Le regard porté sur les années
70, par un de ses acteurs, voilà qui promet d’être intéressant, et le résultat
est à la hauteur de nos espérances. Nick Kent, journaliste (et musiciens à ses
heures, on y reviendra…) a traversé les années 70 sur un nuage de poudre, se
posant çà et là, Londres, Paris, Los Angeles, Detroit, pour rendre compte au
public de ce que représentait le rock’n’roll.
Le bouquin commence le 31 décembre 1969, dans un pub enfumé, un jeune mec à qui une fille éméchée roule sa première gamelle, s’apprête à nous raconter son entrée dans les années 70. Dans son premier chapitre, Nick Kent retrace rapidement son parcours de jeunesse. Fils d’un ingénieur du son qui enregistre des groupes à la radio, il apprend le piano, suit ses études en littérature classique, et apprend le français sur la demande de ses parents, plutôt conservateurs. Mais ceux-ci ne peuvent pas grand-chose contre la vague qui déferle un beau jour : les Beatles dès 1962 avec « Love me do », et les Rolling Stones. Nick Kent a 12ans, et via le fils d’un collègue de son père, il se retrouve inviter à un concert des Stones, à Cardiff en février 1964, dans un festival axé country. Il est témoin de la furie qui s’empare des filles, des ondes magnétiques et maléfiques qui parcourent la salle. Et sherry on the cake, il obtient un droit d'entrée en coulisse, et reste fasciné par la gentillesse de l’ange blond Brian Jones.
Le monde du rock’n’roll vient de lui éclater à la gueule. Ce sera sa vie, son métier, son sacerdoce ! En 1966, il voit Bob Dylan, et la fin des sixties est pour lui un apprentissage, de Cat Stevens à Clapton, Pink Flyod, Hendrix… 1972 : Sur les conseils d’un ami, il soumet trois critiques de disques à un fanzine, Frendz, qui paie à la feuille. Le style plait. Nick Kent adopte rapidement cette petite communauté, celle qui rentre gratis au concert, qui discute avec les rockers dans des halls d’hôtels. Le magazine Frendz parraine le groupe HAWKWIND (qualifié de "proto stoner rock"), lié au groupe allemand CAN, dont Nick Kent devient un proche. Il est ensuite approché par le New Musical Express, pour un compte rendu de concert des Stooges et Bowie/Ziggy. Il intègre la rédaction, en free-lance, devient le spécialiste du Glam Rock, est envoyé partout interviewer les acteurs du genre. Mais il reste surtout marqué par Iggy Pop, avec qui il sympathise, et les premiers rugissements du Punk Rock.
Se faire un nom, et une réputation est primordial. Gagner la confiance de ses interlocuteurs. Et pour ça, y’a un truc infaillible. Etre accompagné d’une jolie fille, la photographe Pennie Smith, qui fait équipe avec lui, et lui facilité le passage quand il entre la première fois dans la cage au lion : une chambre d’hôtel où l’attendent les quatre membres de Led Zeppelin… C’est en décembre 1972, après un concert. Et ça se passe mal. Les Led Zep considéraient qu’une fois le concert fini, ils avaient fait leur boulot et fallait pas les emmerder. Jimmy Page est susceptible, ne supporte aucune référence au moindre groupe contemporain du sien, les autres sont hautains, méprisants. Et le manager Peter Grant menace de sévères représailles (physiques) le moindre écart de langage à l’encontre de ses protégés… Mais une fois leur confiance gagnée, vous pouviez être intégré au cercle, et Nick Kent sera un témoin privilégié du parcours du Dirigeable, dont il a suivi plusieurs tournées.
En 1973, Nick Kent casse sa tirelire, et s’envole pour les Etats Unis. Il fréquente son idole, le critique Lester Bangs du magazine Creem, qui lui-même idolâtre Jack Kerouac et Lou Reed. Puis il atterrit à Los Angeles, la Mecque du stupre, du vice et des montages de coke. Nick Kent est témoin du rêve hippie qui n’en finit pas de se disloquer sur les trottoirs du Sunset Strip. C’est aussi sa rencontre avec David Bowie, au sommet de son art (et dont Kent dit qu'il représente le réel début des 70's). De retour en Angleterre, Nick Kent écrit de très belles pages sur sa petite amie du moment : Chrissie Hynde (en photo ci-contre). C’est aussi la fréquentation de Malcolm Mac Laren, et de Vivienne Westwood. La séparation avec la future leader des PRETENDERS, plonge Kent dans des affres de douleurs, et bien que connaissant les risques, il s’en remet à l’héroïne pour échapper à son quotidien.
Kent a très vite découvert les drogues, herbe, acides, Quaalude... C’est un mode de vie, c'est le rock’n’roll, on y coupe pas. A l'époque, ça court les rues et ne coute pas grand chose. Nick Kent a l’honnêteté de ne rien glorifier de sa vie de junkie. De même qu'il ne rend personne responsable, autre que lui. Il est parfaitement conscient des dangers. Mais il plonge. Parce que l'héro dresse un mur entre vous et le reste du monde. Et derrière ce mur, on y est bien. Et de retour en Californie, il manque d’y passer, après un premier shoot à la seringue, sauvé par son pote Iggy qui le trimballe toute la nuit en voiture, la tête tenue au dehors, en lui flaquant des claques ! Il connait les joies de partager 40 heures sans dormir en compagnie de Keith Richards, avec comme seul menu des sachets de poudre, avant d'enquiller sur une séance d'enregistrement !
Mais outre la description sincère d’un mode de vie, il faut aussi et surtout retenir du livre le regard de Kent sur la musique. Il a un profond respect pour ces musiciens, il sait faire la part de l'artiste et de l’individu. Il les approche au plus près. Il y a des passages magnifiques, cocasses, drôles, sur toutes ses stars, encore abordables. Mais quand il n’aime pas, pour ne pas gâcher inutilement de l’encre, il flingue en deux phrases les usurpateurs ! On retrouve dans ce livre le style d’écriture journaliste. La phrase juste, concise. Evidemment subjective. Juste pour le plaisir : Grand Funk Railroad, power trio creux et pompeux débitant un stoner rock démagogique à l’usage des ados bourrés de barbituriques ! The Eagles : une musique confortable comme une paire de pantoufles, mariant mysticisme hippie aux clichés cowboy, servie sous forme de boite aux chocolats enrubannée.
1975. Nick Kent est licencié puis repris par le New Musical Express. Le cœur n’y est plus, la dope prend le dessus, mais surtout le rock commence à ronronner. Il mène de grandes enquêtes sur Syd Barrett (recueillant un témoignage inédit et poignant de David Gilmour), sur Brian Wilson. Mais à part David Bowie, Steely Dan, ou Neil Young, la qualité musicale stagne, et, Kent déplore l’invasion d’une armada de chanteurs en pantalons moulants, crachant des clichés blues, dont Paul Rogers pourrait être le mètre étalon de cette écurie hirsute ! Le rock se ridiculise, à coup de reggae blanc (« une abomination ») et de funk cocaïné. Au même moment, à Paris, Kent refourgue deux bandes live des Stooges, pour amener un peu d’oxygène ($$$) au groupe qui végète. C’est cette musique qui sauvera le monde. Nick Kent se rapproche de son ami Malcolm Mac Laren, qui est en train de monter un groupe d’ados, dont Kent sera d’ailleurs l’un des guitaristes quelques semaines : Les Sex Pistols.
Les années 76-77 tournent beaucoup autour des Sex Pistols, et de la dope. Parce que Nick Kent est au première loge, parce qu'il leur fait connaître Iggy Pop, qu'il assiste au désopilant casting pour tenter de trouver le bon chanteur. Pourtant, la suite prend une tournure déplaisante, quand, accusé de frayer avec le gratin bourgeois du rock, il devient l'homme à abattre, agressé par Sid Vicious à coup de chaine de vélo sous le regard goguenard de Mac Laren. Il est aussi la ligne de mire des Bee Gees (mais il croise un Maurice trop soûl pour l'inquiéter!), passe un mauvais quart d'heure dans des toilettes avec Bob Marley et ses Wailers, et devient le souffre douleur de John Bonham et Richard Cole (Led Zep). C'est la période pendant laquelle Nick Kent s'embourbe dans son addiction à l'héro. Il ne passe quasiment plus au journal, ou pour piquer les disques réservés aux chroniqueurs, qu'il revend en douce pour payer ses doses, désormais quotidiennes. Il dort dans des squats sordides, qu'il partage d'ailleurs plus d'une fois avec Sid Vicious et Nancy Spungen.
Curieusement, le style de Kent change, on a l'impression que le rythme ralentit, s'englue, il y a moins de compte rendu journalistique, et pour cause, on rentre dans l'intimité des personnages.La bonne nouvelle c'est que son pote Iggy, qui associé à Bowie commet deux bons albums, semble pouvoir enfin être à la place qu'il mérite, quand patatras, Elvis Presley casse sa pipe : leur distributeur RCA laisse tous les projets de côté pour se concentrer sur la réédition du catalogue Elvis, et les disques d'Iggy Pop sont à peine distribués...
A la fin de la décennie, son quotidien s'améliore légèrement quand il est pris sur un protocole de méthadone (qui durera 20 ans). La musique punk n'est déjà plus que l'ombre d'elle même les Sex Pistols ont échoué aux USA et ont signé leur fin, The Clash reprennent le flambeau, mais rien n'est plus tout à fait pareil. Dylan a viré mystique, Springsteen est contractuellement interdit de studio. Blondie ou Talking Heads virent pop et trustent les charts, quand Richard Hell retourne dans l'ombre. Joy Division singe la mystique de The Doors, Simple Minds et la bientôt cold wave débarque. Aux States, Fleetwood Mac et Eagles règnent sans partage sur la bande FM. Le groupe Police apporte un rayon de soleil en intégrant les influences underground du moment (look punk peroxydé très étudié pour ratisser large, et rythmique reggae). Keith Moon et John Bonham rejoignent le paradis des batteurs (même cause, même effet...) et le 8 décembre 1980, John Lennon est abattu à New York. La fin des Beatles avait marqué la fin des sixties, la fin de Lennon la fin des seventies...
Nick Kent, suivant les traces de Hunter S. Thompson et Lester Bangs, a fait sienne la doctrine du journalisme gonzo. Pour parler de rock, il faut vivre rock, avec les musiciens de rock. Nick Kent s'est donc plongé corps et âme dans la plus monstrueuse décennie musicale. Il est venu, il a vu, il a vécu. Dans ce bouquin passionnant, les anecdotes se bousculent, les souvenirs, les petits bonheurs et les joies intenses, grands moments, en même temps que se profile une longue descente aux enfers. Il ne s'agit pas de remuer la merde, de régler se comptes, de salir par simple méchanceté. Mais de raconter, témoigner 10 ans de journalisme rock, au milieu des acteurs du genre. Le style y fait beaucoup, souvent drôle, percutant. Les portraits sont touchants, respectueux, ou cocasses, virulents. Me revient cette vacherie admirable... Au cours d'une soirée chez Cher, pour l'ultime tournée des Faces, un Greg Allman beurré s’installe au piano et improvise un blues. L'assistance est consternée (les Allman's dont la musique n'était que grâce et beauté, étaient des bouseux camés et psychotiques). Seul Ron Wood s'esbaudit devant la prestation, ce qui fera dire à Nick Kent : "c'est dans ces moments qu'on s'aperçoit que Ron Wood n’est pas la fusée éclairante la plus brillante du feu d’artifice qu’est la vie".
Pour (re)vivre ces fameuses 70's, riches en chefs d’œuvres, en découvertes autant qu'en désillusions, en naissances autant qu'en disparitions, expérimentations salutaires ou sans avenir, excès et dérapages en tous genres...
APATHY FOR THE DEVIL
chez Rivage Rouge / 340 pages
Les critiques et les avis de Kent sont tranchés, voire arrêtés. Il voit le Rock d'une seule façon (pratiquement), et on ne doit pas en déroger. On pourrait presque dire qu'il vilipende plus qu'il ne commente. C'est certainement ce qu'il lui a valu une animosité qu'il a traîné pendant des années.
RépondreSupprimerNéanmoins, son regard sur les 70's est intéressant (et ce n'est jamais pompeux). C'est parfois assez glauque.
D'accord avec Bruno, Paul Rodgers à 17 ans chantait déjà du blues et en pantalon pattes d'eph....
RépondreSupprimerVous avez raison. Nick kent fait partie de ses journalistes "gonzo", une nouvelle école, qui consistait à mettre beaucoup de soi dans les articles. Plus de subjectivité ! Et forcément, rapidement on choisit son camp... Nick kent se sent plus proche de la musique punk, des défricheurs, des marginaux, que des super groupes établis sous le soleil de Californie... Il est limite sectaire parfois, mais c'est ce qui fait l'intérêt du livre. ce n'est pas un énième souvenir-souvenir, ni une encyclopédie, mais son regard à lui, sa vie et la musique qui l'a accompagnée.
RépondreSupprimerC'est vrai qu'il y va fort dans ces jugements parfois... Il flingue le mythe Marley en deux phrases ! Et quand j'ai rapporté ses propos sur Paul Rogers, Philou, j'ai eu une pensée pour toi...
Prenez un stylo, et écrivez. On en reparlera plus tard.
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