une rafale de DCA ! Une des intros les plus célèbre du rock, car immédiatement identifiable, 1 + 6 notes de claviers ponctuées par la caisse claire énôôôrme de Max Weinberg, quand surgit une voix déjà proche de la rupture. J’vous dis pas à la fin… Ce n’est que râle, déchirement, blessure, désenchantement. Mylène Farmer aussi a chanté une génération désenchantée, mais comment dirais-je... c'était... moins... enfin différent quoi... La chanson n’est pas bâtie sur le modèle classique du couplet/refrain/pont, mais s’apparente plus à du modal, deux accords, qui changent toutes les quatre mesures. En concert, passées les 4’40, et un magma sonore chaotique, Springsteen les yeux dans ceux de son batteur, relance le riff et enquille sur un chorus rageur de Télécaster. Il faut avoir vécu ça une fois dans sa vie… Ouf, c’est mon cas ! 

Énorme succès, "Born in the USA" fait partie des neuf titres parus en single tirés de l’album (neuf single sur douze chansons, pas mal !). Ce n’est plus une chanson, c’est un hymne. Même moi (c’est vous dire) j’avais un peu de mal avec cette chanson. Il m’est même arrivé d’écouter l’album en sautant cette première piste. Parce que la forme n'est justement pas celle d'une chanson rock classique, du moins, celles de Springsteen (comme "Cover me" qui arrive juste après sur le 33 tours). Ca braille trop, pas de pont ni de solo, et puis ces synthés... Pardon Bruce, j’étais jeune, faible, je ne savais pas ce que je faisais. Sonia, flagelle-moi… Sauf que, force est de reconnaitre que c’est une immense chanson, puissante, paroxysmique, qui prend aux tripes, construite comme beaucoup des grands standards de rock, sur une ligne claire, sans fioriture, mais un maximum d’énergie. Une chanson qui ouvre l’album, un coup de semonces qui semble prévenir : attention, on ne va pas rigoler, vous allez vous en prendre plein la gueule. Sonia, vous pouvez arrêter...

On écoute une version acoustique, en 2000, et l'originale :


Merci à Isabelle et son équipe de traducteurs (ils s'y sont mis au moins à 12, véridique !) pour proposer une traduction au plus juste du texte. 
Born down in a dead man's town J'suis né dans un bled paumé et mortel
The first kick I took was when I hit the ground Le premier coup de pied au cul que j'ai pris c'est quand j'ai touché le sol
You end up like a dog that's been beat too much On finit comme un chien qui a trop été battu
Till you spend half your life just covering up Après on passe la moitié de sa vie à se planquer

Born in the U.S.A. Né aux Etats-Unis

Got in a little hometown jam Dans la ville d'où je viens je me suis retrouvé dans le pétrin
So they put a rifle in my hand Donc ils m'ont collé un fusil dans les mains
Sent me off to a foreign land M'ont expédié à l'étranger
To go and kill the yellow man Pour aller tuer des niakoués

Born in the U.S.A. Né aux Etats-Unis

Come back home to the refinery Je suis rentré chez moi pour bosser à la raffinerie
Hiring man says Son if it was up to me Le gars du recrutement m'a dit "mon pote, si ça ne tenait qu'à moi..."
Went down to see my V.A. man Je suis allé voir le gars du ministère chargé des vétérans
He said Son, don't you understand now Il m'a dit "mon pote, les choses sont pourtant claires..."

I had a brother at Khe Sahn J'avais un ami à Khe Sahn
Fighting off the Viet Cong Qui repoussait les Vietcongs
They're still there, he's all gone Eux sont toujours là, lui il n'en reste rien

He had a woman he loved in Saigon Il avait une femme qu'il aimait, à Saïgon
I got a picture of him in her arms now J'ai une photo où elle le tient dans ses bras

Down in the shadow of the penitentiary Ecrasé par l'ombre du pénitencier
Out by the gas fires of the refinery Dehors, près des torchères de la raffinerie
I'm ten years burning down the road Ca fait 10 ans que je brûle du macadam
Nowhere to run ain't got nowhere to go, Nulle part où m'évader, nulle part où aller

Born in the U.S.A.  Né aux Etats-Unis
I was born in the U.S.A.  Je suis né aux Etats-Unis
Born in the U.S.A.  Né aux Etats-Unis
I'm a long gone Daddy in the U.S.A. Je suis un papa has been aux Etats-Unis
Born in the U.S.A. Né aux Etats-Unis
Born in the U.S.A. Né aux Etats-Unis
Born in the U.S.A. Né aux Etats-Unis
I'm a cool rocking Daddy in the U.S.A. Je suis un cool papa rocker aux Etats-Unis

 

11 commentaires:

  1. Un texte pourtant clair. Faut vraiment être un naze de première pour considérer ça comme un hymne à la gloire des usa. Manque de bol, les nazes de première c'est pas ça qui manque.
    Bon boulot, gars.
    Hugo

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  2. C'est vrai tout ça, et moi aussi je fais partie de ceux qui avait fait un rejet à l'époque. C'est comme ça... Du coup ma rencontre avec le Boss ne s'est faite que tardivement, le 28 Janvier 2011. Bouuuhh ;)) Quel bonhomme !!!

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  3. Sonia de Guéméné4/1/13 13:47

    Qu'est ce que c'était bon!

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  4. Ce titre, mais aussi le 33T, quand il est sorti (je suis vieux, j'y étais), c'était un choc. Ce son de batterie, cette voix hurlée, personne avait jamais mixé un morceau comme çà ... bon, depuis, j'ai écouté ce qu'il avait avant (grosso modo, ça va à peu près), ce qu'il avait fait après (pas une bonne idée), mais celui-là (le titre et l'album), je peux pas en dire du mal ... (enfin, ça dépend du montant du chèque ...)

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  5. Eh les mecs, y'a Lester qui dit du bien d'un disque, venez vite !!! (ça fait partie de tes résolutions 2013 ???). Et bonne année à toi.

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    1. Comme quoi tout peut arriver, surtout s'agissant des chanteurs du new-jersey ... la seule résolution que je prends chaque année, c'est d'essayer d'être en vie l'année suivante ...

      Bonne année à toi aussi Luc, et à toute l’équipe du déblocnot' ...

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  6. Merci pour le commentaire'
    Mais je reviens sur le sujet de "ceux qui passent à côté", il s'est aussi passé la même confusion avec Hotel California. On a toujours pensé qu'il s'agissait d'un morceau guimauve, mais quand on écoute les paroles...

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  7. Justement à propos d'"Hotel California"....
    Un article est prévu prochainement pour revenir sur cette chanson aux paroles à double sens, complètement incomprises par la plus part des auditeurs.

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  8. Fort bien résumé ! Il fallait quand même être sourd pour ne pas saisir ce que voulait dénoncer Bruce Springsteen dans cette fameuse chanson . Un titre qu'il m'arrive moi aussi de passer à l'écoute de l’album mais...c'est encore aujourd'hui un hymne imparable !!

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  9. Fort bien résumé ! Il fallait quand même être sourd pour ne pas saisir ce que voulait dénoncer Bruce Springsteen dans cette fameuse chanson . Un titre qu'il m'arrive moi aussi de passer à l'écoute de l’album mais...c'est encore aujourd'hui un hymne imparable !!

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