vendredi 21 septembre 2012

BOB SEGER "LIVE BULLET / NINE TONIGHT", d'un live à l'autre (1976-81) par Luc B.




Le nom de Bob Seger explose aux oreilles des amateurs de rock’n’roll non pas grâce à un single, ni même un album, mais grâce à un double album, et live de surcroit : LIVE BULLET (1976). Ce n’est pas un coup d’éclat, un truc qui arrive par hasard, un heureux concours de circonstances…  mais une récompense bien méritée ! Car Bob Seger traine ses cheveux longs et son gosier rugueux dans le métier depuis déjà des lustres !

Si le nom de Bob Seger ne résonne plus aussi fort que celui de Bruce Springsteen sur la planète Rock (mises à part deux escapades en 1977 et 1980, le monsieur ne tourne qu'aux États Unis), ce n'était pas le cas il y a 40 ans. Mais contrairement au natif du New Jersey, qui repéré par John Hammond empoche direct le droit d’enregistrer un premier album pour COLUMBIA dès 1972, le natif du Michigan, lui, a trimé plus d’une décennie avant d’en arriver là. Bob Seger est plus âgé que son pote (à ce jour 66 contre 62 ans), et c’est dès 1961 qu’il gratte dans les premiers clubs de Detroit, avec son trio THE DECIBELS. Bob Seger est pianiste, guitariste, et bien sûr chanteur. Le premier single parait en 1965 "TGIF", et quatre suivront en 1966. Son inspiration, Bob Seger la puise aussi bien chez Little Richards, Chuck Berry, Elvis (comme tout le monde, quoi...) mais aussi chez Bob Dylan et les folkeux, ou chez James Brown. Bob Seger a la voix d'un chanteur de Soul, qui selon le répertoire caresse, chiale ou rugit, avec le léger papier de verre au fond du gosier, proche d'un Rod Stewart, d'un Paul Rodgers, d'un Peter Wolf en moins déglingué, un Joe Cocker en moins défoncé. D’ailleurs, en 1968, la MOTOWN lui fait un appel du pied, mais Seger signera avec CAPITOL. 

Sa énième formation s’appelle alors BOB SEGER AND THE LAST HEARD, mais la maison de disque préfèrera THE BOB SEGER SYSTEM (photo). Sous ce nom sortent deux albums en 1969 : RAMBLIN’ GAMBLIN’ MAN et NOAH. Autant le premier fonctionne bien, autant le second fait un flop. Cela ne s’arrange pas avec MONGREL qui sort en  1970. Bob Seger décide d’enregistrer dorénavant sous son seul nom, et ce sera BRAND NEW MORNING en 1971. Echec commercial, le troisième de suite, et la maison de disque jette l’éponge… Bob Seger se rapproche alors de deux musiciens, Skip Knape (claviers) et David Teegargen (batterie) en vogue grâce à leur titre « God, love and Rock’n’roll », et ensemble ils enregistrent l’album SMOKIN’ OP’S en 1972. On y trouve essentiellement des reprises comme « Let it rock » de Chuck Berry, « If I were a carpenter » de Tim Hardin, « Bo Diddley » de… Bo Diddley, et deux compositions de Seger, dont « Heavy Music » qui a en fait été écrite en 1967. Ceux qui connaissent LIVE BULLET commencent déjà à frétiller, car ils reconnaissent les premiers hits imparables que Bob Seger transcendera sur scène. L’album atteint la place 180 au billboard. Et pendant ce temps : concerts, tournées, toujours et encore, remettre cent fois sur le métier… En 1973, Bob Seger enregistre BACK IN 72, aux studios Muscle Shoals (studio mythique de R'n'B, temple d'Aretha Franklin, Wilson Pickett, Liza Blackwell), avec des reprises encore comme « Midnight rider » des Allman’s Brothers, ou « I’ve been working » de Van Morrisson. Le barde irlandais fait partie des grandes influences de Bob Seger, à l’instar de Springsteen d’ailleurs. Parmi les compositions originales, citons le classique « Turn the page » sur la vie de musiciens en tournée, qui sera même repris par METALLICA, et « Rosalie » qui elle fera le bonheur de THIN LIZZY. Sur ce disque, on croise JJ Cale à la guitare, et Tom Cartmell au saxophone, qui deviendra ensuite Alto Reed... C'est Bob Seger qui rebaptise son saxophoniste, pour que ça sonne mieux, comme les musicos de Captain Beefheart qui fait alors sa première partie. Il se marre encore aujourd'hui quand on lui pose la question : "Mais comment les parents de ce Alto ont pu deviner qu'il jouerait un jour du saxophone ?"... Le personnel et le répertoire se mettent en place…  L’album se classe 188 au billboard. 



L’année suivante c’est SEVEN, avec Drew Abbott à la guitare, qui deviendra un fidèle. L’album n’est pas classé, mais le single imparable « Get out of Denver » monte au rang 80. La tournée qui suit voit le groupe se resserrer (alors qu’en studio, Bob Seger invite beaucoup de musiciens, ce qui sera une source de désaccord avec les membres du SILVER BULLET). On commence à parler davantage de Bob Seger, sa réputation, ses passages radio, mais le succès reste encore confiné, régional. En 1975, il sort le disque BEAUTIFUL LOSER, encore enregistré à Muscle Shoals avec les musiciens du cru, qui se classe a rang 131 du billboard, et le single rock « Katmandu » n°43… Ca progresse, mais pas assez vite au goût de la maison de disques Capitol, qui met la pression. Bob Seger demande plus de temps pour sortir un nouvel album, NIGHT MOVES, dont les textes ne sont pas finis. Son staff propose alors d'enregistrer un live. Seger n'est pas très partisan, a peur du résultat technique. Mais c'est le seul moyen de gagner du temps, d'avoir la paix, et il obtempère. Pour être sûr de jouer sans filet, seulement deux dates sont choisies, mais dans son fief du Michigan !

Les 4 et 5 septembre 1975, au Cobo Hall de Detroit, les 12000 spectateurs trépignent. Ils savent que le type qui va monter sur scène, le régional de l'étape, a rôdé son numéro depuis 10 ans, qu’en puisant dans tous ses albums, il ne peut qu’aligner une set-list sans défaut. En ces temps-là ma bonne dame, Detroit est le temple dédié aux décibels et aux sauvages, comme THE STOOGES, MC5 (un peu plus tôt), Alice CooperTed Nugent et GRAND FUNK RAILROAD (d’ailleurs deux d’entre eux joueront avec Seger ensuite, Graig Frost sur "Against the wind"). Mais Bob Seger fait fi des modes. Comme Springsteen du côté de New York (autre scène punk-rock), comme THE J.GEILS BAND exilé à Boston, ou comme CREEDANCE quelques années avant. Ces gars-là reviennent à la source, à ce mélange de folk, de Rock’n’Roll et de Soul Music. C’est ce que le public apprécie, du basique, du solide, du carré. C’est dans les vieux pots… Ils sont peu nombreux à prétendre reprendre le flambeau. Soit on vire au punk, à l’Americana, au blues psychédélique, au jazz-rock, au Prog… Mais se planter devant un micro et balancer du bon vieux rock ricain qui englobe l'éventail de la musique populaire, non, ils n’étaient pas des masses à remplir les stades !    
Chris Campbell et Drew Abbott
Ce n’est qu'en avril 1976 que le disque sort dans les bacs, et le succès est foudroyant. Le public, grisé par le COMES ALIVE de Peter Frampton, se précipite sur LIVE BULLET. Seger gagne sur les deux tableaux : la célébrité nationale, et un délai supplémentaire pour finir ses nouvelles chansons ! Pour la première fois, Bob Seger s'associe au nom de son nouveau groupe THE SILVER BULLET BAND. Ce double album est resté 168 semaines au billboard, atteignant la place 34. C’est aujourd’hui un des albums live les plus enviés, les plus respectés. Pas un double-live aux titres de 18 minutes avec soli acrobatiques. Non, juste des chansons impeccables, un groupe solide, un chanteur qui se sort les tripes, et un public aux anges. On ouvre avec "Nutbush city limit" écrite par Tina Turner, autrement dit, on pointe la barre direct sur le Rhythm'n'blues. L'enchainement "Travelin' man" (et son final instrumental) et "Beautiful looser" vaut son pesant de double-croches, arrgh cet orgue Hammond, ce son de batterie. Le "I've been working" transpire la Soul, comme "Ramblin' gamblin' man" sur lequel on est en droit de se demander : c'est Otis Redding qui chante ? La slide est de sortie sur le swinguant shuffle "Upper middle class", énorme riff de basse sur le non moins énorme "Heavy music" chanson sur  laquelle il annonce : "on a un 16 pistes qui tourne derrière, et si vous chantez bien fort avec moi, je ne peux pas vous le garantir, mais... y'a des chances qu'on vous entende sur le prochain album...".  Putain, écoutez les "say hey, get funky", avec cocottes de guitare, comme ils emballent sec les mecs ! Et sur la fin : "I got to go somewhere..." et hop, on enquille direct sur "Katmandu" et on recharge la loco en charbon, tudieu ! La dernière face est dantesque, "Looking back" avec choeurs très E Street Band, le fameux "Get out of Denver", intro à la Chuck Berry (écoutez la première mesure du chorus de guitare, un plan que Drew Abbott ressort à chaque solo !), une bonne minute trente d'applaudissement avant le final "Let it rock", chorus à gogo ("Chuck use to say" ... "Oh Chuck be thanking") présentation des musiciens ("from Detroit Michigan"), qui clôt une prestation de feu. Le speaker reprend le micro, salue le public et conclut par "thanks for coming, envoy youself and get high", que l'on peut traduire par "défoncez-vous bien", une formule classique en ces temps-là, où l'herbe était plus verte, mais qui a fait crisser les dents de Bob Seger, fer de lance de la lutte anti-drogue !! ... 




La machine est lancée, l’inspiration au sommet, et Bob Seger va enchainer trois albums chargés de hits, et toujours enregistrés en partie à Muscle Shoals, suivant un équilibre établi entre tuerie rock’n’roll et ballades. Dorénavant, c’est 5 millions de ventes par album. En 1976 c’est NIGHT MOVES, n°8 au billboard, avec trois singles dont les deux ballades « Night moves » et « Mainstreet ». En 1978 sort STRANGER IN TOWN, carton plein, mondial, n°4 au billboard, n°14 des ventes en France, et une ribambelle de hits « Still the same », « Hollywood nights » et l’inévitable « Old time rock’n’roll ». 

Ce titre définitivement associé à Bob Seger, repris pour le film RISKY BUSINESS avec Tom Cruise, est en fait une composition de Georges Jackson et Thomas E. Jones dont Seger a modifié le texte. Il ne dépose pas pour autant un nouveau copyright. La chanson reste créditée aux auteurs d'origine. Démarche honnête, mais qui financièrement le prive des royalties ! « Le truc le plus con que j’ai jamais fait ! » se lamente Seger ! Pour la même raison, il ne peut s'opposer que cette chanson soit aussi reprise pour une pub débile (des croquettes pour chat ?). Le groupe n'aime pas cette chanson, ne lui trouve pas de potentiel scénique. Bob Seger essaie tout de même le morceau, en Belgique, et le public réagit bien. Tiens tiens... Re-belotte en Allemagne, une fois, deux fois, et c'est le délire ! Cette chanson est désormais un passage obligé de chaque concert.

Glenn Frey  et Don Felder des EAGLES participent au disque. Glenn Frey, natif de Detroit est un vieil ami de Seger, qui d’ailleurs co-signera « Heartache tonight ». En 1980 c’est AGAINTS THE WIND qui déboule dans les bacs, avec un « The horizontal bop » tonitruant en ouverture, et un certain Dr John au piano. L’album détrône THE WALL de Pink Flyod à la première place du billboard, et rafle le Grammy du meilleur album rock. Trois albums plein à craquer de chansons redoutables, support idéal pour sortir un album live. 5 ans après LIVE BULLET, place à NINE TONIGHT

Enregistré en juin et octobre 1980, entre Detroit et Boston, NINE TONIGHT est moins mythique, le son y est sans doute moins brut, moins râpeux, les ballades mid-tempo prédominent sur le R'n'B. Les nouvelles chansons sont plus classiques dans leurs formes, on s’oriente vers un rock plus calibré FM, mais je vous rassure, rien de déshonorant ! Et réussir à sortir deux double-live à 5 ans d’intervalle, et n’y trouver qu’un seul titre en commun (« Let it rock ») c’est costaud ! C'est dire si le bonhomme à de la réserve, auteur infatigable, pour saisir les difficultés de ses contemporains, croquer des portraits de petites gens, avec un penchant nostalgique sur une jeunesse trop vite passée (et pas très heureuse pour lui), les amours contrariées, l'envie de tracer la route et trouver son propre chemin. THE SILVER BULLET BAND s'est étoffé de trois choristes sur certains titres (dont Liza Blackwell rencontrée au moment de BACK IN 72, mais non créditée sur la pochette). 

Quasiment aucune fausse note sur ce disque, titres punchy ("Nine tonight", "Hollywood nights", "Feel like number"), rock'n'roll old school ("Betty Lou", "R'n'r never forget"), ballades folk ("Fire lake", "Night moves"), R'n'B ("The fire down below" excellente ! et "Trying to live without you"... hoouuu que je l'adore celle-ci, c'est une reprise que Seger a faite pour emmerder ses potes de EAGLES, et leur montrer que pour leur chanson "The long run" ils ne s'étaient pas foulés... écoutez les deux, c'est flagrant !), d'autres ballades comme "Mainstreet" et son intro au sax alto à faire pleurer, et bien sûr, le modèle absolu "Against the wind" qui est à la musique ce que RIO BRAVO est au western, tellement classique qu'elle mériterait une place au Louvre ! Et puis le final monstrueux avec "Let it rock", proche de la version 76, sans doute encore plus intense et délurée, et la table d'enregistrement s'est améliorée, puisque Bob annonce cette fois : "on enregistre ce soir sur un 48 pistes !". NINE TONIGHT se classe à la troisième place des charts.

Alors, on choisit lequel ? LIVE BULLET ou NINE TONIGHT ? L'Histoire a retenu le premier. Moi je dis : les deux ! Si vous ne connaissez pas bien Bob Seger, ces deux disques sont l'occasion d'avoir le plus beau des best-of (qu'un seul doublon en 27 titres) et en live ! Attention de choisir les versions CD, avec "Let it rock" en entier, sans la mention "edited for cd", le titre avait été raccourci par rapport à la version vinyle (il fait 8 minutes logiquement). Les CD remasterisés proposent aussi un titre inédit, sur chaque concert (le "Brave strangers" de 1980 est très bien !).

En 1982, son nouveau disque THE DISTANCE réalise ses plus grosses ventes (sans être un chef d'oeuvre, loin de là...), mais la suite est moins passionnante, les cuivres font place aux synthés, l'inspiration s'estompe, même si dans le coeur des américains, Bob Seger tient toujours une bonne place, comme le prouve les ventes de best-of qui relancent l'intérêt de la jeune génération envers un des piliers de la Working Class Hero Family.

Aux dernières nouvelles, Bob Seger était encore en tournée aux USA l'année dernière, il sort toujours des disques, et fait sold-out à chaque concert. (tiens, qui c'est qui est venu dire bonjour en passant au Madison Square Garden ?...). L'Amérique aime ses idoles. Et dans son cas, Bob le lui rend bien ! 

A noter qu'une croulé d'albums live de Bob Seger ressortent, des bootleggs vaguement officialisés, dont je ne connais pas les qualités techniques. 
 
 






Il n'y a pas de document concernant le concert de 1976, mais on trouve des versions vidéo de NINE TONIGHT, en assez mauvais état. C'est mieux que rien. Je vous propose "Against the wind" (moi, je ne regarde pas, je vais encore pleurer sinon...), attention ça coupe avant la fin, une honte... puis le hit "Hollywood nights", et l'hymne à la musique qu'on aime sur les images de Risky Business



3 commentaires:

  1. Inusable Bob Seger, quel foutu compositeur ! Et quel voix !

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  2. J'ai que Live Bullet ... donc c'est le meilleur ... mais je crois que je préfère le J. Geils Band ...

    Euh, en 75, les Stooges existaient plus ...

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  3. Les Stooges sont intemporels. On va pas chipoter, mais y'a écrit "un peu plus tôt" entre parenthèse... J'imagine qu'entre 68 et 73, Iggy et Bob ont dû fréquenter les mêmes rades... Ton argument sur LIVE BULLET est imparable. C'est ce que j'apprécie chez toi !

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