Que peut-il bien se passer sur disque (et surtout sur scène) quand un pianiste français, assez méconnu en l'occurrence, se met à jouer avec des musiciens de jazz issus de la scène new-yorkaise ? Martial Solal, Michel Petrucciani, Laurent Coq, ou encore Jackie Terrasson ont bien essayé l'expérience, avec des résultats parfois convaincants. D'ailleurs, aujourd'hui encore, la "Grosse Pomme", le surnom de la capitale du jazz (NYC) possède un immense pouvoir d'attraction, un immense champ magnétique. Chaque année, elle attire de jeunes musiciens venus du vieux continent (cf. Jean-Michel Pilc, Frank Avitabile, Jérôme Sabbagh, John Escreet pour ne citer qu'eux...), comme s'il s'agissait d'un rite initiatique, d'un passage obligé... et ce, malgré l'avertissement des ricains qui leur rappellent que la scène new-yorkaise n’est pas de tout repos. Aux dires de certains, c'est même la "jungle" (cf. les propos de Steve Lacy dans le remarquable ouvrage de Jason Weiss)... Et aussi paradoxale ou surprenant que cela puisse paraître, l'Europe continue d’attirer de nombreux musiciens venus d'outre-atlantique. En jazz, on l'aura compris, rien n'est logique.
En ce qui concerne Olivier Hutman, même si son nom ne vous dit pas grand chose, il est bon de rappeler que même en 1997 (date de sortie de l'album), il n'était pas de ceux qui débutaient leur musique en rondelles pour le plaisir de galvauder leur nom... Né en 1954 à Boulogne-Billancourt, il se consacre très tôt à la musique classique, mais c'est la découverte d'Oscar Peterson, pianiste canadien dont la réputation n'est plus à faire, qui le pousse à se consacrer au jazz. Débutant sa carrière dans un groupe de jazz fusion aux côté du percussionniste Mino Cinelu, puis s'orientant vers un jazz très contemporain, favorisant la configuration acoustique, aux côtés des trompettistes Art Farmer et Eric Le Lann, puis du guitariste Christian Escoudé, le pianiste lui aussi ne va pas tarder à s’exiler à New-York. Ce seront des années de formation, reconnaîtra-t-il plus tard.
La caractéristique de jeu d’Olivier Hutman n’est peut-être pas singulière en soi, mais elle garde une fraîcheur inouïe, un goût marqué pour la mélodie et le swing. Très vite, et ce dès son premier album en 1984, Hutman se taille une réputation d'arrangeur et de compositeur hors pair. C’est surtout sa marque de fabrique. Sa culture musicale énorme, allant du Classique aux musiques venues d’Antilles en passant par l'Afrique pourrait laisser croire que notre homme ne sait pas trop ce qu'il veut. Il n'en est rien. Au contraire, cet éclectisme sert ses convictions et ses choix esthétiques. Mieux, sa musique gagne en complexité et en profondeur.
Comme le rappelle Gérard Arnaud dans les notes de pochette, "il a la densité et la fraîcheur de ces oeuvres rares et nécessaires où le plaisir de jouer s'épanouit dans le désir de le partager avec les autres". Les principales qualités de ce musicien hors pair, complet au demeurant, c'est donc un sens aigu du swing, du jeu et surtout un travail d'écriture d'une émulation étourdissante, aussi bien pour les musiciens que pour l'auditeur.
Cet album sorti il y a une dizaine d'années sur le label RDC records est là pour le confirmer une fois de plus. Brooklyn Eight, troisième album du pianiste, est certainement, le plus réussi à ce jour, celui qu'il faut se procurer toute affaire cessante. Les compositions sont toutes signées du pianiste, avec des arrangements dignes d'un George Russell ou d'un Art Blakey. Et justement, ce qui est impressionnant dans cette galette, c'est ce côté à la fois percussif (Blakey) et ces arrangements classieux, sans jamais tomber dans la mièvrerie ni la sensiblerie (en l'occurrence, un hard-bop de bon aloi, évitant les redites et les clichés du genre, avec un côté mystérieux non négligeable dès la première plage, l'excellent "Vee's Way, Please", la flûte de Steve Slagle apportant des climats cinématographiques et oniriques de toute beauté).
Et justement, s'il est question de réussite dans Brooklyn Eight, c'est grâce au talent conjugué de tous les musiciens, plutôt méconnus, parce qu'ils privilégient la scène au détriment des enregistrements à tour de bras (Philip Harper à la trompette, un son très Freddie Hubbard, Steve Slagle à la flûte et aux saxophones alto et soprano, Steve Davis au trombone, Essiet Essiet à la contrebasse et Bruce Cox à la batterie et enfin sur quelques plages, le complice d'Olivier Hutman, Jacques Schartz-Bart au sax ténor).
Le ton, la liberté qui traverse cet album est également époustouflant. Jamais on ne sent le disque de commande ou le disque commercial. Plusieurs configurations acoustiques composent Brooklyn Eight : Le sextette ("Vee's Way, Please" et "First Step"), le quartette sax ténor/piano/contrebasse/batterie (dans trois pièces, une magnifique ballade "The Very Thought of Blue", puis ce merveilleux blues sur un mid-tempo ravageur, "Max's Axe" et enfin dans un morceau qu'Oliver Nelson aurait adoré, "Schlang! She Quotes"). Pour finir, l'on retrouve Olivier dans la configuration reine du jazz : le trio tout acoustique piano/contrebasse/batterie (dans deux thèmes exceptionnels ; le très évansien "Loneliness for Two" et dans "Fast Changes", au cours duquel Olivier Hutman fait montre d'une dextérité époustouflante pour ne pas dire diabolique - fans de Bud Powell, de Herbie Hancock ou encore d'Oscar Peterson, vous comprendrez ce que je veux dire...-). En tout et pour tout, une heure de musique surprenante et roborative, loin des sonorités aseptisées que l'on entend parfois.
OLIVIER HUTMAN "Brooklyn Eight"
Vee's Way, Please 6:01 / Fast Changes 4:52 / Max's Axe 7:50 / First Step 8:06 / The Very Thought of Blue 5:22 / Schlang ! She Quotes 5:26 / Koala Me 8:13 / Loneliness For Two 2:34
Pas d'extrait de BROOKLYN EIGHT disponible, mais on se console avec le trio d'Olivier Hutman qui accompagne la chanteuse Denise King lors d'une soirée au Duc des Lombards.
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RépondreSupprimerbé non Alexandre, ton commentaire est sous l'article "Miles Davis" du 9 octobre...
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