samedi 11 août 2012

LES DESAXES (1961) , un film de John Huston , par Foxy Lady


« The Misfits » (Les Désaxés) est très certainement la plus belle preuve d’amour offerte à Marilyn par son mari, l’écrivain Arthur Miller, alors que leur relation bat déjà de l’aile et que leur amour s’étiole inlassablement. Lorsqu’il écrit « The Misfits », le rôle de Roslyn Taber est tout naturellement inspiré de sa mythique épouse, Marilyn Monroe : tour à tour femme-enfant, femme-fatale malgré elle, femme-mère protectrice, proche de la nature, idéaliste, vulnérable, en quête d’un amour pur et ivre de liberté.

« Les Désaxés » (1961) réalisé par John Huston (1906-1987), nous révèle les chimères d’êtres paumés, broyés par la vie : amours perdus, illusions déçues, désir de se réaliser dans un univers sans pitié, qui s’industrialise peu à peu, et où quelques marginaux désabusés d’un autre temps n’ont pas leur place. Le film de John Huston  est d’une beauté saisissante et presque surréaliste, les personnages y sont exacerbés, chacun sa fêlure, chacun sa solitude, son besoin d’appartenir à quelque chose ou à quelqu’un, chacun en proie au doute, à la peur, chant du cygne bouleversant, d’où s’échappe une telle vérité qu’elle nous égratigne, nous, simple spectateurs, qui ne sommes pas préparés à ce cri du cœur, à cette déchirure qui s’échappe de chaque personnage, qui fait étrangement écho à  la réalité de ses interprètes principaux.
Marilyn et C Gable
L’histoire du film : Réno, dans le Nevada, ville où tout s’achève, où l’on jette une alliance au fond d’une rivière après avoir divorcé, où l’on part s’enivrer dans quelques bars, pour y croiser des cow-boys rencontrés au hasard, car parfois on rencontre ceux qui nous ressemblent et on se prend à les aimer, sans savoir ni comment, ni pourquoi.

Roslyn Taber (Marilyn Monroe), divorcée et désenchantée, fait la connaissance de Guido (Eli Wallach) et Gay (Clark Gable) dans un bar où elle est allée fêter son divorce avec son amie Isabelle (Thelma Ritter).  Les 2 hommes sont sous son charme, comment pourrait-il en être autrement ? Lorsque Roslyn pose son regard d’enfant perdu sur ces hommes, elle les confronte à leur propre solitude et au besoin de n’importe quel homme de protéger une femme qui semble si malheureuse.  Fascinés par elle, ils vont lui proposer de les suivre, et, tout naturellement, alors qu’elle ne les connais pas, elle accepte de partir avec eux.  Roslyn va tomber amoureuse de Gay, sous l’œil concupiscent de Guido, qui ne peut rien contre cet amour naissant.
Gay et Roslyn filent donc le parfait amour dans l’ancienne maison de Guido, seuls, loin du tapage et de la folie du monde, mais comme la réalité nous rattrape tôt ou tard, un beau jour Guido et Isabelle leur rendent visite et c’est alors que Guido propose à Gay de partir capturer des mustangs sauvages. Roslyn ne comprend rien à tout cela, d’autant qu’il s’agit de les capturer pour les mener à l’abattoir… Sur le chemin, ils ont besoin d’un 3ème homme, Perce (Montgomery Clift), qui tombe lui aussi sous le charme de la jeune femme. Ils partent tous les quatre à la rencontre de ces chevaux sauvages, dans une lutte acharnée entre l’animal et l’homme… Qui vaincra dans ce combat d’une extrême violence ? Roslyn, si proche de la vie et de la nature va-t-elle accepter d’assister à ce sordide spectacle, malgré la tendresse et l’amour qu’elle porte à ces hommes ? Et eux, que cherchent-ils à se prouver ? Qu’ils sont encore vivants, qu’ils sont maîtres de la situation et de leur destin ?
Montgomery Clift
Le scénario d’Arthur Miller correspond totalement à l’univers Hustonien, et la mise en scène pose très vite les bases de la vie, de la mort, du respect que l’on doit à cette même vie, si précaire, où tout se joue très rapidement, et où l’on peut perdre en un clin d’œil ce que l’on a mis tant de temps à obtenir.

Paysage arides et à perte de vue, rodéos, ambiances poisseuse, nostalgie « Les Désaxés » nous livre un portrait d’êtres à fleur de peau, d’où sans doute cette force si particulière qui ressort du film. Aucun ne semble avoir de but précis, ils se laissent porter sans savoir où ils vont, sans savoir jusqu’où ils sont capables d’aller.

Au moment où John Huston  présente ses acteurs à la presse avant d’entamer le tournage du film, il ne sait pas encore, que « Les Désaxés » va devenir ce film « maudit », au tournage chaotique, qui va sceller, très tristement hélas, le sort de chacun de ses acteurs principaux.
Clark Gable (1901-1960), l’immense Rhett Butler du célèbre « Autant en emporte le vent » (1939), interprète ici Gay, un cow-boy vieillissant, qui aime les femmes (qui lui rendent bien), mais ne cache pas sa blessure d’être séparé de ses enfants.  Malheureusement, le tournage éprouvant, les caprices de Marilyn, et les nombreuses scènes avec les chevaux sous une chaleur écrasante, auront raison de sa santé. Le lendemain de la fin du tournage, il est victime d’une attaque. Il décédera à 59 ans, soit 11 jours exactement après le tournage. Il aura cette parole funeste et prémonitoire sur Marilyn : "Christ, I'm glad this picture's finished. She damn near gave me a heart attack." (Je suis heureux que ce film soit terminé. Elle a failli me faire faire une crise cardiaque.)

Marilyn Monroe (1926-1962), dépressive, fera un court séjour en clinique, le tournage et la chaleur ayant raison de ses nerfs fragiles. Un an après « Les Désaxés », elle se suicide (officiellement .. accident, meurtre, saura t-on un jour la vérité?) en 1962.

Montgomery Clift (1920-1966), qui interprète le cow-boy Perce, connu pour ses rôles mémorables dans « Une place au soleil » (1951), « Tant qu’il y aura des hommes » (1953) ou « Soudain l’été dernier » (1959), n’est plus que l’ombre de lui-même sur le tournage, victime d’un accident qui l’a gravement défiguré en 1958, sur le tournage du film « L’arbre de vie ».  Dans le film il a d’ailleurs cette réplique poignante à sa mère lorsqu’il fait une mauvaise chute « on m’a tellement recousu que tu ne me reconnaîtrais pas »…Il meurt  5 ans après « Les Désaxés» d’un arrêt cardiaque, à 45 ans.

Enfin, Arthur Miller, qui a très certainement offert à Marilyn un de ses plus beaux rôles, si ce n’est le plus beau, se sépare de l’actrice en 1961, et n’aura même pas pour elle un regard lors de la projection de l’avant première du film. Le tournage aura eu raison de leur amour…

A noter, la présence d’ Eli Wallach (1915), parmi les acteurs principaux, qui interprète Guido, le garagiste qui a perdu sa femme et tombe sous le charme de Roslyn. Eli Wallach est sans doute un dernier monstre hollywoodien, connu pour ses rôles dans « Baby Doll » (1956), « Le bon, la brute et le truand » (1966) ou « Le Parrain 3 » (1990).
de g à d: F Taylor (prod), A Miller, Huston, Eli Wallach, M Clift, Marilyn, Gable

A sa sortie, le film est annoncé par le producteur Frank Taylor comme « un chef d’œuvre absolu, le film hollywoodien ultime ». Malheureusement, le public n’est sans doute pas préparé à une telle claque cinématographique et le film de Huston ne rencontrera pas le succès qu’il mérite. Marylin obtint tout de même un Golden Globe en 1961 pour son rôle de Roslyn, soit quelques mois avant sa mort, alors que John Huston est sélectionné au titre de meilleur réalisateur. Considéré comme un film « crépusculaire », volontairement tourné en noir et blanc, alors que le technicolor éclabousse les grands écrans, « Les Désaxés » est aujourd’hui, et à juste titre, considéré comme un film culte, habité par des scènes à couper le souffle comme celle de la capture des mustangs sauvages par les cow-boys, où Marilyn pique une colère terrible et où elle les insulte et hurle de rage, au milieu de nul part. Elle les renvoie à leur propre folie, les chevaux étant destinés à l’abattoir, elle ne saisit pas cette souffrance et cette violence inutile.
J’ai retenu aussi cette réplique de Roslyn à Gay, où elle lui demande, dans un souffle désespéré « Aime moi Gay ! ».  On se demande d’ailleurs qui parle : Roselyn ou Marilyn, cette femme ivre d’amour qui n’a connu que des hommes qui l’ont mal aimé...
Enfin, certaines scènes sont justes magnifiques, comme celle où Gay, Guido et Perce contemplent ivre mort, au clair de lune et en plein désert, la très belle Roslyn exécuter une danse lascive, pur moment de grâce où le temps semble suspendu.

Marilyn n’a sans doute jamais était aussi belle que dans ce film :  naturelle, sans fard, avec ses rondeurs de femme et sa fragilité émotionnelle. Huston, à l’instar de ses principaux interprètes,  capte toutes ses expressions, la caméra embrassant Marilyn sous toutes les coutures, caméra parfois audacieuse qui filme ses hanches, sa poitrine, sa croupe, ses jambes, son visage au regard égaré si plein de lumière. Comme Gable, Wallach ou Clift, la caméra de Huston semble éprise de Marilyn, au point d’en faire le point de mire de toutes les situations, celle qui renverse les hommes, qui finissent par abdiquer et déposer les armes devant cet être presque trop pur pour eux.

Œuvre atypique, poignante et déroutante, ce film de Huston est un très grand moment de cinéma, qui nous prouve, comme avec « La nuit de l’Iguane » (1964), que Huston n’est jamais aussi bon que lorsqu’il dresse une galerie de personnages instables, en situation d’échec et en quête d’eux-même. Si « Les Désaxés » fait figure de déclaration d’amour ou de rupture, il rend surtout hommage, par le biais du personnage de Roslyn, à la très belle et trop sensible Norma Jeane Baker, qui livre ici une de ses plus troublantes compositions.
Un pur chef d’œuvre à découvrir…

Et c'est ainsi que s'achève notre semaine spéciale Marilyn, merci de nous avoir suivi!!


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