mercredi 21 mars 2012

Otis RUSH "The Classic Recordings 1956 - 1958" (by Bibi)

(deux  présentations différentes mais un matériel absolument identique)

L'un des pères fondateurs du West Side Sound du Chicago-Blues


     Otis Rush, né dans le Mississippi (dans une ferme à Philadelphia le 29 avril 1935), émigra à seize ans (1948/49) à Chicago.
Bien vite, il écuma les clubs de la Windy City et, tout en gardant la marque de B.B. King, sa principale influence, il se forgea son style propre. C'est en jouant et progressant dans ces clubs, qui ne manquaient pourtant pas alors de sérieux concurrents, qu'Otis se fit un nom.

     C'était un guitariste gaucher qui avait la particularité de jouer avec les cordes montées à l'envers. C'est-à-dire qu'il ne prenait pas la peine d'inverser les cordes lorsqu'il prenait une guitare de droitier et qu'il la « retournait » (les guitares pour gaucher n'existaient alors pas). Exactement de la même façon que Dick Dale, Albert King, Rusty Burns et, plus récemment, Coco Montoya et Doyle Bramhall II. Son jeu de guitare était doté d'un vibrato expressif (qui marqua profondément Paul Kossof et Mike Bloomfield), qui pouvait tout à tour se montrer énergique, gémissant ou éloquent. A la manière d'une tradition issue du Blues, sa guitare était un prolongement ou une réponse au chant (tout comme B.B. King).

     Avec son timbre de baryton allié à des intonations tantôt torturées, tantôt plaintives, et son chant déclaré avec force, qui trempait dans le Gospel, il était capable de donner le frisson. Une manière de chanter qui inspira un certain Clapton, ainsi que, dans une certaine mesure, Robert Plant. Le style de Rush, c'était essentiellement la sensibilité à fleur de peau. Une sensibilité qui semblait trahir des états d'âmes plutôt sombres, comme colorés d'un certain désespoir, ou pessimisme. Tout, dans son jeu et son chant, trahissait la personnalité d'un écorché vif.

     Rush a longtemps été considéré comme l'un des plus grands chanteurs, et l'un des plus expressifs guitaristes de Blues. En cela, il était souvent très proche d'un Buddy Guy, l'exubérance en moins, car Otis avait toujours été une personne introvertie et taciturne. Malheureusement, à cause d'un caractère assez instable, d'une carrière très erratique - il était capable du meilleur comme du pire en concert - Otis Rush n'était pas toujours connu du grand public. Pourtant, certaines de ses chansons ont été popularisées par des artistes célèbres, comme Eric Clapton, Colin James, Gary Moore, Stevie Ray Vaughan, Ronnie Earl, Pat Travers, Leslie West, Led Zeppelin (le fameux « I can't quit you baby », composé par Willie Dixon pour Otis, de leur premier opus). Le patronyme même de l'indéboulonnable section rythmique constituée de Chris Layton et de Tommy Shannon, (célèbre bien évidemment depuis qu'elle a jouée avec Stevie Ray Vaughan), soit « Double Trouble », n'est ni plus ni moins qu'un hommage à cet immense artiste, en reprenant comme nom de baptême l'un des succès et des classiques de Rush. Sans oublier qu'il fut l'une des sources d'inspiration du British-Blues (ses prestations lors de la tournée à l'American Folk Blues Festival de 1966 furent très appréciées).

     Bien qu'il ait débuté sa carrière discographique en 1956 (à 22 ans) et que son dernier disque (le bon « Any Place I'm Going ») date de 1998, Otis a très peu d'albums studio à son actif (sept seulement, si j'ai bien compté), sans compter les compilations et les lives. Or, indiscutablement, ce qu'il a produit de meilleur reste à jamais ses faces gravées pour le label Cobra de 1956 à 1958. Soit huit 45 tours (pour donc seize chansons) étalés sur trois ans. Dans un laps de temps relativement court, Otis Rush marque de façon indélébile le Chicago Blues : avant Magic Sam et Buddy Guy (qui eux n'enregistrèrent, sur le même label, qu'à partir de 1957). 

     Rush définissait à lui seul les fondations du West Side Sound du Chicago-Blues: en mélangeant le Blues chatoyant de B.B. King à l'âpreté environnante de la Windy City. 
Son premier enregistrement fut un succès. « I Can't Quit You Baby » monta à la 6ème place des charts (du Billboard Rythm'n'Blues). Certes, on pourra toujours souligner que ses premières chansons étaient de la plume de l'ineffable, l'inaltérable, Willie Dixon, il n'empêche que la forte personnalité d'Otis fit sienne ses compositions. Otis, qui avait peut-être besoin d'un peu de maturité à ce niveau, ne composa pleinement qu'à partir de 1958. Mais alors, tel un volcan qui couve, il explose et grave une flopée de classiques dont trois bombes incendiaires : « Double Trouble », « Keep on Loving Me Baby » et « All Your Love ». Trois incontournables qui font encore et toujours le bonheur des apprentis comme des confirmés bluesmen et rockers. Il faudrait un article entier pour dénombrer et citer les artistes et groupes qui ont repris (ou pillé) ces classiques. Les deux derniers préfigurent même le Blues-rock avec leur tempo enlevé et soutenu.

Malheureusement, l'exécution du dirigeant de Cobra, Elie Toscano (il fut retrouvé noyé, les pieds pris dans un bloc de béton), stoppa net l'envol d'Otis. Le label ferma ses portes en 1959.

     Ces titres sont regroupés sur « The Good 'un's : the classic Cobra recordings 1956-1958 » (paru précédemment sur Demon Record sous l'appellation « The Essential collection : the classic Cobra recordings 1956-1958 » ). 24 titres de Blues propres au West Side sound de Chicago qui profitent d'une excellente remasterisation (malgré quelques prises qui gardent une saturation). 17 titres originaux, et 7 prises alternatives qui présentent tout de même un certain intérêt.
"Door to door"

     Lorsque Willie Dixon intégra Chess Records, Otis le rejoignit et enregistra, en 1960, six pièces qui prouvaient qu'il était encore au sommet de son art, sa voix étant même plus profonde et émouvante. Deux 45 tours sortirent en 1960, avec notamment la scie « So Many Roads, So Many Trains » sur le 1er. Cependant, ces titres ne furent édités sur un 33 tours qu'en 1969, sur l'excellent « Door to Door », en partageant l'affiche avec un autre confrère gaucher : Albert King. En 1998, ce disque a été réédité en CD en bénéficiant d'une très bonne remasterisation (24 bits).

     En dépit d'un potentiel conséquent qui lui permettait d'être l'égal des meilleurs Bluesmen, Otis Rush ne retrouva jamais la qualité de ses chansons des années 1956 à 1962. Il se perdit parfois dans une caricature de lui-même, ou s'abîma dans des soli à rallonge pas toujours inspirés, et des arrangements lourds. Alors qu'il affina sa technique, il sembla perdre en feeling.  Même si dans chacun il y a du matériel à sauver (sa version du « Rainy night in Georgia » de Tony Joe White - sur l'album "Right Place, Wrong Time" - est absolument irrésistible), aucun de ses disques suivants ne soutient la comparaison avec les faces gravées pour le label Cobra et Chess. Comme si Otis s'était pressé comme un citron, extrayant tout son jus jusqu'à la dernière goutte pour graver des merveilles pour la postérité. 

     Assurément, ces faces font partie intégrante du patrimoine du Blues. A ranger parmi les meilleurs Blues jamais écrits. C'est de l'or en barre.
 Il n'y a aucun déchet, aucun titre approximatif ou moyen. Tous sont emprunt d'une puissance évocatrice troublante. Absolument incontournable, indispensable, à tous les amateurs de Blues.

En 2004, Otis Rush est victime d'un accident vasculaire cérébrale. Depuis, plus de nouvelle. aucun média ne semble se soucier de son sort.

P.S. : Ike Turner est présent sur quelques enregistrements du label Cobra.

1 - I Can't Quit You Baby ; 2 - Sit Down Baby ; 3 - Violent Love ; 4 - My Love Will Never Die ; 5 - Groaning The Blues ; 6 - If You Were Mine ; 7 - Love That Woman ; 8 - Jump Sister Bessie ; 9 - Three Times a Fool ; 10 - She's a Godd 'Un ; 11 - It Takes Time ; 12 - Checking On My Baby ; 13 - Double Trouble ; 14 - Keep On Loving Me Baby ; 15 - All Your Love (I Miss Loving) ; 16 - My Baby is a Good 'Un ; 17 - I Can't Quit You baby (take 3) ; 18 - Little Red Rooster ; 19 - Groaning the Blues (take 3) ; 20 - My Love Will Never Die (take ?) ; 21 - She's A Good 'Un (take 4) ; 22 - Three Times a Fool (take ?) ; 23 - Double Trouble (take 3) ; 24 Sit Down Baby (take ?)
9, 11, 12, 13, 14, 15, 22 et 23 : Otis Rush
1 , 3, 4, 5, 6, 8, 16,17, 18, 19 et 20 : Willie Dixon
2 et 24 : Bedno ; 7 : Leake ; 10 et 21 : Eskridge/White

Titres d'Otis Rush sur le disque "Door to Door" :
3 - So Close ; 5 - I Can't Stop ; 7 - I'm Satisfied ; 8 - All Your Love ; 9 - You Know My Love ; 13 - So Many Roads
3, 7, 8 et 13 : Rush  ;  5 et 9 : Dixon




2 commentaires:

  1. Belle chronique sur un artiste important de la scène Blues. Probablement l'un des bluesman dont la voix me fait le plus d'effet (avec Junior Wells), son jeu de guitare est lui aussi des plus originals et influencera bon nombre d'autres tenants du style comme Jimmy Johnson notamment. L'un de mes plus grands regrets est d'avoir assisté à son concert raté à Vienne dans les années 87-90 ou il était visiblement pas dans son assiette et ou le groupe a été contraint d'assurer un peu tout seul.

    C'est triste car je le considère vraiment comme un très grand bluesman et je lui souhaite de faire un come back resplendissant

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  2. Merci beaucoup Jipes.
    Malheureusement, suite à son accident, son retour sur scène semble bien compromis. Est-il même soigné dans de bonnes conditions ? Il n'a peut-être pas les moyens nécessaires.

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