GERSHWIN - PROKOFIEV - STRAUSS - STRAWINSKY & ANTAL DORATI : LA LÉGENDE DU DISQUE par Claude Toon
Antal Dorati, l’homme aux 600 disques !
KARAJAN, SOLTI, BERNSTEIN et Dieu
Herbert von Karajan, Georg Solti
et Leonard Bernstein sont
synonymes de célébrités de la direction d’orchestre au sens show-biz du
terme. Ils évoquent immédiatement une production discographique
surabondante. Et cela, pour tout mélomane classique même
débutant.
Ils partagent en commun une typologie du chef d’orchestre né et mort au
XXème siècle, des autocrates de génie, parfois épicuriens comme Lenny
(Bernstein) mais affichant la plupart du temps un caractère ombrageux et un
sens du dialogue avec les artistes limité, une tendance à dériver vers une
copie talentueuse de Stanislas Lefort (alias De Funès dans la
Grande Vadrouille) .
On se remémore entre mélomanes le combat à mort entre
Herbert von Karajan et
Henri-Georges Clouzot lors des tournages des films de concerts en
studio dans les années 60, les deux géants narcissiques s’étripant pour le
contrôle de la caméra. Et puis Herbet von Karajan, c’était l’invention des
intégrales en souscription à Noël, la Ferrari, le jet privé, les épousailles
à répétions, dont Éliette Mouret, un mannequin de 17 ans rencontré sur la
côte d’Azur alors que le maître atteignait la cinquantaine…
Je revois, au Palais des congrès en 1975,
Georg Solti jetant sa baguette à
la tête du second violon de l’Orchestre de Paris et sortant sans un mot, car
la Salomé de service (Grace Bumbry), souffrante, était sortie de
scène pendant la Danse des sept Voiles. On les attend encore pour la suite….
Cela dit, le sévère et dictatorial hongrois emmena ses orchestres
(Vienne, Chicago) au plus haut niveau imaginable.
Leonard Bernstein était
compositeur, chef d'orchestre et pianiste, écrivain, pédagogue chargé
d'enseignement, plus ou moins secrétaire d'état à la musique, des bonnes
journées ! Il adorait se mettre en valeur lors des concerts, la
gestique alerte, et dansant la valse pour honorer Berlioz. Obsédé par
l’admiration du public, ce diable d’homme enregistra magistralement Mahler,
ce qui n’est pas surprenant pour un chef qui disait, je cite, « Mahler,
c’est moi ! ».
Un point commun à ces trois artistes : une force de travail
surnaturelle, une grande gueule, l’adulation du public pour leur talent
(réel) et la gravure de plusieurs centaines de disques chacun.
En résumé, n’y aurait-il donc que ces trois pionniers à avoir utilisé le
microsillon pour offrir la musique symphonique à la
« multitude » comme aurait dit Dieu le Père (leur voisin de
palier à les écouter) ? La Réponse est : NON !!!
ANTAL DORATI...
Il y avait un quatrième maestro hyperactif :
ANTAL DORATI. Mais cet immense artiste aimait à l’évidence moins les tabloïdes que son
travail, et même trouver des photos de lui reste difficile. A noter que mes
lecteurs fidèles et attentifs ont déjà rencontré le héros de cette chronique
dans celle consacrée au Sacre du Printempsde Stawinsky. Ses deux enregistrements concurrençaient ceux de
Karajan, justement, et de Pierre Boulez. Bien que moins connu, ou disons
célèbre, que nos trois compères, Antal Dorati fait partie des
légendes de la musique enregistrée.
J’ai compulsé un grand nombre d’articles en français et en anglais pour
tenter de dresser un portrait de l’homme Dorati. J’ai fait chou blanc. Son
incroyable carrière fait la une mais il semble que seul l’artiste ait
existé. A contrario de ses camarades hongrois, Fritz Reiner et Georg Solti
pour lesquels le mot « autoritaire » revient en leitmotiv, pour
Antal Dorati, rien ! Oh il existe très certainement des opuscules
offrant quelques repères sur sa vie privée et son comportement avec ses
musiciens mais je n’en ai point. Cela dit, les rares photos montrent un
homme au sourire quasi permanent (taper Fritz Reiner et vous verrez Droopy
en train de faire la gueule). Des nombreux témoignages sur son travail de
chef indiquent qu’il obtenait rapidement d’orchestres
« difficiles » des résultats étonnants, et cela ne peut se faire
sans charisme et patience, vu le nombre important d’Orchestres qu’il a
dirigés. Il fur le président attitré du Philharmonia Hungarica formé de
musiciens hongrois réfugiés en 1956 près de Vienne. Toutes ces remarques me
laissent subodorer que l’homme n’avait cure du Star System…
Antal Dorati était né en 1906 d’un père violoniste et d’une mère
professeur de piano. Il étudie à l'Académie Franz Liszt de
Budapest dès 1920 pour y étudier le violoncelle et la
direction d'orchestre et suivre ainsi l’enseignement de
Béla Bartók et ZoltanKodaly, deux figures plus que
marquantes de la musique hongroise du début du XXème siècle. Son début de
carrière le mène de Dresde à Münster, puis à Monte-Carlo dans les années 30.
Il part en 1941 pour les États-Unis d’où il ne reviendra jamais sauf
pour des tournées. Il dirigera voire recréera de toutes pièces les
orchestres de : Dallas, Minneapolis (devenu Minnesota),
BBC à Londres, Stockholm, Washington,
Philarmonique de Londres et enfin le symphonique de Detroit,
sans oublié comme je l’ai cité avant le Philharmonia Hungarica avec lequel
il enregistrera la première intégrale en stéréo des symphonies de Haydn (34
CD dans ma vénérable discothèque).
Sa discographie chez Mercury à l’aube de la stéréophonie est marquée
par une énergie, une fougueuse clarté, un souci d’entrainer l’auditeur
rarement égalés. Il enregistrera aussi chez Decca. Il aborde
tous les genres avec talent. J’aurais même tendance à dire que comme pour
Karajan, son style a formé des générations de mélomanes par le disque avant
que ceux-ci puissent accéder au concert.
Dans une magnifique anthologie que je vous propose de parcourir, le
chef hongrois atteignant la cinquantaine dirige principalement l'Orchestre
de Minneapolis à la fin des années 50 et le symphonique de Londres pour 3
morceaux. Explorons dès maintenant les principales œuvres proposées...
IMPORTANT : Ce coffret de 5 CD coûte de 17 à 30 € soit 3,4 € à 6 € le disque.
Même si on n’aime pas toutes les œuvres, se priver de belles découvertes et
surprises à ce tarif……
5 CDs d’Anthologie
CD 1 : il comporte deux œuvres phares de Stravinsky.
Pour tout savoir aller voir la chronique sur
ce ballet.
Le sacre du printemps : rien de mieux que les phalanges made in USA sans
pathos pour interpréter cette musique volcanique, aurait dit le compositeur.
Dorati, en moins de 30 minutes, le son Mercury aidant, nous jette vivant
dans le sacrifice de la Russie païenne. La version la plus féroce
imaginable, le chef nous transporte de la Russie vers l'ile de King Kong en
1933. Au début des années 80, il récidivera toujours avec un orchestre
américain, celui de Détroit. Le trait se sera assagi, plus classique, mais
tellement articulé, que la richesse de la partition apparaitra mieux qu'en
1959. Malgré cela, on ne peut échapper à la fièvre envoutante de cette
première version.
Petrouchka émane de la même vitalité. Dès l'introduction, le dialogue dru
et alerte entre la flute et les violoncelles nous entraîne dans une fête
symphonique exaltée. La prise de son très proche (la fameuse prise de son à
3 micros de Mercury) nous promeut musicien de l'orchestre à titre invité.
Toute la magie luxuriante de l'orchestration de cette pantomime à la fois
guillerette et dramatique ressort avec une rare lisibilité, une
interprétation d'une pédagogie, pour découvrir les moindres détails, et
d'une alacrité sans égales !
CD 2 : Serge Prokofiev
Pour la bio du compositeur de Pierre et le Loup, on verra lors d’une
chronique plus ciblée….
Ah la suite Scythe ébouriffée que voici ! La colossale puissance retrouve
une énergie, parfois atone ultérieurement. La Grosse caisse fait trembler
les murs à écoute normale. Les pionniers de la stéréophonie vinyle faisaient
des miracles. Comme pour Stravinsky, toute la polyphonie est présente,
claire, endiablée. Dorati maîtrise la rythmique vigoureuse et guerrière
souhaitée par Prokofiev, un modèle. Ces remarques s'appliquent à une
dynamisante suite « Des trois oranges ».
La 5ème symphonie peut vite être gagnée par la grandiloquence quand un
interprète déséquilibre ses aspects héroïques et humanistes. Dorati avec des
tempi vifs nous entraînent à bras le corps dans les interrogations du
compositeur pendant cette période de fin de guerre. Là encore la direction
très concertante, opposant héroïsme et nostalgie, ne nous lâche pas une
seconde. Un phrasé volontairement énergique, transparent et jamais vulgaire
domine cette version qui se hisse, par son extrême articulation, comme une
alternative au disque incontournable de Karajan de 1969 (Cf. article sur le
Sacre du Printemps).
CD 3 : Répertoire US
A la lumière des précédents propos, on ne s'étonnera pas si la suite « un
américain à Paris » de George Gershwin bénéficie de la
sécheresse des timbres voulues, du discours véloce, et d'un humour
communicatif. Dorati contrôle comme sienne cette musique de son pays
d'adoption, en tournant franchement le dos au legato plus romantique des
orchestres européens de l'époque.
Les chefs américains trouvent en Dorati un concurrent dans Rodéo
d'Aaron Copland. Le ballet qui nécessite une exubérance « à la
Broadway » est interprété très staccato, les nombreuses syncopes sont très
marquées et ainsi l'interprétation ne manque pas du punch et de la drôlerie
nécessaires.
Après ces deux œuvres vivantes voire jouissives, une surprise nous attend
dans la variée et méconnue suite de Gunther Schuller et ses 7 études
inspirées de la peinture de Paul Klee. On ne peut nier la nature
contemporaine de ces accents tantôt déchirants tantôt ludiques. La précision
de la direction mêle éclat et accent jazzy surtout dans « Little Blue Devil
». Une magnifique curiosité.
Le CD se conclut sur une œuvre également peu enregistrée. Dorati, en
adoptant un legato plus classique, s'approprie la « Sinfonia Breve » de
ErnestBloch au dramatisme contrasté. Le maître saura
conserver ce climat nostalgique dans son interprétation où l'intérêt ne
faiblit jamais.
CD 4 : Richard Strauss
Un compositeur sur lequel je reviendrai pour une chronique perso (aucun
rapport avec la famille des Strauss de Vienne, auteurs de valses, polkas et
autres œuvrettes…)
Fritz Reiner fut le premier chef américain (d'origine hongroise lui
aussi) à graver Strauss pour la Stéréophonie. On retrouve ici,
comme avec le vieux maître, un Strauss au trait moins viennois qu'à
l'accoutumée. Les 4 œuvres conservent bien évidement leur côté élégiaque et
tempétueux, mais avec un tracé au cordeau du phrasé qui les rend très
accessibles à l'auditeur.
Les chefs germaniques à Berlin et Vienne approcheront plus réellement la
quintessence du musicien bavarois. Mais la poésie, le fourmillant jeu
orchestral est parfaitement mis en valeur, on ne s'ennuie pas une seconde
dans les quatre pièces. Dans Mort et transfiguration, l'inspiration de
Dorati s'approche de la gravité de Klemperer dans ce poème
symphonique à la fois diaphane et farouche.
CD 5 : Albéniz, de Falla, Moussorgski et Smetana
Pour tous ces compléments, je risque fort de me répéter... C'est de la même
veine. Le prélude de la Khovantchina (Moussorgsky) est d'une
sensibilité et d'une beauté orchestrale qui ne peut qu'émouvoir.
Un magnifique programme qui permet de mieux découvrir un artiste à ne
jamais oublier. Pour ceux qui ne connaissent pas ces œuvres ou voudrait en
découvrir une image différente lumineuse et enflammée, ce coffret est pour
vous...
J’ai un peu la Honte…
Je me dois de me faire pardonner d’avoir brocardé trois grands artistes de
l’orchestre. Voici pour chacun, une référence discographique in
memoriam :
1) Herbert von Karajan : Le Sacre du Printemps de Stravinsky
et la 5ème
symphonie de Serge Prokofiev – Orchestre Philarmonique de Berlin (1 album
Dgg) 2) Georg Solti : 5 poèmes symphoniques de Richard Strauss,
Orchestre Philarmonique de Vienne et Symphonique de Chicago (2 CD
Decca) 3) Leonard Bernstein : Symphonie N°3 et Quiet City de Aaron
Copland, Orchestre Philharmonique de New-York (1 album Dgg)
Vidéos :
Pour retrouver une œuvre dans cette longue playlist…
CD 1
V1-V4
Stravinsky : Petrouchka - Version 1947 - Minneapolis Symphony
Orchestra
V5-V6
Stravinsky : Le Sacre du Printemps - Version 1947 - Minneapolis
Symphony Orchestra
V7-V10
Stravinsky : 4 Etudes for Orchestra - London Symphony
Orchestra
CD 2
V11-V14
Prokofiev : Suite Scythe - London Symphony Orchestra
V15-V20
L'amour des trois oranges – suite symphonique - London Symphony
Orchestra
V21-V24
Symphonie N°5 - Minneapolis Symphony Orchestra
CD 3
V25
Gershwin : An American in Paris - Minneapolis Symphony
Orchestra
V26-V29
Copland : Rodéo - Minneapolis Symphony Orchestra
V30-V36
Schuller : 7 études sur un thème de Paul Klee - Minneapolis
Symphony Orchestra
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