vendredi 20 juillet 2012

HOLY MOTORS de Léos Carax (2012) par Luc B.


Par quel bout prendre ce film, si étrange dans le paysage cinématographique ? On sait qu’il déchaina les passions à Cannes, célébré comme étant le seul film digne de ce nom méritant la Palme d’Or, loin devant ses concurrents, ou dénoncé comme une imposture intellectuelle. On sait qu’il est le dernier né de Léos Carax (photo ci contre) cinéaste français rare, 12 ans après POLA X. Léos Carax s’est fait remarquer très tôt, avec les premiers courts métrages, puis c’est BOYS MEETS GIRLS en 1984, avec Denis Lavant, fable poétique godardienne en noir et blanc, ultra référencée, et deux ans plus tard MAUVAIS SANG, avec Piccoli, et bien sûr LES AMANTS DU PONT NEUF, avec Denis Lavant et Juliette Binoche. Œuvre colossale, gouffre financier, avec son décor reconstitué, ses avaries de tournages, et déjà la réputation de mégalo-maniaque pour son metteur en scène. C’était en 1991, et il a fallu 8 ans pour Léos Carax pour refaire un film, POLA X. Fraîchement accueilli... 8 ans, c'est long. C’est que financièrement, Carax n’est pas du genre banquable ! Et depuis, il a multiplié les projets, écrit, travaillé, mais se heurtait systématiquement aux refus des distributeurs. Niet, ce type-là ne gaspillera pas notre fric ! Cet amoureux du cinéma à l’ancienne, avec pellicule 35 mm, se voit donc contraint, pour faire son métier, de tourner en numérique, infiniment moins cher. HOLY MOTORS a couté 4 millions d’euros, le budget mensuel de Post-it chez EUROPA CORP. Ce film sonne les retrouvailles avec Denis Lavant, son double, son frère de cinéma, et prend la forme d’une immense déclaration d'amour au Cinéma.
La réputation du film peut faire peur. Ah la grande œuvre que voilà, immense, pour cinéphiles avertis ! Et bien non, à l'écran HOLY MOTORS ressemble à un petit film, modeste, rien d’ostentatoire, ni de m’as-tu vu. C’est finalement un film simple, mélancolique, presque nostalgique. On craint le départ, un brin cérébral. Première image : une salle de cinéma. Comme un miroir, on se voit dans la glace. Puis un type dans une chambre de motel, Carax lui-même, se lève, en pyjama, ouvre une porte dans un mur, suit un couloir sombre, pour arriver… dans la salle de cinéma. Mouais, un peu convenu... Tout le film est cérébral, mais pour l'apprécier, je crois qu’il faut justement s’en déconnecter. Ne s’en tenir qu’aux images, qu’aux scènes, aux histoires que le film raconte, et ne pas vouloir y coller du sens à tout prix. Du sens, le film en a, mais attendons une prochaine vision pour s’en farcir la tête.
Léos Carax nous prend donc par la main, et nous emmène au cinéma. L’histoire commence. Celle de Monsieur Oscar, capitaine d’industrie, dans sa limousine blanche. L'acteur denis lavant dit s'être inspiré de DSK... avant l’épisode du Sofitel. La voiture est conduite par Céline, sa secrétaire (jouée avec grâce par Edith Scob). Elle lui présente son premier rendez-vous de la journée. Monsieur Oscar consulte donc ses fiches, puis, devant un miroir, se grime en vieille femme éclopée, sort de la limousine, et part faire la manche. Ainsi, Monsieur Oscar est acteur. La limousine sa loge. A chaque rendez-vous correspond un rôle, une situation, une rencontre. A chaque fois, Denis Lavant se maquille, s’habille, crée un personnage. Et finalement, on ne sait jamais à quoi il ressemble vraiment, car on comprend sur la fin que même le premier personnage, ce capitaliste au cheveux blancs, était déjà un rôle !
L’hommage au cinéma ne se trouve pas que dans des références précises. Mais il y en a, évidemment, des clins d'oeil. Comment ne pas penser à la Jean Seberg d’A BOUT DE SOUFFLE en voyant Kylie Minogue, cheveux courts, raie sur le côté ? Ou au cinéma de Georges Franju, de Chaplin, de Jacques Tati, au METROPOLIS de Fritz Lang quand Denis Lavant entraine Eva Mendès dans les égouts, ou au Hitchcock de SUEURS FROIDES à la Samaritaine ? Et pardonnez-moi de voir du Kubrick partout, mais plusieurs plans dans la limousine évoquent 2OO1, ainsi que la séquence de la mort de vieil homme, allongé sur son lit, dans un décor ancien... L'hommage, c’est aussi dans la manière de composer chaque séquence, qui emprunte à des styles différents. Le cinéma d’effets spéciaux, avec cette scène en lumière noire, Denis Lavant en combinaison latex bardée de capteurs. Il danse, il saute, comme s’il testait les effets motion capture pour le prochain James Cameron ! Avec en prime un coït très hot avec une blonde particulièrement souple, toute en latex elle aussi. 

Changement de registre quand Oscar endosse le rôle du père d’une ado complexée, au sortir d’une boum. Mais le premier grand climax, c’est lorsque Denis Lavant reprend le rôle de Monsieur Merde (crée pour le court métrage MERDE). Un fou furieux, bestial, aux ongles fourchus, à la démarche improbable, qui met à sac le cimetière de Père Lachaise, bouffe les fleurs, les doigts d’une fille, et s’enfuie avec un mannequin américain en pleine séance photo ! Le glamour hollywoodien, avec la sensuelle Eva Mendès, sculpturale et muette, face au trublion, au monstre. On pense à KING KONG, à Esmeralda et Quasimodo, à la BELLE ET LA BETE. La pauvre est trainée dans les égouts par Monsieur Merde. La suite est magnifique et terrifiante à la fois, Denis Lavant finissant nu, en érection, endormi sur Eva Mendès, lui chantant une berceuse. Ne me demandez pas le pourquoi du comment. Je constate, c'est tout ! Oui, indéniablement, HOLY MOTORS n’est pas un film comme les autres !  
Léos Carax nous bouscule, nous promène, et surtout nous donne à voir. Il y en a des idées brillantes dans ce film ! Comme cet entracte, où Denis Lavant et un orchestre d’accordéons paradent dans une église jouant une reprise de RL Burnside. Intermède musical, festif, où on reconnaîtra Bertrand Cantat. Et un plan presque séquence, sans play-back. Comme on verra aussi Michel Piccoli, qui semble être le patron de Monsieur Oscar. Là aussi il est question de cinéma dans leur dialogue. Lavant dit : « avant les caméras étaient plus grosses que nous, maintenant elles sont plus petites que notre cerveau ». Oscar est acteur, mais comme il n’y a plus de caméra, de cinéma, alors il joue dans la vrai vie. C’est du moins ce que l’on pense, car rien n’est sûr dans ce film. Comme lorsque Oscar bondit hors de sa limousine pour abattre un type à la terrasse du Fouquet’s : le premier personnage du film, l'homme aux cheveux blancs (et donc lui-même ?!). Le tueur est tué à son tour. Mais chez Carax, les morts revivent, la mort n’est pas réelle, ils sont acteurs, c’est du cinéma ! Autre séquence drôle, le meurtre du parking, là encore, deux Monsieur Oscar face à face, des morts qui se relèvent ! Carax célèbre la fiction, la force du cinéma, le montage : un plan t’es mort, celui d’après t’es vivant, un plan t’es riche en limousine, le plan suivant mendiant.
Le film culmine avec la scène de Kylie Minogue, qui s’avère être une collègue de Monsieur Oscar, une actrice aussi. Avant son rendez-vous (elle doit jouer une hôtesse de l’air), ils marchent, parlent, et entrent à la Samaritaine. L‘ancien magasin parisien est fermé, vacant, vide, décor d’outre-tombe ; ne subsiste de cette carcasse que les grands escaliers. Ils montent sur le toit, elle chante, nous enchante, et c'est tout simplement beau, dans son imper mastic, comme Bogart. Là, c’est Hollywood, c’est somptueux, élégant. Il y a eu une histoire entre ces deux-là, mais,laquelle ? Du haut de la Samaritaine, on voit… le Pont Neuf. Tiens tiens… Lavant et Minogue seraient-ils les vieux amants du Pont Neuf ? 

La fin du film est passionnante, Léos Carax ne semble jamais en avoir fini, des idées, encore des idées. Un dernier rôle pour Monsieur Oscar, dans un décor résidentiel à la Jacques Tati, sur fond de Gérard Manset (« Revivre ») alors que Céline, la fidèle secrétaire, va ranger la limousine dans un garage, au côté de dizaines d’autres, des limos avec chauffeur qui sillonnent Paris, chargées de comédiens. Pourquoi ? Comment ? On ne le sait pas, peu importe pour le moment, il sera bien temps de comprendre plus tard. Il y a en tout cas une idée terrifiante derrière tout ça, comme dans le film L'INVASION DES PROFANATEURS DE SÉPULTURES (Don Siegel, 1956). Qui est qui ? Qui est vrai ? Qui est fictif ? Où est la vie, où est le jeu ? Ultime pirouette du réalisateur, dernier plan : ce sont les limousines qui auront le dernier mot…
HOLY MOTORS n’est pas un film facile, je mentirai en disant le contraire. Il faut rentrer dedans, s'en imprégner, et Léos Carax, à la manière d’un Godard, n’indique pas la voie à suivre. A nous de faire l’effort, de reconstituer ce qu’il a déconstruit. Il faut se laisser porter par les images, les personnages, regarder le travail d’acteur de Denis Lavant, évidemment époustouflant d’audace et d’invention. Ne pas chercher à rationaliser, même si à la fin, on se surprend à remettre les pièces de puzzle dans l’ordre. Enfin… dans ce qu’on pense être le bon ordre ! En tout cas, même s’il peut gêner, voire ennuyer (le rythme est pourtant soutenu, et le spectateur est toujours en éveil, allant de surprise en surprise) HOLY MOTORS n’est pas un film prétentieux, ostentatoire. C’est une fantaisie, cocasse ou baroque, lyrique ou intimiste, étrange, souvent très belle, sur les acteurs, la comédie, le cinéma, la création.

Et même si, dans l'immédiat de la projection ce film ne semble pas nous bouleverser, on y repense, encore et encore, et on se dit que l'objet est rare, et précieux.


HOLY MOTORS (2012) 
sc et réal : Léos Carax 
Couleur - 1h55 - 1:85 
 



Bande annonce :



Extrait du court métrage "MERDE" (2008)


 



2 commentaires:

  1. Attirante chronique sur un réalisateur ambigu, et puis surtout Edith Scob que l'on voyait déja dans les amants du Pont-Neuf qui a (presque) toujours eu des rôles ambigus ,tu parles de Georges Franju, elle jouait déja dans "Judex" et "Les yeux sans visage",Mais peut on parler de Carax sans évoquer Franju ? Je pense que oui,il y a une certaine similitude entre les deux (Mais ce n'est que mon humble opinion !),en attendant suite a ta chronique , je vais aller acheter mon ticket pour une salle obscure !

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  2. pat slade20/7/12 12:46

    désolé pour l'anonymat, erreur de frappe !^^

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