jeudi 22 septembre 2011

LA PIEL QUE HABITO de Pedro Almodovar (2011) par Foxy Lady et Luc B.


 Le dernier Pedro Almodovar ne laisse pas insensible. Avis croisés sur le Déblocnot'


L’action se déroule en 2012. Robert (Antonio Banderas) est un chirurgien esthétique qui travaille sur un projet de peau synthétique, et sur cobaye humain, dans sa clinique privée. Seule sa gouvernante Marilla (Marisa Paredes) est au courant de ce qui lie Robert à son cobaye Vera, séquestrée, sous la surveillance constante de caméra. Une relation trouble, ambigüe, qui cache un lourd secret…
 


Il m’a fallu prendre beaucoup de recul pour pouvoir vous parler de LA PIEL QUE HABITO. La première fois que j’ai vu ce film, certaines scènes m’ont choquées, sans doute parce que je suis une femme et que l’univers médical et psychiatrique ne m’est pas inconnu. Le tout m’a laissé un goût amer, j’étais ébranlée par cette ambiance sordide, limite malsaine qui émanait du film.

Puis, j’ai décidé de le visionner une seconde fois, et là, j’ai pu prendre assez de distance et me pencher sur l’histoire, que j’avais occultée en partie la première fois, trop obnubilée par certaines choses qui m’avaient gênées. Bien sûr, il n’en demeure pas moins qu’une certaine forme de violence présente dans le film peut déstabiliser même les plus blasés. Et puis, il y a cette obsession pour le corps, cet étrange lien qui unit Robert et Véra, cette domination du corps et de l’esprit, que l’on a du mal à saisir au début, mais qui nous apparaît clairement au fur et à mesure que le film se déroule sous nos yeux.

Sur l'écran noir de mes nuits blanches, moi je me fais mon cinéma...
Je ne vais pas dévoiler les rouages labyrinthiques de cet Almodovar, qui rompt ici avec une partie de ses codes habituels. Point d’humour ici (ou très peu), point de couleur chatoyante et criarde, plutôt une froideur teintée de folie. En revanche, on retrouve ici les thèmes chers a l’auteur :  une sexualité exacerbée, le rapport mère-fils ou encore le lien victime-bourreau déjà présent dans le film LA MAUVAISE EDUCATION. Almodovar retrouve Antonio Banderas, que je n’avais pas vu aussi bon depuis  ATTACHE-MOI (1989) LA LOI DU DESIR (1986) MATADOR (1985). Il film son couple vedette Banderas-Anaya comme un virtuose et le magnifie. Comme toujours, Marisa Paredes, une de ses actrices fétiches, est troublante dans ce rôle de domestique, complice de l’obsession de Robert. Alors bien sûr, si je me base sur la forme, le film regorge de quelques scènes chocs mais également de purs moments de grâce : Véra et Robert faisant l’amour, Robert épiant Véra sur un écran géant, le regard de la jeune femme le fixant d’une lueur surréaliste, Véra écrivant sur les murs « se que respiro » (en français « je sais que je respire »). Si je pense au fond, certaines notions peuvent choquer le spectateur : la notion d’éthique médicale, le rapport trouble et pervers du créateur et sa créature, la totale abnégation dont fait preuve la victime qui demande à son bourreau « en as-tu fini avec moi ? », « il a –t-il autre chose que tu veuilles réaliser sur moi ? ». On a parfois la sensation d’étouffer, d’où le sentiment de malaise et même lorsque certaines scènes sont filmées en extérieur, on se croirait presque dans un huis-clos tant le ton est irrespirable.

Docteur Robert et Mister Banderas
Il faut reconstituer le puzzle, sans se laisser désorienter, le présent et le passé étant étroitement liés, il nous suffit de suivre les indices et accepter l’horreur dramatique de la situation, car, quelque soit le sentiment qu’on éprouve à la sortie du film, cette histoire est tout simplement terrible du point de vue de la psychologie des personnages et du lien qui les unis les uns aux autres. Je m’abstiendrai de vous dévoiler la chute du film, voyez-le, en sachant bien qu’il est assez différent des autres films de son auteur. A 61 ans, Pedro Almodovar a atteint la maturité propre à son art, à l’instar de Woody Allen ou Clint Eastwood. Il montre toute l’étendue de son talent, mais peut désarçonner ses habituels spectateurs plus accoutumés à la joie et l’exubérance de ses autres films.

Thriller sensuel, très cruel, émotionnellement abouti, ce dernier film d’Almodovar, qu’on l’aime ou le déteste, ne laissera pas indifférent.






LA PIEL QUE HABITO (La peau que j’habite) est inspiré d’un roman noir de Thierry Jonquet, Mygale, qui dans ses livres a toujours exploité le thème de la souffrance, du mal, de la déchéance physique, la transformation des corps, les déviances diverses et variées. Il n’est pas inutile de le rappeler, tant l’univers de ces deux auteurs semble éloigné. Et pourtant, le réalisateur espagnol a su trouver dans l’œuvre du romancier français de quoi nourrir ses propres thèmes de prédilection. Si Almodovar a gommé l’aspect polar, et la violence brute du roman, le SM, il réalise tout de même un thriller.
La combinaison comme seconde peau
Malsain, choquant, dégueulasse. Voici les critiques qu’on peut lire à propos de LA PIEL QUE HABITO. Pourtant, Pedro Almodovar ne fait que proposer une variation de plus d’un de ses grands thèmes : la confusion des genres, des sexes, des identités. Homo, trans, bi, pute, trav, ont toujours peuplé ses films. sauf qu'avant, il maquillait le tout dans la comédie, les couleur flashy. Mais au fond, la détresse humaine, le détresse des sentiments est toujours au coeur de ses films. Ce qui change donc, ici, c’est que l’on n’est pas dans le registre de la comédie, ou du mélodrame flamboyant. On flirte davantage avec le thriller, le fantastique. Sur le fond, on descend dans le glauque absolu, mais dans la forme, on touche à la pureté, la description quasi clinique des situations. Almodovar filme toujours aussi bien, compose des cadres magnifiques, distribue les couleurs, les matières, les motifs. Cette élégance, ce raffinement de la mise en scène ne fait que ressortir encore plus l’aspect odieux des personnages, et de l’inquiétant docteur, dont Antonio Banderas donne une interprétation glaçante.

On retrouve tout de même l’exubérance d'Almodovar avec l’intrusion d’un personnage, le fils de Marilla, qui revenant d’un carnaval, se présente à la clinique déguisé en tigre ! Jeu de costume, jeu de masque (une fois de plus...). Mais la situation dégénère très vite. C’est un des moments fort du film - et Almodovar réalise au passage une belle scène de suspens - qui conduit à une première mise au point, une révélation, avant que le récit ne reparte, en 2006, pour revenir à la genèse du projet de Robert. Un long flash-back qui nous permet de comprendre l'historique et les motivations de chacun. Construction parfaitement maîtrisée, qui distille les informations au compte-goutte, laisse le spectateur dans l’expectative, avant le dénouement. Il est aussi question de fascination, dans la manière dont Robert épie Vera, par écran interposé, écran géant, qui donne une représentation grandeur nature de la jeune femme. Le tout s’inscrivant sur l’écran de cinéma, que nous, spectateur, regardons aussi. Mise en abime du regard, hitchcockienne (FENÊTRE SUR COUR), qui rend mal à l’aise. Almodovar a situé plusieurs de ses films dans le domaine du spectacle, et du cinéma en particulier. Il filme Robert, observant Véra, se sachant observée. Almodovar joue là dessus, avec nous aussi. Une image m'a marquée : Véra en combinaison couleur "peau", revêt un tablier dont le noeud de la ceinture lui descend sur les fesses. Elle est habillée, mais notre inconscient la voit nue. L'érotisme de LA PIEL QUE HABITO est diablement ambigu, qui attise notre voyeurisme et nos perversités. L'allégorie du tuyau d'aspirateur qui rentre dans son logement est à ce titre tout à fait parlant... quand on connait le "truc" du film !

Pedro Almodovar a pu choquer par le passé, pour le plaisir de la transgression et de la provocation. Souvenons-nous de ses tous premiers films, mais aussi que son pays, l'Espagne, sortait à peine de la dictature de Franco. Les réalisations de jeunesse étaient aussi des exutoires face à une terrible censure. Au fil du temps, et avec l'âge, on aurait pu penser que le réalisateur se fasse plus consensuel. Ce film démontre tout le contraire. Si la forme est moins chaotique qu’auparavant, Almodovar garde intact sa verve, ses préoccupations, et son univers. Pour moi, c’est une totale réussite. Mais Almodovar nous a-t-il déjà vraiment déçus ? LA PIEL QUE HABITO, sous son habillage chic et high-tech, est une descente aux enfers, morbide, malsaine, macabre, où tous les personnages souffrent, ont souffert, font souffrir... pour notre plus grand plaisir !

 



LA PIEL QUE HABITO (2011)
Scénario et réalisation de Pedro Almodovar
Produit par Agustin Almodovar
Couleur - 1h58 - scope 2:35

3 commentaires:

  1. Belle association en verite, vos 2 avis se completent parfaitement. Je trouve judicieux d'avoir un avis masculin et un feminin, surtout pour un film comme celui-ci ! Bravo, et n'hesitez pas a recommencer...quelle belle union (pour repondre a Christian).

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  2. Bonjour, malgre vos références, aucun de vous n'evoque le film "les yeux sans visage", n'y a-t-il pas un parallèle pourtant ? Beau travail d'equipe en tout cas ! Merci a vous.

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  3. Pierre, vous avez parfaitement raison, maintenant que vous le dites... "Les yeux sans visage" de Franju, avec Pierre Brasseur, reprenait certains aspects de cette intrigue, et surtout le masque de l'affiche. Merci du passage à vous trois.

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