dimanche 15 mai 2011
KEVIN COYNE, l'anti rock star , par Christian Selmogue
On l’a oublié mais dans les 70’s Kevin Coyne aurait pu être une « Rock star ». Il fut l’un des premiers artistes signé par Virgin, il remplissait les salles, les journaux spécialisés lui offraient des « unes », on le comparait à Dylan, Captain Beefheart, Joe Cocker, Van Morrison. Rien que ça. Mais voilà Kevin Coyne n’en a toujours fait qu’à sa tête. Devenir une rock star ? Très peu pour lui. Une anecdote. À la mort de Jim Morrison, Jac Holzman, le patron d’Elektra, lui propose de devenir le chanteur des Doors. Coyne répond que porter un pantalon de cuir et se déhancher sur scène pour séduire les minettes, n’était pas son genre. Rideau. Kevin Coyne ne sera jamais une « Rock Star ». Trop exigeant, pas assez « hype », trop sensible, trop sincère. Intransigeant quoi. Pas une « Rock star » donc, mais un artiste, un vrai. Avec des textes et des musiques qui vous prennent à la gorge et ne vous lâchent plus. Il est vrai qu’avant de devenir chanteur, Kevin Coyne avait pu acquérir une grande expérience de la vie et de ses désordres. Passer 4 ans dans un hôpital psychiatrique en tant que « thérapeute social » est une bonne formation. Voir de prêt les dérangements mentaux des gens, les comparer aux siens est au mieux légèrement perturbant. « J’essayais d’aider les junkies, les ex taulards, les clochards. Je sentais qu’au moins je faisais quelque chose d’utile. Mais cela est très déprimant. Deux ans de ce boulot est suffisant pour vous réduire en cendres. Très souvent je recevais des appels de la morgue pour identifier des gens qui étaient devenus mes amis. Mais je faisais aussi de la musique, j’écrivais des poèmes, faisais de la peinture »
De 1969 à 1971 il est le chanteur de SIREN, un des derniers groupes du « british blues boom ». La formation sort deux disques : « Siren » et « Strange locomotion ». Deux disques de blues et de boogie à l’anglaise, agrémentés de balades telle que « Asylum », qui annoncent déjà les chansons tourmentées à venir.
Le 1er album solo de Kevin coyne est : « Case History », enregistré en une seule prise et en une seule après midi. Le célèbre John Peel l’écoute ; il est sidéré. Il signe Coyne sur son label : » Dandelion » et sort l’album tel quel, brut de fonte, sans overdubs ni fioritures. Dans « Case History », Kevin Coyne , fort de son expérience de travailleur social et d’infirmier en asile psychiatrique, décrit l’existence des marginaux et autres laissés pour compte. Il chante comme s’il avait 20 ans de métier derrière lui. Tout l’univers « coynien » est là dans ce 1er opus. Oh, ne vous attendez pas à entendre un joli disque de blues aux arrangements raffinés. Que non. Ici c’est du brut. Hélas, à peine le disque sorti, « Dandelion » fait faillite ce qui hôte toute chance de succès à l’album. Pourtant « Case History » porte la marque des grands disques, ces disques hors du temps qu’on écoute 40 ans après avec les mêmes frissons.
Kevin Coyne est alors signé sur Virgin, un nouveau label indépendant. Il est, après Mike Oldfield, le second artiste signé par Virgin. Doté d’un budget conséquent Kevin Coyne est décidé à montrer ce dont il est capable. Le second album est enregistré au « manor studio », il s’appelle « Marjory Razorblade » (1973) et est considéré comme l’album phare de Kevin Coyne. C’est un (double) album doté d’une richesse rare, d’une intensité décuplée par rapport à « Case History ». Toutes les chansons font mouche. Kevin Coyne est persuadé d’obtenir un grand succès. Le succès ne sera que d’estime
Le 3eme album, « Blame it on the night » (1974) est sorti, pour des raisons de marketing assez inexplicables, dans la plus grande discrétion. Il est vite devenu introuvable et à ma connaissance, n’a jamais été pressé en CD. Cet album, pour ceux qui l’ont écouté, est le chef d’œuvre méconnu de Kevin Coyne. Cet album est de la même veine que « Marjory Razorblade ». D’un côté les chansons folk-blues-boogie telles que « I believe in love », de l’autre des morceaux comme « Witch » ou « Don’t delude me » ; des plongées dans une folie inquiétante. On se pose obligatoirement la question. Coyne décrit t’il un cas clinique ou est il lui-même malade ?
Après trois albums parfaits. Kevin Coyne publie « Matching head and feet » (1975) qui voit l’arrivée dans le groupe de Kevin d’un certains Andy Summers. Un vétéran qui roule sa bosse depuis belle lurette. « Matching head and feet » est un album que je trouve mal fichu, bancal, avec de magnifiques chansons et d’autres fourre-tout. Virgin réclame des hits. Kevin Coyne essaie bravement d’en fournir. Ce n’est pas son style. Le suivant « Heat burn » (1976) est de la même veine que son prédécesseur. Même son froid, une production trop propre, trop lisse qui nous dépossède de la rage sauvage de Coyne. Les violons ce n’est pas fait pour lui.
« In living black and white » (1976), qui sort ensuite est un double live. C’est l’un des albums les plus connus de Kevin Coyne ; avec sa pochette qui le voit souriant, une main dans le dos, saluer le public, côté face. Et côté verso on le voit de dos, sa main tenant un rasoir. Cet album est une splendeur. Kevin Coyne soutenu par un groupe parfait (A. Summers, Z. Money, S. Thompson, P.Wolf) est au sommet de son art. Andy Summers y est gigantesque. Virgin est aux anges, Kevin prouve qu’il peut devenir un artiste populaire. Mais hélas pour le label, Kevin fiche tout en l’air. Il trouvait son groupe trop parfait, trop prévisible. Il le dissout et c’est accompagné du seul Zoot Money au piano, que Kevin part en tournée. Le succès commercial sera pour une autre fois.
« Beautiful extrême 1974/1977 » est un autre album « culte » de Kevin Coyne. Lui non plus n’a jamais été réédité en cd. C’est l’un des albums préféré de Kevin et de son public. Ici on est en plein « art-rock ». Des morceaux déjantés comme « Mona » ou Kevin hurle à s’en péter les poumons : « Mona ou est mon pantalon ? »
« Dynamite daze » parait en 1978. Le punk a explosé. Kevin Coyne est l’un des seuls « vieux « artistes qui trouve grâce auprès des jeunes rebelles. Avec « Dynamite daze » fini les pochettes avec photos. Kevin qui est aussi peintre les illustrera désormais. La peinture occupera d’ailleurs la majeure partie de son temps, dans les années 90. « Dynamite daze » est encore un album formidable. Le succès qui se profilait avec « In living black and white » lui échappe avec cet album qui refuse toute facilité et vole dans les plumes de tout ce qui bouge. Chaque face de l’album débute par un boogie hargneux et féroce, puis on passe à des ballades à la fois émouvantes et effrayantes. Les textes sont inquiétants. Dans « Brothers of mine », Kevin chante : « prolétaires de tous pays unissez vous pour me détruire », dans « I really live round here », on entend : « mes enfants ont peur, vous vous moquez de ma femme ». Textes paranoïaques ? Là encore ont se pose la question ; Kevin Coyne décrit t-il une situation ou bien la vit elle ? Enregistré dans un minuscule studio, ce disque possède un son intimiste . l’instrumentation est minimaliste. « Dynamite daze » est produit par Bob Ward, qui travaillera de nombreuses années avec Kevin Coyne. Enfin, Kevin est l’un des très rares artistes des 70’s qui accueille avec joie l’explosion punk. Il croit naïvement que ces trouble-fêtes vont changer la face du show biz.
« Millionaires and teddy bears » (1978) est la suite logique de « Dynamite daze ». Même son, même ambiance, même studio, même producteur. Le disque débute par « Having a party », une charge contre le show-biz et les maisons de disques. Au départ cet album devait s’appeler « Women », en effet il est rempli de chansons dédiées aux femmes : femmes battues, exploitées, femmes qui rêvent de cuisiner un gâteau et de l’envoyer à la figure de leur mari et qui s’entendent répondre : « Marjorie, tu rêves »
« Bable » (1979) est une pièce musicale que Kevin interprète avec Dagmar Krause, ancienne chanteuse d’Art Bears et Slap Happy. « Bable » raconte l’histoire de deux amants qui luttent pour communiquer. Kevin a la mauvaise idée d’expliquer que cette histoire aurait à voir avec la vie de Myra Hindley et Ian Brady, deux tueurs en série. Gros scandale. Les tabloïds anglais se déchaînent avec vulgarité et violence. On se paie la tête de l’intello chevelu qui fait l’apologie du crime. La pièce sera annulée. Musicalement dans la même lignée que ses deux prédécesseurs, « Bable » est un chef d’œuvre ; compact et surpuissant. En trois ans Coyne a sorti une série de chansons toutes plus fortes les unes que les autres. Il déborde de créativité. Mais les tournées incessantes, la pression de « Virgin », la frustration de ne pas réussir commercialement et la toxicomanie qui s’installe commencent à faire leur effet. Quelque chose va craquer.
« Bursting bubbles » (1980) avec sa pochette effrayante est à la fois magnifique et insupportable. Côté musiciens on noté l’arrivée de Brian Godding, ex Blossom-Toes et Magma. Godding entraine Coyne dans une direction différente des précédents albums. Le son est froid, l’atmosphère inquiétante. Boites à rythmes, saxophones hystériques, cris de Coyne. On nage dans le malaise comme finalement dans un vrai disque de blues. Du blues bizarre et dépouillé. Très bizarre.
« Sanity stomp » (1980) nous montre un gros plan du visage d’un Kevin Coyne souriant. Ce double album est bizarre, aucune cohérence entre les deux disques. Le 1er disque, enregistré avec « the Rusts » est destiné au « grand public », le second est un délire sonore et expérimental dans lequel Kevin et Brian Godding s’en donnent à cœur joie. Avec le concours de Robert Wyatt.
En 1981, Kevin quitte ou est viré de « Virgin ». « Pointing the finger » avec sa pochette « autiste » en dit long sur la douleur de l’artiste. Godding est toujours là, guitariste monstrueux. C’est sa dernière participation à un album de Kevin Coyne. L’album est d’une puissance extrême, témoin du schisme entre la révolte et l’impuissance qui traversent l’artiste.
Avec « Politicz » (1982) Kevin Coyne est au sommet de son art. « Banzai » ou « Tell the truth » sont des plongées angoissantes dans un monde de folie. Kevin Coyne est sur le fil du rasoir. La chute n’est pas loin.
En 1983, sortent « Rough » et « Live rough and more ». Les deux dernier bons disques de Coyne avant longtemps. Kevin est lessivé : divorce, dépression, toxicomanie il part s’installer en Allemagne et créé son propre label, qui s’écroulera tout de suite. Si « Legless in Manilla » (1984) contient de bonnes choses, « Everybody’s naked » (1988) est assez maigre. Le son est propret, presque variété. Décourageant. Seules « Tear me up « et « Victoria smile » sortent du lot . La suite sera bien pire.
A son arrivée en Allemagne (Nuremberg), Coyne est une loque, un quasi clochard. Il n’a plus de guitare et vit au jour le jour, dans des squats. Le syndicat des musiciens local l’aide en le faisant jouer contre des bons de logement ou de nourriture. Pas d’argent afin de l’empêcher de tout boire. Plus, le syndicat assemble autour de lui de bons musiciens locaux, et petit à petit Kevin Coyne sort de sa dèche et parvient à ce désintoxiquer. Sans ces personnes, ainsi que sa nouvelle épouse, Kevin Coyne aurait définitivement sombré. Musicalement parlant, Coyne est au creux de la vague. « Wild tiger love » (1991), « Burning head » (1992), « Tough and sweet » (1993), « The Adventure of crazy Frank » (1995), « Knoking on your brain » (1996) sont de mauvais albums, malgré la présence de l’ex guitariste de Captain Beefheart, Gary Lucas, sur « knocking… » .
Aidé depuis quelques années par ses fils, Eugène et surtout Robert, Kevin Coyne remonte définitivement la pente artistique en 1999 et l’album « Sugar candy taxi ». Un disque magnifique composé par Kevin et Robert Coyne. Presque un classique. Digne successeur de « Sugar… », « Room full of fools » (2000) enfonce le clou. La chanson titre est un boogie à la T.Rex et fonctionne parfaitement. Kevin Coyne est en pleine forme et il recommence même à improviser en studio , comme au bon vieux temps.
Le nouveau siècle voit Kevin sortir son chef d’œuvre : « Life is almost wonderful » (2000), enregistré avec Brendan Croker. Ce cd est une merveille… introuvable, faute de distributeur. On ne le trouvait qu’aux concerts de Kevin. Je me le suit procuré par hasard, dans une braderie, pour deux euros. « Life is almost wonderful » est totalement acoustique. En 2002 sort « Carnival » , dans la veine de « Room full of fools ». C’est un bon album sans plus.
En 2004, Kevin Coyne sort un nouveau grand album. « Donut city ». Ce 41eme album est une vraie fête. Kevin y met tous ses talents, un vrai feu d’artifice. L’album est maitrisé d’un bout à l’autre. Robert Coyne est à nouveau de la partie. Le son est dépouillé et les musiciens compétents. Les chansons sont du pur Kevin Coyne, on enregistre les textes de Kevin, le plus souvent improvisés, avant les musiques. Le monde à l’envers. Kevin est heureux, certes il est oublié, il joue dans des salles minuscules, ses disques se vendent mal, mais il s’en fout. C’est un artiste total, conscient de sa valeur et au sommet de son art. « Donut city » sera son dernier album. Atteint d’une grave maladie des poumons, il vivra ses dernières années sous assistance respiratoire, Kevin Coyne décède le 2 décembre 2004. Ironie de la vie, on redécouvre peu à peu son œuvre grâce au mouvement « low fi » dont il est un peu le créateur. Kevin Coyne, en 35 ans de carrière a sorti prés de 50 albums, live et compilations comprises. Une bonne trentaine sont tout bonnement indispensables. Qui peut en dire autant ?
(pour l'ensemble de son oeuvre)
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les invités du Deblocnot
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Bien vu d'avoir ressorti Kevin Coyne du placard. En 75/76/77, on l'écoutait pas mal.
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