vendredi 17 juin 2011

DIZZY GILLESPIE "PLEYEL 1953" par Luc B.



 
Charlie Parker et Dizzy Gillespie
John Birks Gillespie (1917-1993), Dizzy pour les intimes, fait partie de ce club très fermé de musiciens qui ont créé un genre, ont réellement influencé la musique. De ceux dont on dit qu’il y a un avant et un après. Avec Charlie Parker, Bud Powell, et Thélonious Monk, au début des années 40, ils ont fait émerger le style BeBop. Un Coleman Hawkins avait déjà rué dans les brancards, montrant la voix aux jeunes rebelles. Le jazz de ces années-là, au grand dam de certains, s’était aseptisé, commercialisé, avec la domination des grands orchestres de swing, et le public blanc, bourgeois, qui s’entichait de musique Noire. Le Bebop est une sorte d’acte de résistance, un retour aux racines africaines de jazz, dominé par une rythmique éruptive, des apports de musique cubaine, de rythme latins, une vitesse d’exécution démultipliée. Les solistes d’alors se sentaient trop corsetés dans les grands orchestres, avec un cahier des charges précis à exécuter. J’étouffe, il me faut de l’air, faut que je change d’atmosphère ! Donc retour aux petites formations (quintet généralement), aux clubs enfumés, à l’improvisation, à la folie ! Faisons exploser les gammes, chanter les accords, virevolter les phrasés, explorons des notes issues de gammes différentes, jouons sur les dissonances, l'asymétrie, multiplions par dix le nombre de notes dans un chorus, changeons d’accord en cours de route, sans prévenir, les autres musiciens n’ont qu'à être attentifs et suivre ! Pour l'anecdote, Charlie Parker (sax alto) pouvait lancer un thème, que ses musiciens exécutaient, et lui, paf, en interprétait un autre par dessus ! Les citations étaient communes, les clins d'oeil, les phrases piquées ci et là, mais Parker a poussé la logique jusqu'au bout, et il fallait être sacrément bon musicien pour le suivre ! Parmi les grands Boppers, citons l'importance du batteur Max Roach


Un Dizzy songeur...
Alors bien sûr, cela n’a pas plu à tout le monde, et la contre-attaque n’a pas tardé, avec le Smooth Jazz, le modal de Miles Davis, ou le West-Coast de Art Pepper, le Cool Jazz de Chet Becker, Dave Brubeck, Gerry Mulligan, plus feutré, aux tempos ralentis, tout autant technique, un puits sans fond de talents, mais moins viscéral. Raison pour laquelle la contre-contre-attaque arriva avec le Hard-Bop, qui remit l’afro, le blues, la rythmique au centre des débats, comme chez Horace Silver, Art Blackey, Hank Mobley. En jazz comme dans la musique en général, tout est affaire de courants qui s’opposent, et qui reliés les uns aux autres crée une évolution parfaitement cohérente. Même si on peut parler de courants, d'écoles, tous les jazzmen (ou presque) des années 50 et 60 sont passés par la moulinette Bebop, Miles Davis en tête, John Coltrane, et même Duke Ellington, pourtant de la génération précédente, mais qui s'y intéressa aussi, et l'intégra à sa musique.  


Le disque dont nous parlons n'est sans doute le plus représentatif du style BeBop, mais permet d'évoquer cette musique, ce musicien, et cette prestation parisienne ébouriffante. C'est un concert donné par Dizzy Gillespie à Paris le 9 février 1953, à la salle Pleyel. Le public français avait fait une triomphe à Gillespie en 1948, lorsque celui-ci amena son BeBop révolutionnaire. Cinq ans plus tard, il revient auréolé de son statut de star, mais en petite formation, pour un show absolument somptueux. Gillespie a commencé à jouer dans les années 30, en big band, comme accompagnateur de Cab Calloway ou Earl Hines. Il devient rapidement directeur musical, et en parallèle de ses prestations swinguantes, il écume les clubs avec une petite bande de fou-furieux, qui deviendront donc les Boppers.

Ce concert est fameux parce qu’il explore différentes facettes du Bop, et représente bien le travail de Gillespie en Jazz. On entend Dizzy, après avoir saluer en français les demoiselles, les messieurs et les petits enfants, lancer le tempo en frappant du pied, annonçant le titre « Champ », un pur BeBop foudroyant, histoire de faire taire les éventuels détracteurs. Non, en 53, le Bop n'est pas mort ! Suit « Good Bait » tout aussi speedé, avec chorus acrobatiques. Changement d’atmosphère sur « Swing low sweet cadillac » Dizzy aux congas, les musiciens entonnent le thème a capella, une sonorité très africaine, tout en percussions et pitreries du leader. Ambiance latine par contre sur « Tin Tin Deo ». Arrive ensuite le chanteur Joe Carroll pour le « Oh Lady be good » de Gershwin. Carroll est un chanteur incroyable, le scat dans la peau, un fou-chantant, on le retrouve sur rapide « The bluest Blue » ou sur « Ooh Shoo Bee Doo Bee » en duo avec Gillspie, un moment de pure rigolade. Des chansons il y en aura d’autres, entre deux rasades de Bop ou de blues (« Birks Works » joué avec sourdine) comme le sautillant et classique « On sunny side of the street », ou l’explosif et délirant « School day » qui clôt la soirée. Sans oublier la divine Sarah Vaughan, qui monte sur scène chanter « Embraceable You » autre composition de Gershwin. 3’16 de grâce absolue. C’est donc une succession de morceaux très différents, vivant, drôles, enlevées, virtuoses ou potaches, avec une bonne humeur palpable, un plaisir évident à faire le show devant un public en délire, acquis à la cause du Bopper en chef. Live, dit-on des disques en concert. Vivant. Rarement un disque live n’aura aussi bien porté son nom.


Trompette coudée et joues gonflées, Dizzy tel qu'on le connait. Je me souviens d'un GRAND ÉCHIQUIER avec Jacques "et dieu dans tout ça" Chancel, où Gillespie était l'invité vedette. Mon père m'avait fait croire qu'il jouait avec deux pamplemousses dans la bouche... La trompette coudée sera adoptée à partir de 1952, après que sa trompette normale ait été accidentellement déformée. Le son était plus intéressant...  

Aux côtés de Dizzy Gillspie, on retrouve Bill Graham aux sax alto et baryton, Wade Legge au piano, Lou Hackney à la contrebasse, Al Jones à la batterie. Et donc Joe Carrol au chant, et la participation de Sarah Vaughan. Un seul titre manque sur cet enregistrement, « Ghost of a chance » par manque de place, le CD faisant déjà 77 minutes.


Ce Pleyel 1953 est un de mes disques de jazz préférés, en tout celui qui dès la première écoute m'a sctoché devant les enceintes. Je pensais avoir à faire à une musique  difficile pour spécialiste, un rassemblement de techniciens virtuoses. C'est l'inverse !  C'est un disque joyeux - la personnalité clownesque de Gillespie imprègne l'enregistrement - avec des moments de pure folie, de gaité, de tendresse.  Un grand disque tout simplement ! 

LES VIDÉOS :
Je vous ai déniché un de mes titres favoris, le célèbre « On sunny side of the street », une version de la même époque, en studio, avec Joe Carroll au chant. Un titre pas spécialement Bop à vrai dire, mais j'adore ce thème ! (et merci à l'internaute à l'origine de ce montage)

Ah la bonne blague, You Tube a retiré cette vidéo pour des histoires de droits d'auteur vidéo ... Je rapelle que cette chanson est centenaire... et que cette vidéo n'était qu'un montage de photos... Un chef d'oeuvre pareil est patrimoine de l'humanité, et donc, protégé par l'UNESCO et devrait être accessible à tous, gratuitement.
Je vais essayer de vous en dénicher une autre...



Ensuite, passons à un titre Bebop pur et dur, "Hot House" enregistré en 1952, avec Charlie Parker au sax, et derrière à la batterie c'est Môssieur Max Roach. Le tempo est nettement plus rapide. Après l'exposition du thème, écoutez le démarrage foudroyant de Parker au saxophone (à 00'47) : ça coule tout seul, et met tout le monde d'accord ! Et je vous parlais des citations que les boppers aimaient inclure. Sur le chorus de Gillespie, au début, une mélodie reconnaissable... juste un clin d'oeil... si si vous connaissez (à 01'37) c'est "Carmen" de Bizet ! Le clip est coupé avant la fin du morceau, désolé, et comme on dit, la prise de son est d'époque ! Mais quel bonheur de voir ces trois musiciens exceptionnels ensemble.  


Charlie Parker & Dizzy Gillespie par alternativa







DIZZY GILLESPIE QUINTET "PLEYEL JAZZ CONCERT 1953", Vogue Masters (77 minutes)
Intro du speaker - 01:31
The Champ - 09:22
Good Bait - 09:50
Swing Low...Sweet Cadillac - 04:10
Oh Lady Be Good - 03:50
Mon Homme - 02:53
(I've Got) The Bluest Blue - 03:51
Birk's Works - 09:36
Ooh Shoo Bee Doo Bee - 03:28
They Can't Take That Away From Me - 04:21
Embraceable You - 03:15
Play Fiddle PLay - 04:29
I Can't Get Started - 03:06
Tin Tin Deo - 04:11
On The Sunny Side Of The Street - 02:47
School Days - 07:04

3 commentaires:

  1. "..... L'amour est un oiseau rebelle que nul ne peut apprivoiser...."

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  2. Shuffle master18/6/11 13:10

    Et tu as cru aux pamplemousses jusqu'à quel âge?

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  3. Pourquoi cette question ? Ce ne sont pas des pamplemousses, mais des oranges ?

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