vendredi 11 février 2011

DEEP PURPLE "MACHINE HEAD" (1972) par Luc B.







4 octobre 1969, Deep Purple est en concert à Montreux.



En Europe, l’album FIREBALL est sorti au mois de septembre 1971. DEEP PURPLE enchaine les concerts, les passages télé, mais l’album ne restera pas longtemps en tête des ventes. Commercialement, c’est presque un échec, aux vues des espérances de donner un successeur à l’album IN ROCK (1970) qui avait marqué les esprits. Les titres de FIREBALL ne passent pas l’épreuve de la scène. Le groupe joue des titres issus des trois premiers albums de 1968-69, comme « Wring that neck » ou « Mandrake root », dans des versions à chaque fois étirées sur près de trente minutes. DEEP PURPLE manque cruellement de matériau. Les musiciens composent rapidement deux titres « Highway Star » et « Lazy » (au départ une longue improvisation boogie, que Blackmore a piqué à Clapton, prétexte à chorus à rallonge) que le chanteur Ian Gillan annonce sur scène comme : « des titres de notre prochain album ».

En octobre-novembre 1971, le groupe est en tournée aux Etats-Unis. Gillan tombe malade, et Roger Glover s’improvise chanteur le temps de quelques concerts, mais le groupe doit plier bagage et rentre en Angleterre. Repos forcé. Et l’occasion de penser à l'avenir...
Et déjà Ritchie Blackmore (guitariste) songe à baptiser le nouvel opus : MACHINE HEAD. Pour y mettre quoi, on ne sait pas, mais il y a déjà le titre ! On se souvient que pour FIREBALL, le batteur Ian Paice avait enregistré ses parties en dehors du studio, dans un couloir, pour bénéficier d’une meilleure acoustique. Le groupe souhaite pousser l’expérience plus avant, et ils se mettent d’accord pour enregistrer ailleurs que dans un studio professionnel. Et hors de Grande Bretagne. Pourquoi ça ? demande-ton à Blackmore. « Pour éviter que les impôts nous tombent dessus » ! Il y a sans doute un fond de réalité, mais en fait la vraie raison est ailleurs. DEEP PURPLE s’était déjà produit au festival Jazz de Montreux, en Suisse, et avait sympathisé avec Claude Nobs qui travaillait à l’Office du Tourisme local, et fondateur du festival. Or, l’idée du groupe était d’enregistrer un album dans les conditions du live, sur scène, mais dans une salle vide, sans public ! Or, la salle du casino de Montreux était l’endroit rêvé, et Claude Nobs avait convaincu les co-organisateurs du festival de lui céder la salle pour trois semaines. Pour la régie, les micros seraient reliés à un camion, garé à l’extérieur, une petite merveille technologique, baptisée « The Rolling Stones truck mobil », construit sur la demande de Mick Jagger en 1968, puis utilisé par les Stones à Villefranche-sur-Mer, pour l’enregistrement de EXILE ON MAIN STREET (ainsi que Led Zep, The Faces, The Who...). Pour remercier Claude Nobs, le groupe avait envisagé, une fois l’album terminé, de faire un vrai concert, avec public, qui serait enregistré aussi, et ferait l’objet d’un second disque. MACHINE HEAD était donc prévu pour avoir un disque « studio » et un disque « live ».

Le groupe arrive en Suisse le 6 décembre 1971, et assiste le soir même au dernier concert de la saison au casino de Montreux, que donne Franck Zappa. Pendant le concert, un spectateur tire une fusée éclairante en direction du toit, qui, recouvert de lattes de bambous, s’enflamme instantanément. Franck Zappa, avec flegme, annonce un truc du genre : « euh, je crois qu’on est en train de cramer, merci de sortir d’ici dans le calme »… La salle s’embrase littéralement, les pompiers mettront deux jours à maîtriser l’incendie. Zappa utilisera sa Gibson pour briser une large baie vitrée, et évacuer les spectateurs. Et les rêves de Ritchie Blackmore s’envolent, comme l’épaisse fumée noire, au dessus des eaux glacées du lac Léman… (c’est beau hein ? mais c’est pas franchement de moi, vous comprendrez après…). La question qui se pose pour le groupe est maintenant : où enregistrer ? Ils essaient un abri anti-atomique (bah oui, ils sont en Suisse !) mais le son ne vaut rien, puis s’installent dans un théâtre, le « Pavillon ». Martin Birch, l’ingénieur son, se plaint de l’écho, et la scène est fermée par des tentures. Le groupe répète un nouveau thème, sur une idée de riff de Richie Blackmore. Au bout de deux essais, le morceau est dans la boite, et en sortant écouter le résultat dans le camion-studio, le groupe se rend compte que la police frappait aux portes du théâtre (bloquées par les rodies) alertée par le niveau sonore insoutenable, en pleine nuit ! Le morceau en question, qui n’a pas encore de texte, deviendra « Smoke on the water »



Ian Paice à la batterie et Jon Lord aux claviers, dans les couloirs de l'hôtel.

Avec l’aide de Claude Nobs, ils invertissent alors le Grand Hôtel de Montreux, peu fréquenté pendant l’hiver. Le hall, les couloirs, certaines chambres sont tapissées de couverture, les câbles électriques courent sur le sol. Chacun s’isole, dans un corridor, une chambre, un couloir, relié par des casques. Un dédale épouvantable, et Roger Glover se souvient que pour descendre dans la rue et rejoindre le camion–studio, il leur fallait traverser chambres, balcons et salle de bain en enfilade Le groupe s’entend bien, et travaille vite. En deux semaines l’album sera bouclé. Outre « Highway Star » et « Lazy » (retravaillé en plus compact), le groupe enregistre six nouveaux titres, inspirés de leur expérience à Montreux.



Ritchie Blackmore, l'homme en noir au caractère de chien, jamais satisfait.




L’album sort en avril 1972, et le succès est immense. Cela génère de l’argent, beaucoup d’argent, que jusque là les musiciens se partageaient en cinq parts égales. Les compositions étant le fruit de jams (= séances d’improvisation collectives) difficile de désigner un auteur en particulier, mais certains membres estiment qu’ils sont davantage auteur sur tel morceau, que le voisin. La tension monte. Blackmore déclare aux journalistes : « oui, je pense qu’on passera la prochaine année… avec de la chance ».

Un 45 tour sort juste avant, ce sera « Never before » considéré par le groupe comme un hit irréfutable, leur plus belle création. Résultat : un flop total ! Du coup, la face B passe aux oubliettes de l’Histoire, avec « When a blind man cries ». Mais l’album, lui, se vend, beaucoup, énormément, se classe premier dans les charts anglais, et « Smoke on the water » devient le single que DEEP PURPLE attendait depuis des années, morceau fétiche du groupe, hymne indétrônable de hard rock 70’s, cent mille fois égratigné par les apprentis guitaristes de tous poils, jusqu’à aujourd’hui encore.

- Vite, on a faim !
- Oui j’arrive ! Voici le menu, choisissez, c’est que du meilleur, ou plutôt non, prenez tout !

"Highway Star" : Comme à l’ordinaire, un album de DEEP PURPLE commence par un morceau rapide, celui-ci est un modèle du genre, estampillé hard, qui ouvre les concerts à cette époque. Pour son solo, Blackmore s’est dit inspiré par les arpèges de JS Bach, un gimmick selon lui par très original, mais efficace ! Plutôt inédit à l’époque, le procédé a fait école depuis auprès des guitaristes de heavy métal…

« Maybe I’m a Leo » d’abord appelée « One just before midnight ». Le tempo est plus lent, mais Ian Paice s’évertue à enrichir sa partition par de multiples figures, qui donnent parfois l’impression qu’il décale le temps fort sans arrêt, en laissant un espace comme suspendu avant ses breaks. On entend deux pistes de claviers, l’orgue hammond en accompagnement, et un piano électrique pour le chorus. Dans sa structure, ce morceau est ni plus ni moins… qu’un blues !

« Pictures of home » déboule à 100 à l’heure, sur un mode ternaire, après une intro survoltée à la batterie. Ce titre évoque les montagnes enneigées de Suisse. La machine swing est lancée, un pont à la basse, dérapages d’hammond, et Blackmore se fend de deux chorus impeccables.


« Never before » sort en single en mars 1972, avec « When a blind man cries » en face B, et bien que le groupe le considère comme un hit en puissance, le public n’adhère pas. Alors que ce morceau est à mon sens à des meilleurs de DEEP PURPLE. Intro de batterie, et exposition funky, avant le démarrage agressif. Là encore, la frappe de Ian Paice touche au sublime, mêlant binaire et ternaire. Jon Lord joue sur un piano électrique, donne un côté très rock’n’roll à l’ensemble, un pont aérien, et vlan, Blackmore envoie son chorus, concis, parfait. Vous aurez compris que j’adore ce titre, dont je ne me lasse pas, années après années. Si la perfection existe, elle se trouve dans ces quatre minutes de musique.


« Smoke on the water » : arrrfff… que dire qui n’a jamais été dit ! Les paroles évoquent l’aventure du groupe à Montreux, décrivent l’incendie du casino, et comment les musiciens ont fini au Grand Hôtel. Le groupe le chantera à Claude Nobs, en guise de gag, de cadeau, en précisant qu’ils ne comptent pas l’inclure à l’album. Nobs leur suggère d’y réfléchir à deux fois… Au delà de sa célébrissime intro (riff de guitare, puis l’orgue arrive, puis la basse, la batterie se greffant dessus au fur et à mesure, charley d’abord, caisse claire et enfin grosse caisse) il faut dire et répéter que tout le morceau est absolument génial, dans une veine rhythm’n’blues que le quintet maîtrise parfaitement. Une tuerie absolue. Il semblerait qu’on doive le titre de la chanson à Roger Glover (Smoke on the water = fumée sur l’eau, référence à l’incendie, le Funky Claude de la chanson étant Claude Nobs). Ian Gillan y fait évidemment des merveilles.

« Lazy » : re arrffff… que dire de ce brûlot intemporel, boogie-rock jazzy qui règne sur l’Olympe du genre, un swing hallucinant, une structure originale. Après une longue intro à l’orgue, exposé du thème, trois grilles de chorus de guitare, trois d’orgue, couplet/refrain, intervention d’harmonica, avant le second chorus de guitare (motifs autour du thème) et changement de tempo en blues 12/8 sur la fin. C’est immense, grandiose, c’est l’Everest par beau temps, à se frapper la tête contre les murs. On peut crever après, la conscience d’avoir enfin touché le nirvana rock ! (rien que ça ? oui oui). Et pourtant Blackmore n’en était pas satisfait pleinement, son chorus étant d’ailleurs l’assemblage de deux prises (un monsieur décidément exigeant avec lui-même… c’est ce qu’on dit pudiquement quand on parle des caractériels, autre terme pour désigner les chieurs !). Le thème s’inspire ouvertement de « Spettin’ out » d’Eric Clapton (période John Mayall).

« Space Truckin’» : re re arrrfff… le morceau de hard-rock par excellence, tempo speedé, hurlements de Gillan, mini chorus de batterie. Un morceau sans les habituels solos. Les paroles sont des phrases toutes faites et sans logique, à propos de l’idée qu’on se faisait d’un voyage dans l’espace dans les années 50. "Space truckin’" sera rapidement adapté à la scène en version longue (très longue…) les musiciens développant ensuite des impros, en maltraitant leur matériel, supplantant ainsi « Mandrake root » dans le rôle du morceau défouloir, joué en fin de concert.

« When a blindman cries » ne figure pas sur le pressage définitif du 33 tour, Blackmore n’aimait pas cette chanson (un chieur, je vous dis…). C’est un slow-blues, d’une rare pureté, poignant, limpide, cristallin, le chorus de Blackmore est à pleurer de beauté et de simplicité, juste bâti sur un motif et quelques notes (un cas d'école, démarche issue du jazz/blues). L'orgue assombrit la seconde partie du morceau, lui donnant une tonalité plus dramatique. Gillan fait lui aussi dans la sobriété. Un sans faute. La chanson revient sur l’enfermement des cinq membres au Grand Hôtel de Montreux.
In a cold month, in that room
We found a raison for the things we have to do
I’m a blind man, I’im a blind man, now my room is cold
When a blind man cries, Lord, you know, he feels it from his soul.



Roger Glover, bassiste, et concepteur des pochettes du groupe.




Bon alors, que dire de MACHINE HEAD, si ce n’est ressasser les superlatifs à son propos. Si « Picture of home » peut sembler plus basique que les autres titres, tous les morceaux de ce disque sont des réussites. On regrettera que « Never before » ou « Maybe I’m a leo » ne soient pas joués sur scène, ce qui semble les reléguer au second plan, alors que, je l’affirme ici avec toute l’autorité que je sais déployer quand la situation l’exige : ceux sont deux morceaux brillants. Sitôt après, DEEP PURPLE enregistre un set pour la BBC, un double album sortira des années plus tard, et c’est à ma connaissance le seul qui reprenne presque l’intégralité de MACHINE HEAD en live. C'est l’album de la consécration, enfin. Il recèle son lot de classiques, qui une fois joués sur scène prendront encore une autre dimension, une puissance de feu incroyable, permettant aux musiciens d’étaler leur virtuosité, et leur liberté d’invention. C’est l’album qui m’a fait définitivement entrer dans l’espace «Rock », m’a amené au blues, m’a fait choisir de jouer de la batterie. J’adore le son de la batterie dans ce disque, comme des autres instruments, le mixage est parfait. Il y a ce velouté bluezy, quelques pointes d'agressivité, c'est solide, doux et teigneux à la fois, c'est magistral ! J’avais fabriqué, gamin, une batterie avec des seaux de peinture, une poubelle pour la grosse caisse, des couvercles de casserole en guise de cymbales, accrochées par un fil à un escabeau ! Et m'évertuais à reproduire le jeu de Ian Paice sur "Space truckin'". Je me souviens aussi avoir réenregistré « When a blind man cries » avec deux magnéto à piles, superposant les pistes de mon clavier Bomtempi, d’un harmonica, d’une flûte, et d’une simili-batterie. La cassette où s'empilaient les pistes servant de play-back, pendant que l'autre me permettait d'en rajouter une couche... Une fois le chant empilé au reste, la première piste était quasiment inaudible ! Je vous en aurai bien fait profiter de cette expérimentation musicale et sensorielle tout à fait fascinante, mais les avocats de Ritchie Blackmore m’ont sommé de brûler la bande… concurrence déloyale, paraît-il. Je n'ai pas obtempéré, et l'oeuvre se morfond dans je ne sais quel carton entre deux Sylvain et Sylvette... Mais je m'égare, si je me laisse aller, j'embraye sur mes vacances à Pornichet en 1974...



Le groupe devant le camion-studio.



En 1997, MACHINE HEAD ressort avec deux CD. Sur le premier, les huit titres de l’album, légèrement remixés. Les titres ne sont plus coupés (pas de fondus) et se terminent du coup en sucette, mais j’aime beaucoup ! Et on peut entendre des chorus alternatifs sur « Smoke on the water » ou « Picture of home ». Une réussite, c’est généralement la version que j’écoute. Pour les puristes, le second CD propose l’enregistrement original, remasterisé, et deux titres en quadrophonie. Aucun titre bonus, car le groupe avait simplement enregistré ce dont ils avaient besoin. Aucun déchet. Tout ce qui avait été composé, a été gardé, ce qui avait été aussi le cas pour IN ROCK. Avec ce disque DEEP PURPLE renoue avec la fibre hard-rock, laissée de côté au moment de FIREBALL. Moins métal, et plus bluezy, d'une parfaite cohérence musicale, il confirme l’orientation du groupe vers une musique brute, moins emprunte de psychédélisme et de progressif. Un album enregistré sur le vif, victime - si on peut dire - des circonstances qui l’ont fait naître, et qui 40 ans plus tard, domine mon panthéon de la musique pop.

Et vous savez quoi ? Quatre mois après la sortie de ce disque, le groupe entre de nouveau en studio, à Rome cette fois, pour enregistrer le dernier opus de cette formation… Nous y reviendrons…



Bon, trêve de parlotte, place à la musique. Je vous fais grâce de "Smoke on the water" qui de toutes façons sera au programme scolaire des collèges l'an prochain, en anglais (traduisez le second couplet), en géographie (quels pays bordent-ils le lac Léman ?) en histoire de l'art (de l'influence de Deep Purple sur le heavy métal), et en mathématique (sachant qu'il y a quatre noires dans une mesure, combien y-a-t-il de doubles croches dans le refrain ?).

Un petit "Never before" parce que je l'adore, même si la version ici (live) n'est pas exactement la même, sans piano, et jouée un poil plus rapidement. Par contre le montage d'images est exécrable...



"When a blindman cries" parce qu'elle est moins célèbre, mais magnifique. Vous pouvez pleurer, personne ne vous regarde...







MACHINE HEAD (1971, ressorti en 1997)
1."Highway Star" – 6:39
2."Maybe I'm a Leo" – 5:25
3."Pictures of Home" – 5:21
4."Never Before" – 3:59
5."Smoke on the Water" – 6:18
6."Lazy" – 7:33
7."Space Truckin'" – 4:52
8."When a Blind Man Cries" – 3:33


Autres articles du DEBLOCNOT'concernant ce groupe :
http://ledeblocnot.blogspot.com/2010/09/deep-purple-in-rock-1970-par-luc-b.html

3 commentaires:

  1. Shuffle master11/2/11 20:08

    Les couvercles de casseroles, j'ai donné aussi. Depuis, je suis passé aux K constantinople en baisse actuellement, si ça t'intéresse. Je viens de me payer une crash de 18. Celui qui, à 50 ans, n'a pas une K constantinople, a raté sa vie. A part ça, chronique instructive, on apprend des choses et je vais de ce pas ressortir le disque.

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  2. "When a blindman cries" est pourtant une des plus belles compositions du Mark II, et heureusement qu'elle avait été ressortie sur leur 1ère, et excellente, compilation (Mark I & Mark II). Comme quoi, quelqu'un s'était tout de même rapidement rendu compte de la qualité de cette chanson.
    Personnellement, j'aime beaucoup "Never Before" (malgré sa chute en "queue de poisson"), alors que "Smoke on the Water", c'est l'overdose.

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  3. Incontournable avec "Deep purple in rock". Du grand Deep Purple.
    Bravo pour le com.

    Adanson marco.

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