Rarement une œuvre musicale n'aura autant été auréolée de légende que ce
Requiem de Mozart ! La littérature, le romantisme et le célèbre
film Amadeus ont alimenté le mythe. Dans ce très beau film, on y
voit un Mozart agonisant, cloué dans un lit et enfiévré, dicter les
ébauches de la partition à Antonio Salieri. Il ne faut pas
oublié que le parti pris de Milos Forman est de filmer avec les
yeux de Salieri qui, dans cette histoire pour le moins romancée, déteste
le musicien prodige, jalouse le génie qu'il n'a pas jusqu'à la folie.
Tentons d'approfondir notre perception de ce monument musical ultime, en
rétablissant la réalité historique, du moins je l'espère…
MOZART ET SON REQUIEM
Désolé pour les amateurs d'ésotérisme et de mystères, mais je vais les
décevoir. La genèse du requiem de Mozart fut douloureuse certes, mais
comme tout travail d'importance entrepris dans une dernière année de vie.
L'œuvre restera inachevée. Mais on ne trouve aucune trace historique d'un
quelconque rôle de Salieri, ou d'inconnu encapuchonné de
noir, visitant secrètement la nuit Mozart pour servir un étrange
commanditaire. Je pense que cette belle légende est née du recours à des
intermédiaires anonymes, pour financer et suivre l'élaboration de la
partition, extravagances bien en rapport avec le "client", l'excentrique
comte Franz de Walsegg. Les mécènes sont capricieux, tout
simplement, ce n'est pas un scoop ! Mozart, nous avions parcouru son
existence dans la chronique consacrée à
son concerto pour clarinette. Je n'y reviens pas, transportons nous en 1791, Mozart a moins d'un an à
vivre…
Mozart est mort en décembre 1791, il reçoit la commande de cette
messe des morts dans l'année et en commence la composition. Il n'y aura
aucune improvisation à la dernière minute sur son lit de mort. Mais la
vision quasi fantastique de Milos Forman est séduisante, par
l'hommage rendu à la volonté du compositeur de vivre et d'achever cet
œuvre. C'est important de le souligner dans le sens où Mozart après un
relatif manque d'intérêt envers la musique religieuse (quelques messes
brèves anecdotiques et alimentaires), se tournait vers le genre en fin
de vie (depuis la messe en Ut de 1782).
À sa mort, ce sublime chant du cygne était fort incomplet, le début
était sommairement achevé (Introït), la partie centrale ébauchée et la
fin manquait totalement : Sanctus, Benedictus, Agnus Dei, Communion
!
Donc qu'écoutons-nous exactement de nos jours ? C'est plutôt compliqué,
essayons de résumer. La moitié du paiement ayant été versée,
Constance Mozart, dans sa situation critique, ne voulait ou ne
pouvait guère la rembourser à Walsegg. Elle demande alors à l'élève
de Mozart Joseph Eybler de l'achever mais il abandonne rapidement,
on ne sait pas pourquoi, peut-être par manque d'expérience. Constance se
tourne alors vers Franz Xaver Süßmayr, autre élève de Mozart,
brillant à défaut d'être génial, qui acheve les morceaux esquissés et crée
de toute pièce le Sanctus, le Benedictus et l'Agnus Dei. Il compléte
ensuite le Lux Æterna final. L'ouvrage est ainsi créé le
14 décembre 1793 en respectant les exigences de
Walsegg. Il sera retouché ultérieurement par des musicologues avisés et au
fur et à mesure de recherche sur le style mozartien et la découverte de
manuscrits. Cela dit, les évolutions resteront à tout jamais mineures et la
popularité du Requiem montre que bon an mal an, nous écoutons bien à travers
cette musique l'âme de Mozart. Le reste n'est que conjectures savantes…
L'orchestration ne comprend ni flûte ni hautbois. Mozart
modifiait souvent la petite harmonie dans ses œuvres symphoniques (4
cors, 2 hautbois et 2 bassons dans la célèbre 25ème symphonie
"Barilla"). Il cherchait ainsi dans son requiem à donner une tonalité
sombre à l'accompagnement instrumental qui se doit essentiellement de
soutenir le chœur, chœur qui a un rôle prépondérant, usage courant dans
les ouvrages religieux de l'époque. Donc, la partition est écrite pour 2
clarinettes, 2 bassons, 2 trompettes, 3 trombones, timbales, cordes et
orgue. La partie vocale est assurée par 4 solistes (soprano, alto, ténor
et basse) et chœur à quatre voix. Cette organisation déjà établie par
Bach (messe en si mineur) Haendel (Le Messie) et
Haydn deviendra quasi incontournable chez les romantiques et
perdure encore souvent de nos jours.
La discographie est abondante. Comme toujours le choix des disques que
je peux conseiller sans inquiétude repose sur l'écoute au fil des ans de
dizaines d'enregistrements, et l'avis des critiques et mélomanes. Le
disque de Karl Böhm de 1971 reste un modèle de musicalité dans le
style classique sur instruments modernes. Les baroqueux ont tenté avec
plus ou moins de bonheur de restituer une vision d'époque. On reste très
partagé sur une approche minimaliste en tant qu'effectif pour une messe
d'une telle ampleur et qui annonce Beethoven, Schubert et
le romantisme du XIXème siècle. Je trouve souvent beaucoup de
précipitation et peu de spiritualité dans nombre de ces tentatives.
John Eliot Gardiner a su miraculeusement réconcilier ancien et
moderne en 1986 avec d'excellents chanteurs et des tempos certes
allants mais qui ménagent la ferveur de l'œuvre. Je citerai d'autres
belles versions en fin de chronique.
KARL BÖHM EN 1971
Le chef d'orchestre autrichien assura des décennies de tradition
mozartienne à Vienne. Je vous parlerai une autre fois du personnage
guère sympathique. L'histoire passe, son immense talent demeure,
notamment dans ce Requiem au sommet de la discographie traditionnelle
depuis 40 ans. Böhm mourut la veille de son dernier concert… au
programme de cet adieu ? Ce Requiem !
Avec ses 63 minutes, on est en droit d'attendre un "de profundis"
marmoréen. On ne rencontre qu'une humanité insurpassée.
Dès l'introït, la soi-disant lenteur se fait prière, les cordes
sublimes de Vienne s'élancent sans peur vers le jugement, accompagnées
par des clarinettes souples aux couleurs de vitrail. Böhm prend l'option
de l'espérance qui va dominer sa conception. Les Chœurs chantent avec
des modulations en accord parfait avec la déploration de cet introït.
Edith Mathis déserte l'opéra pour nous inviter avec une voix
d'ange à la méditation, aucune coquetterie sur le mot "Jerusalem".
Certains pourront trouver dans cette version de l'affectation. Je n'y
vois qu'un chef habité par la religiosité de la messe de funérailles,
soulignant de manière émouvante chaque trait, chaque strophe.
La fugue du Kyrie conserve ce tempo. Böhm n'exige pas
furieusement la pitié divine, il a confiance. Ce passage malgré des
contrebasses un peu trop présentes est musicalement exemplaire de la
maitrise du chef, de la cohérence du phrasé, retenu mais sans pathos.
Et puis miracle, on entend l'orgue, éternellement effacé dans les
enregistrements "phonographiques".
Dans le Dies Irae, pas de terreur vindicative. Pour Böhm, il
s'agit d'évoquer le jugement du défunt, mais pas la sentence. On ne
retrouve pas non plus de violence dans le Tuba Mirum. Dans le
Rex Tremendae, très lent voire pathétique, le discours accepte
l'humilité face au créateur. Le Recordare apporte un moment de
sérénité, de réconciliation avec un équilibre du quatuor vocal
souverain.
La respiration dans Le Lacrymosa inspire un chagrin sincère,
pas d'hystérie. Ce passage, l'un des plus célèbres de l'enregistrement
(voir vidéo), lui confère définitivement cette humanité dont je
parlais en introduction. On retrouvera cet esprit dans
l'Agnus Dei et dans toute la partie ultime du Requiem.
Il a toujours été difficile aux autres chefs de la génération de Böhm
d'atteindre et encore moins de surpasser l'émotion profonde que procure
cette musique. Böhm confiait au disque et à 75 ans son propre testament
musical.
Nous avions déjà rencontré ce chef anglais très dynamique dans la
chronique consacrée à la
symphonie Fantastique de Berlioz.
Gardiner dispose pour cet enregistrement de son orchestre jouant
sur instruments anciens, The English Baroque Players, du
Monteverdi Choir et de quatre bons chanteurs dont
Barbara Bonney et Anne Sofie von Otter.
Dès les premières notes de l'Introït, la diminution de
l'effectif produit son effet, en bien. Le jeu de la petite harmonie
simplifiée voulue par Mozart se détache de la masse des cordes
chatoyantes, se fait méditatif. On retrouve le même rééquilibrage entre
le chœur et l'orchestre qui perd son simple rôle d'accompagnement. Même
si le tempo est plus rapide (48' au lieu de 63' chez Böhm !), l'œuvre
retrouve une couleur merveilleusement limpide. La prière devient
intimiste. Böhm nous offrait la grandeur mystique, Gardiner nous
replonge dans les chapelles baroques de l'Autriche. Musicalement, c'est
très beau, presque allègre dans le sens où l'interprétation se veut
résolument certaine du chemin d'une âme vers un monde paradisiaque.
Cette conception de Gardiner est confiante et justifie donc pleinement
ce fervent raffinement. Il ne faut pas oublier que le franc-maçon Mozart
ne devait guère imaginer un enfer de feu, un au-delà de désespérance
promis par une Église toute puissante à l'époque.
Barbara Bonney
chante, elle aussi avec simplicité et tendresse, une discrétion et un
respect vis-à-vis du Sauveur et de l'âme qui prend son envol. Les
mélodies s'entrecroisent sans aucune lourdeur. On est loin des
expériences minimalistes et désincarnées de la plupart des concurrents
baroqueux.
Le trombone naturel dans le Tuba mirum ne fait pas peur. À
l'évocation d'un terrifiant jugement dernier, Gardiner préfère
annoncer l'arrivée vers la félicité. Les chanteurs sont excellents,
techniquement, et par la retenue et la religiosité bienveillante
qu'ils suggèrent.
On aurait pu espérer un Rex tremendae un peu plus lent donc
moins cavalier vis-à-vis du Très-Haut. Infime détail, mentionné par le
chroniqueur pour montrer à quel point la vision de Gardiner approche
une forme de perfection dans les principes musicologiques sur lesquels
elle repose.
C'est également vrai pour le Lacrymosa. Mais Gardiner apporte
un phrasé scandé et des variations de tons qui rendent la prière
intime, secrète et volontaire. Toujours ce sentiment de confiance dans
la destinée. Une interprétation historique, elle aussi, même si sa
conception se situe aux antipodes de celle de Karl Böhm.
DISCOGRAPHIE ALTERNATIVE
Il existe d'autres versions tout à fait recommandables de ce chef
d'œuvre :
- Herbert von Karajan a enregistré plusieurs fois le Requiem. On
considère que sa version de 1976 avec la
Philharmonie de Berlin est la plus aboutie (53'). Moins
métaphysique que Böhm, Karajan apporte une lecture au scalpel de la
partition mais avec chaleur et ferveur. Par ailleurs le maestro
autrichien aligne un quatuor vocal de rêve : Anna Tomowa-Sintow,
Agnes Baltsa, Werner Krenn, José van Dam !
- L'interprétation des années 80 sur instruments d'époque de
Nikolaus Harnoncourt avec le
Concentus Musicus de Vienne se veut concurrente de celle de
Gardiner. Je la cite car elle est considérée par beaucoup de mélomanes
comme une grande réussite de l'approche baroque. Ce chef exigeant divise
toujours. J'avoue que sa vision musicalement parfaite me laisse
totalement de marbre. Le chef a récidivé en 2004. C'est haché, criard.
En cherchant coûte que coûte l'innovation, Harnoncourt n'a trouvé que
l'hédonisme. À proscrire.
- Enfin je citerai Carlo Maria Giulini en 1978 avec le
Philharmonia et des chanteurs de la grande époque
Christa Ludwig , Helen Donath, Robert Llyod,
Robert Tear.
Pour les deux enregistrements.
je viens d'écouter la version de karl Böhm plus lente que celle à laquelle j'étais habituée (Karajan) mais quelle beauté! dès la 1e écoute ça te saisit. j'adore cette oeuvre. me reste la version de J.E. Gardner à découvrir...merci pour tes conseils Claude.
RépondreSupprimertombant par hasard sur votre page , je partage votre enthousiasme sur la version de BOHM , insurpassee à ce jour : grandeur mais aussi engagement ; le qualificatif de lenteur attribue par certains est totalement injustifiee ; par contre gardiner m'a toujours paru surcote ( ses suites de bach sont decevantes à cote de jf paillard par exemple , plus racees )
RépondreSupprimertombant par hasard sur votre page , je partage votre enthousiasme sur la version de BOHM , insurpassee à ce jour : grandeur mais aussi engagement ; le qualificatif de lenteur attribue par certains est totalement injustifiee ; par contre gardiner m'a toujours paru surcote ( ses suites de bach sont decevantes à cote de jf paillard par exemple , plus racees )
RépondreSupprimerMerci chri86.
RépondreSupprimerCertains mélomanes trouvent ce disque culte de Böhm emphatique, dans le style romantique...
Mais justement, comme il le montrait déjà dans ces derniers concertos pour piano, Mozart ne pressentait-il pas déjà au crépuscule de sa vie ce romantisme dont le jeune Beethoven allait bientôt poser les fondements ! D'où la pertinence des choix interprétatifs de Böhm.
Claude.
fucking links pleaze!!! presto!!!
RépondreSupprimerCorrected !!!!
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