UNE SEPARATION a cumulé les récompenses au festival de Berlin, est arrivé en France précédé de belle réputation, a attiré beaucoup de spectateurs grâce au bouche à oreille. C’est un succès, et c’est un film iranien.
L’action se situe de nos jours, à Téhéran. Nader et Simin veulent divorcer, Nader refusant de suivre sa femme à l’étranger ; Il souhaite rester en Iran pour veiller sur son père, atteint d’Alzheimer. Le consentement mutuel n’étant pas officialisé, les époux se séparent, en attendant une autre concertation. Nader reste vivre avec sa fille de 13 ans, Termeth, et embauche une aide à domicile, Razieh, pour s’occuper de son père.
La première scène est un long plan fixe, cadrant les époux, s’adressant au juge (qui reste off). Autrement dit, les protagonistes nous regardent dans les yeux, et nous exposent leurs arguments. Nader et Simin représentent l’Iran progressiste. Ils sont laïcs (elle porte tout de même un voile, mais s’habille en jean, fume, et se sépare de son mari, qui lui, y consent !), ont une belle situation professionnelle. Ce qui les opposent à Razieth, la jeune femme qui s’occupe du papa, venue d’un milieu moins favorisé, croyante, respectant la loi coranique. Il y a donc une opposition de classe, et une opposition spirituelle entre ces personnages. Et dans le film, il y aura sans cesse cette divergence entre un Iran, conservateur et progressiste, à travers des personnages (les créanciers du mari de Razieth / la maîtresse d’école / rapports entre Razieth et son mari) et des situations. Comme celle-ci : alors que le papa de Nader s’est fait dessus, et incapable de se changer, Razieth hésite, et téléphone à une sorte de service clients coranique (sic), pour demander si elle doit changer et laver un homme, si cela est autorisé, si cela n’est pas pêcher.
La religion n’est pas plus présente que cela dans l’intrigue, elle a son poids, mais reste un élément de fond. Car rapidement, le récit tourne à l’universel. Razieth a failli dans sa mission. Nader la jette dehors, ignorant (ou pas…) qu’elle était enceinte. Geste qui a des conséquences dramatiques, d’autant que Nader la soupçonne aussi de vol. L’affaire se termine devant un commissaire de police. L’affrontement de civilisation, devient un affrontement judiciaire, un affrontement de classe, et le film maintient ce petit suspens jusqu’au bout. Des critiques ont parlé à propos de ce film de « thriller frénétique »… Faut pas pousser ! Mais l’intrigue est faite de telle manière, avec son lot de rebondissements, de revirements, de mensonges, d’arrangements, que l’on est happé par le récit.
Le scénario peut sembler minimaliste à première vue, mais c’est un modèle du genre, développant toutes les pistes, ne laissant rien au hasard. A partir d’une situation simple, quotidienne, Asghar Farhadi (également scénariste et producteur) tire son fil, déroule sa pelote de laine, enrichit sans cesse son intrigue, et les rapports entre les personnages, notamment entre Nader et sa fille Termeth, qui ne cesse d’interroger son père sur ce qu’il a fait ou non, entendu ou non. Car tout le suspens tient à cela : le père savait-il que… Et le spectateur de se remémorer telle ou telle scène, essayant de reconstituer les choses, de combler les vides habilement entretenu par le metteur en scène, qui choisit de nous montrer certaines actions, et d’en laisser d’autres hors champs. Et la tension monte au fur et à mesure, culminant avec cette scène de conciliation, au domicile de Razieth, sommée de jurer sur le Coran, devant témoin. Intense et prenant.
Les comédiens sont absolument remarquables. Rarement j’ai vu une distribution de rôles aussi parfaite. Je ne connaissais aucun de ces acteurs, ils sont magnifiques. Leila Hatami (qui joue Simin, la femme de Nader, est d’une grande beauté). Asghar Farhadi filme au plus près, caméra à l’épaule, dans des appartements, des lieux exigus. On ne voit pratiquement pas la rue, on ne s’aère que très rarement (pas de visite guidée de Téhéran), quand on sort, c’est en voiture, et là encore, la caméra est embarquée, ce qui renforce évidemment ce sentiment d’étouffer, au milieu de ces hommes et femmes pris dans leur mensonge, leur fierté, leurs tiraillements, leur contradiction. Assurément un grand et beau film.
Le film se clôt sur un autre long plan fixe. Termeth doit choisir de vivre avec son père, ou sa mère. Qui a-t-elle choisi ?
UNE SEPARATION
Ecrit, produit et réalisé par Asghar Farhadi
2h05 - couleur - format 1:85
Avec : Leila Hatami, Peyman Moadi, Shahab Hosseyni, Sareh Bayat, Sarina Farhadi, Ali-Ashgar Shahbazi…
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