mercredi 7 novembre 2012

Colin JAMES "Sudden Stop" (1990) - by Bruno



Ce scud c'est d'abord, pour ma pomme, un p'tit souvenir amusant.
Je me rappellerai toujours de la tête de l'employée du magasin de disques que je fréquentais assidûment ; lorsque je le lui ai présenté afin qu'elle me le mette en écoute. Elle commença par rire doucement croyant à une petite blague, puis, croisant mon regard déterminé me posa la question : « Tu veux vraiment écouter ça ? » 
« Ben ouais » lui répliquais-je laconiquement, mais intérieurement goguenard.
« Sérieux ? Non, c'est que je ne te voyais pas écouter ça » (ha, les généralités) « Bon, t'es sûr ? Je te le passe ? » Insiste-t'elle (quelle patience)
« Oui, oui ! Pourquoi ? Tu l'as écouté ? »
« Euh... ben non, mais rien que la pochette... c'est pas très engageant. Pas mon truc » répondit-elle d'une mine boudeuse. A sa décharge, cette pochette avec cette tronche de minet peut être un total refouloir (« You can't judge a book by the cover »)
« Vas-y. Moi, ça m'plait » (Je connaissais déjà le premier essai du bonhomme). Et puis, il y avait eu une chronique élogieuse d'une revue de grattes (très certainement le regretté Guitar & Bass).
Silence...
Les premiers craquements se font entendre. Craquements ? Mais c'est un laser !
Une guitare acoustique avec bottleneck et une voix se pose, genre bluesman du Delta.
« Ah tiens ? C'est du blues. » dit la disquaire, le sourire retrouvé et quelque peu rassurée à mon sujet. Elle monte le son et puis... patatra ! C'est la déferlante.
Guitare électrique passée à la moulinette Marshall exsudant les lampes surchauffées et l'overdrive fiévreuse. Ouch ! En renfort : cuivres cossus (les Memphis Horns ont été appelé en renfort pour soutenir le saxophoniste pour une bonne partie du disque), batterie lourde, basse ronde et chant de petit teigneux.
« Ho !? Mais c'est vachement bien ça ! J'm'attendais pas à ça ! » dit la disquaire ravie, les cheveux repoussés en arrière et ébouriffés par le souffle des enceintes (dont elle s'empressa de baisser le volume de crainte qu'elles ne supportent pas la déflagration – c'était à donf -), les yeux écarquillés de surprise et de bonheur, la larme à l’œil de plaisir (comment ça, j'exagère ??). Ouch ! La claque.


     Elle n'en revient pas, et, méfiante, contrôle bien que la petite galette plate et argentée correspond au boîtier (une bonne blague ?) : ben, tu parles, une gueule de minet affichée sur un « art-work » complètement à côté de la plaque (question pochettes, cela n'a jamais été le fort de Colin, loin de là) et derrière, tranquille, une grosse mécanique qui déboule avec un son énorme, et sans omettre le groove ! ZZ-top meets FOGHAT. (-enfin, c'est surtout la brutale montée en puissance qui procure cette sensation).

   Et c'est pas fini. Pratiquement enchaîné jaillit la reprise d'Otis Rush, le fameux « Keep on Loving me baby » délivré ici en mode turbo-compresseur (c'est pas du Slipknot non plus, hein !). « Hérésie ! » crieront certains. Qu'importe, c'est torride, incandescent, fonceur, et on en redemande.

   « Show Me » fait à peine redescendre la pression, en ralentissant un peu le tempo et en se parant de légère intonations Rythmn'n'Blues quelque peu poppy. Un mix de Huey Lewis & the News, de Cheap-Trick et de Jeff Healey. Du Rock-US tendance bluesy très bien ficelé, avec l'aide de Bobby Whitlock.

   Par contre, « Give it Up » est une douche glacée avec ce Reggae, genre UB-40 avec cuivres trop roboratifs, que la présence de Bonnie Raitt ne parvient pas à rehausser. Un intrus au milieu de ce bouillonnant Blues-rock.

   La ballade suave, « Crazy Over You », renoue, poliment mais sûrement, avec le Blues ; légèrement sucrée, elle permet de démontrer que Colin sait placer sa voix, comme de jouer de la guitare d'une façon raffinée, tout en restant ancré dans l'idiome du Blues. Sans égaler le maître sur son territoire, on pense là à Eric Clapton, et on regrette que le solo finisse pas un « fade » au moment où il commence à s'emporter, à sortir de ses gonds.


   Colin a repris son souffle, et à nouveau, appuie sur le champignon et envoie les gaz. « T for Trouble », assis sur une batterie tribale, se présente comme un Blues-rock impétueux qui lutte pour maintenir sa cohérence, avec un solo où Colin fait crier sa guitare à l'aide d'une wah-wah brûlante.
   « Cross my Heart » est un shuffle Heavy-rock'n'Roll fougueux où l'on pourrait croire que Stevie Ray Vaughan himself est venu brancher sa "Lenny" dans une une bonne disto cossue et repousser les limites de son ampli. Colin, transcendé par une onde de choc chaude et moite, s'y arrache les cordes vocales.
Sur « Just One Love », la section rythmique ronronne comme un V8 et la gratte slide telle Rod Price. C'est à peine modéré par des chœurs qui donnent un petit côté mainstream.
« If You Lean On » fait figure de Blues-rock FM charnu qui pactiserait avec Cheap-Trick (notamment à travers le chant).
« Sudden Stop » est une belle ballade Soul-Blues (composée par Bobby Russell et interprétée pour la première fois par Percy Sledge), avec tout l'attirail adéquat : chœurs féminins, rythmique tempérée et aérée par un piano posé et mesuré, solo de saxophone, une guitare proche de la Strato de Stevie Ray Vaughan qui mute à l'aide d'une saturation crémeuse pour s'élever vers les cieux. Le coda semble être un hommage, ou un clin d'œil, à Stevie Ray.

     Bon, pour sûr, il faut revenir dans le contexte de l'époque où le Blues, bien qu'il soit, grâce à Stevie Ray Vaughan, sorti d'un statut assez confidentiel, ne devait pas s'éloigner de certains canons de crainte d'être immédiatement classé, comme si c'était honteux, dans la catégorie Heavy-rock. Fort heureusement, bon nombre d'artistes, limités en studio, se lâchaient sans a priori sur scène. A ce sujet, ceux qui, par exemple, ont pu voir un Buddy Guy sur scène dans les années 80, peuvent témoigner que son soit-disant opportunisme des premières réalisations pour le label Silvertone, était déjà bien présent sur scène ; notamment dans la dernière partie de son set. 
     Mais revenons à nos moutons. Juste pour dire que les gus qui osaient mettre autant de morgue et d'électricité dans leur Blues, et bien, ils n'étaient pas nombreux. Alors dans notre petit monde (non, pas celui des Borrowers), ce « Sudden Stop » a fait son petit effet. Évidemment, depuis, de l'eau a coulé sous les ponts, et on a pu écouter quelques flibustiers qui ont brutalisé les douze mesures d'une façon bien plus radicale et irrévérencieuse que Colin James, pas nécessairement avec talent d'ailleurs ; cependant en 1990 ils ne couraient pas les rues. Gary Moore sort son « Still Got the Blues » la même année sur le même label (Virgin)....


     Cinq simples furent extrait du disque, dont « Just Came Back » qui se hisse à la troisième place des radios américaines (jusqu'à présent Colin n'a jamais fait mieux) et 7ème au Billboard's Rock Mainstream ; 21ème pour "Keep on Loving". La même année, grâce à ce disque, il obtient deux prix Junos : un pour le meilleur single, et un second pour le meilleur chanteur masculin.

     Certes, on peut juger ce Blues-rock opportuniste en n'étant peut-être finalement qu'un mixte futé d'"Eliminator" de ZZ-Top (on retrouve d'ailleurs à la production Joe Hardy, que l'on retrouve sur pas moins de six galettes du trio Texan), de "Recycler" (qui sort la même année) et de Huey Lewis & The News, en passant par la case Big-Rock US alors en vogue, avec une pointe de Jeff Healey (alors en pleine ascension) et de Foghat (entre "Night Shift" et "In The Mood"), et en incorporant deux bonnes reprises afin de légitimer une appartenance revendiquée au Blues. Toutefois, au vu de la carrière de Colin James, on peut constater qu'il ne surfera jamais sur le succès d'un précédent opus en recrachant la même recette l'année suivante.
D'ailleurs, le précédent est plus straight et le suivant plonge dans le jump-blues appuyé par un big-band (avec des membres du Roomful of Blues). Au sujet de ce dernier, certains pensent qu'il serait l'instigateur du regain d'intérêt pour cette branche. Brian Setzer, lui, n'explore (n'exploite ?) le jump-blues (néanmoins avec plus de jazz) que l'année suivante, en 1994.

     Colin James Munn (né le 17 août 1964 à Regina, dans le Saskatchewan, au Canada) aurait tronqué son nom sous les conseils de Stevie Ray Vaughan pour qui il chauffait le public lors d'une tournée américaine en 1985 (où l'on pouvait voir parfois Colin croiser le fer avec Stevie).
     En vingt-cinq ans de carrière discographique (1er single en 1987 et 1er lp en 1988) et douze disques (sans compter celui de 2012), Colin James a été quatorze fois nominé pour les prix Juno (les « Canada's Music Award », créés en 1970 et destinés à récompenser les artistes canadiens) et en a remporté six, ainsi que douze prix Maple Blues.

     Parmi la multitude de musiciens de Blues-rock  apparue dans les années 90, Colin James est quelque peu oublié, voire même parfois totalement inconnu ; du moins par chez nous. Alors qu'il est capable de tenir la dragée haute aux meilleurs d'entre eux. 

La Bande :
Colin James : guitares électriques et acoustiques, chant
John Ferreira : saxophone ténor & baryton
Rick Hopkins : Hammond, piano & synthés
Dennis Mercenko : basse
Darrel Mayes : batterie & percussions





Passera, passera pas ?


Approximativement dans le même genre : David GOGO "Soul Bender"

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