J'aimerai remercier les quelques lecteurs qui ont eu la gentillesse de ne pas bouder ma première chronique. Grâce à vous, j'ai obtenu, non pas la promotion espérée, mais le droit.......de recommencer ! Il m'a toutefois été précisé, au vu de la récente refiscalisation des heures supplémentaires, que ce surcroît de travail ne devait en rien justifier un dépassement d'horaire. C'est donc par pur plaisir que je m'adresse à vous aujourd'hui.
Après avoir réceptionné et trié le courrier, répondu aux nombreux messages, rempli le mini bar, ramassé les canettes vides, servi le café du matin et arrosé la plante verte, c'est en donnant un coup de torchon sur le bureau de m'sieur Claude Toon que j'ai eu envie de vous parler d'un film de Bertrand Tavernier…
Pour commencer, un peu de lecture…
"Ben ma foi, y a un écriteau juste à l'entrée du pays qui dit : 1275 ha., alors ça doit être à peu près ça. 1275 Âmes"
La version Française de "pop 1280", roman de Jim Thomson, est sortie dans la collection série Noire (n°1000) sous le titre 1275 âmes. Ne me demandez pas ce que sont devenues les 5 âmes perdues lors de la traduction, je n'en sais fichtre rien ! (Cette bizarrerie a fait l'objet d'un livre de Jean Bernard Pouy intitulé 1280 âmes.)
À la lecture du roman, on se demande vraiment que penser de Nick Corey, shérif de Pottsville, bled paumé au fin fond de L'Amérique des années 1940, qui nous raconte, à la première personne et dans un langage familier, comment il en vient à se transformer, lui le débonnaire, en un justicier impitoyable, sans jamais se départir de sa supposée gentillesse. Car c'est un brave homme que ce shérif, dont la seule ambition est de vivre tranquille, sans nuire à personne, sans s'opposer à qui que ce soit. Puisque la loi lui semble inapplicable à tous, il a décidé de ne l'appliquer à aucun, préférant ne rien voir, ne rien faire, pourvu qu'il touche sa paie.
Seulement voilà, à l'approche des élections, il craint de ne pas être reconduit dans ses fonctions. Parce qu'il est tellement gentil, Nick, que tout le monde le prend pour un idiot. Sa femme le méprise, sa maitresse l'épuise, et personne ne le respecte.
Alors il va compter sur la méchanceté et la bêtise des autres, pour éliminer tous ceux qui le gênent, avec une parfaite connaissance des faiblesses humaines qui va lui permettre d'exploiter, mine de rien, les penchants les plus sombres de ses congénères tout en leur faisant porter la responsabilité de ses propres actes. "Mieux vaut l'aveugle, oncle John, mieux vaut l'aveugle qui pisse par la fenêtre que le farceur qui l'y a conduit..." Il ira jusqu'à les pousser à faire le sale boulot à sa place (ce qui, soit dit en passant, contredit bougrement la précédente déclaration...), manipulant même le lecteur en invoquant une mission divine à laquelle il finira par croire.
Je n'irai pas jusqu'à faire dire au livre ce qu'il ne dit peut-être pas, à savoir que Nick Corey est un salaud, vu que les autres protagonistes le sont tout autant. La différence entre lui et eux n'est pas dans le degré de méchanceté, mais dans la froide lucidité dont Nick fait preuve.
Derrière la farce, Jim Thomson nous livre une vision pessimiste de l'humanité et mène une habile réflexion sur le pouvoir (qui rend fou !).
Si à la lecture du livre vous avez l'impression d'entendre la voix familière et inoubliable de Philippe Noiret, c'est qu'il a merveilleusement su incarner le personnage dans le film dont je vais vous parler.
C'est en pensant à voyage au bout de la nuit que Bertrand Tavernier à l'idée de transposer l'action du roman dans l'Afrique coloniale des années 40. Le scénario, malgré les quelques ajustements nécessaire à la transposition du roman, n'en trahit pas les propos et Nick Corey a beau devenir Lucien Cordier (un nom bien de chez nous !) il n'en reste pas moins un salaud. La bonhommie roublarde que Noiret insuffle au personnage ne fait que renforcer son cynisme.
Véritable petit chef d'œuvre de drôlerie grinçante qui selon l'aveu de Bertrand Tavernier est le plus autobiographique de ses films. Le miroir qu'il nous tend malicieusement ne reflète pas une image très flatteuse. Il nous donne à voir, en creux, au son d'une musique jazzy "décadente" (signée Philippe Sarde) le cliché jauni d'un épisode (plus ou moins glorieux) de notre histoire coloniale. "On fait des films pour se débarrasser de ses angoisses, de ses doutes, de ce que l'on arrive pas à communiquer par une autre voie, pour pouvoir continuer à vivre." ajoutera-t-il. Et ce qu'il exprime, dans ce Coup de de Torchon peut se résumer en deux scènes, judicieusement situées l'une en ouverture et l'autre en clôture du film, qui traduisent à merveille l'état d'esprit du personnage imaginé par Jim Thomson.
Dans la première scène, Lucien cordier observe un groupe d'enfants noirs, affamés, qui raclent une terre sableuse pour y trouver quelque nourriture (on se demande bien quoi, d'ailleurs !) lorsque survient une éclipse les plongeant brusquement dans la nuit. Le seul réconfort qu'il pourra leur apporter est d'allumer un feu, remplaçant la lumière et la chaleur du soleil momentanément disparu. Dans la scène finale, un enfant seul, creuse le sable. Lucien Cordier sort son arme, vise l'enfant, mais l'arrivée du groupe l'interrompt. Il vise alors le groupe, hésite, semble vouloir retourner l'arme contre lui, (?) réfléchit, et choisit... de ne rien faire. L'Ange protecteur, conscient de son impuissance à soulager la misère de ce monde est devenu Ange exterminateur. Entre ces deux scènes, on suivra l'évolution du chef de la police de Bourkassa entouré par une poignée de colons arrogants et désœuvrés, livrés à eux-mêmes dans ce "trou du cul" du monde.
Une galerie de portraits savoureux dans laquelle les acteurs s'en donnent à cœur joie. Eddy Mitchell, en crétin pleurnichard, Guy Marchand en petit chef auto-satisfait, (encore une belle tête de vainqueur, tiens, ça lui va comme un gant...) Jean Pierre Marielle dans le double rôle d'une des victimes et de son jumeau, menant l' enquête sur la disparition de son frère, (belle idée du réalisateur, qui donne lieu à une scène loufoque dans laquelle les enfants du village croient voir un fantôme), François Perrot dans le rôle d'un colonel un peu déjanté (colonel Tramichel, Tra comme tra lala, Michel comme la mère Michel...) et on pourrait les citer tous... Les personnages féminins ne sont pas en reste. Stéphane Audran parfaite en épouse acariâtre méprisante et vénale alors qu'Isabelle Huppert incarne avec une candeur effrontée le personnage de la maitresse à la cuisse légère et au langage ordurier.
La palme, bien sûr pour Philippe Noiret, magistral dans ce rôle de policier nonchalant et corrompu qui observe les turpitudes de ses semblables avec un cynisme désabusé. Le moment venu, il saura interpréter, à sa façon, les paroles du curé (occupé à clouter la statue du Christ sur la croix de l'église, tout un symbole...) pour se sentir investi d'une mission divine. "Chaque chose en son temps, chacune à son tour, et l'une après l'autre. Pour le bien général, d'abord l'ignoble Marcaillou (…) je prierai Dieu qu'il te donne le courage qui te manque. ".
Alors oui, Lucien cordier est un salaud. Peut-être. Mais par la faute des autres, parce que c'est la seule réponse qu'il ait pu trouver face à l'absurdité du monde.
"Normalement c'est aux riches et aux puissants que je devrais serrer la vis, seulement j'ai pas le droit. Justement parce qu'ils sont riches et puissants. Faut bien que je me rattrape en tapant deux fois plus fort sur les pauvres, les malheureux, les nègres." et quand je disais à M'sieur Rockin que le pouvoir rend fou, ces quelques mots encore : "Je ne suis pas là pour faire la police, moi je suis le Christ, le Christ en personne, qu'on a envoyé à Bourkassa avec un tombereau de croix toute plus grandes les unes que les autres. Je cherche à sauver des innocents mais y en a pour ainsi dire pas."
Pour terminer sur une note d'humour je ne résiste pas au plaisir de vous laisser méditer cette question essentielle, posée par Lucien Cordier : "Quand on se gratte les couilles, à partir de quel moment est-ce qu'on le fait parce que ça vous démange, ou parce que ça vous fait plaisir ?"
Le film a obtenu pas moins de 10 nominations aux César, mais aucune statuette. Eddy Mitchell et Jean-Pierre Marielle se verront souffler la récompense du meilleur second rôle par... Guy Marchand, pour sa superbe prestation (un rôle de crétin, encore !) dans l'excellent Garde à vue qui en obtiendra quatre, dont celui du meilleur acteur pour Michel Serrault (pas de chance pour Noiret) et celui du meilleur scénario pour Claude Miller. (Pas de chance pour Tavernier...)
Qu'importe. Coup de torchon fait partie de ces films qu'on peut voir et revoir avec le même plaisir. Ne vous en privez pas.
Oumpffff.... ça fait une éternité que je l'ai vu... Et tu me donnes envie de le revoir, bravo et merci !!!
RépondreSupprimerUn must ! J'y adore particulièrement François Perrot dans le rôle du colonel azimuté, et bien sûr Guy Marchand con comme un balai... il les joue bien... comme dans "L'été en pente douce" !
RépondreSupprimerCe "Coup de torchon" est de ces films qui auront su me marquer au fer durablement. A tel point que je me le suis racheté récemment. J'ai longtemps espéré que je finirai par trouver les mots pour en faire une chronique... En vain. Merci Rockin' ! Le fait est que je n'étais toujours pas sûr d'avoir vraiment compris le sens, et de son ouverture, et de sa fin. Ceci expliquant en partie cela. C'est donc une grosse épine que tu m'enlèves du pied.
RépondreSupprimerQuelles scènes ! Quelle galerie de personnages !C'est vraiment une honte qu'un tel film n'est pas reçu la moindre distinction.
Allez tiens ! pour la peine, ce soir c'est soirée Marielle à la maison. "Coup de torchon" et "Les galettes de Pont Aven" dans la foulée. Pour le plaisiiiir !!!
Vincent
bonjour Vincent, ici Sonia (le "negre" de Rockin). je suis contente que tu soulèves le problème de ces 2 fameuses scènes, qui ne sont effectivement pas simples à interpréter.je ne suis pas certaine d'en avoir percé le mystère, m'étant longtemps posé la question, mais c'est la meilleure réponse que j'ai pu trouver...
RépondreSupprimermerci pour vos commentaires, je me sauve avant que M'sieur Luc ne me rappelle à l'ordre...
Ce coup de torchon la est pellucheux et pas doux du tous ! Nono (Eddy Mitchell)est-il vraiment le frère de Stéphane Audran? Quand on ce gratte les c.....s ,c'est plus parce que ça te démange!(pour le plaisir ,je pense qu'un homme préfèrerait ce faire gratter par quelqu'un d'autre ! :-))
RépondreSupprimerDes personnages aussi timbrés les uns que les autres ,hormis peut être le "fantôme" qui lui est complétement largué ! Rose (Isabelle Huppert) est une fleur aux épines venimeuse et est encore plus dangereuse que les autres!
Super chronique Sonia, qui donne envie de revoir le film !
Glups !!!
RépondreSupprimerToutes mes excuses Sonia. Comprend pas le pourquoi d'une telle bourde. Vraiment navré.
Amitiés, Vincent.
Ah j'ai adoré ce film ! Merci CatSonia ;)
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