dimanche 3 octobre 2010

URIAH HEEP "Very 'eavy... Very 'umble" (1970) ,par Bruno



Uriah-Heep s'affirme dès son 1er opus

     On a tendance à l'oublier, mais au début des 70's, Uriah-Heep a longtemps fait partie du peloton de tête de l'artillerie lourde du Rock. Encore une fois, ce manquement revient en partie à quelques écrivaillons en herbe, qui, certainement sans réellement écouter le groupe, ou alors sans discernement, avaient fait un raccourci radical en comparant le groupe à un sous-Deep-Purple. Or, il n'en est rien, si ce n'est que les deux formations sont un quintet, et qu'elles comportent un claviériste de talent, adepte du fameux Hammond B3. La comparaison s'arrête là, car leur univers musical, même s'il peut comporter quelque fois des similitudes (cela reste dans l'ensemble du Heavy-rock ou du Heavy-progressif), est sensiblement différent. A la limite, « Look at Yourself », leur réalisation la plus Hard-rock de la décennie, pourrait être plus sérieusement apparentée au Pourpre Profond.

     Le groupe a été créé en 1967, autour de David Byron au chant, de Mick Box à la guitare, de Paul Newton à la basse, et d'Alex Napier aux fûts. Ce dernier sera remplacé par Ollie Olsson. La première mouture se nommait Spice. En deux ans, le groupe obtint une petite renommé, ce qui leur valu un contrat avec Gerry Bron (un des créateurs du label Bronze) travaillant alors pour la maison de disques Vertigo. Ce dernier suggéra à Spice, alors que les enregistrements de leur premier album étaient déjà bien entamés, d'adopter le nom d'Uriah-Heep, d'étoffer leur musique avec des claviers. Nom d'un personnage du David Copperfield de Charles Dickens – c'était lors du 100ème anniversaire du décès de Dickens. Ainsi, sur les premières bandes de 1969, on retrouve un musicien de studio, Colin Wood. Musicien issu du Jazz mais que l'on aussi retrouver sur des enregistrements pour les Yardbirds, David Bowie et Kevin Coyne.
   Du coup, Mick Box enthousiasmé par le résultat, et étant déjà fan de Vanilla Fudge, s'empressa de dénicher un membre permanent qu'il trouva en la personne de Ken Hensley. Choix judicieux, car il s'agit d'un musicien accompli, sachant également tenir une guitare, un micro, et composer. Sa forte personnalité prendra progressivement l'ascendant sur le groupe. C'est certainement Paul Newton qui a dû proposer Hensley, car tous deux jouaient déjà ensemble dans le groupe The Gods (groupe de Heavy-rock progressif avec touches psychédéliques) ; une formation qui a également accueilli Mick Taylor, Lee Kerslake (futur Uriah-Heep), John Glascock (futur Jethro Tull), et Brian Glascock (futur Toe Fat, Captain Beyond, ...). Cette formation dont le premier disque date de 1968, préfigure naturellement par bien des côtés Uriah-Heep.

pochette intérieur du vinyle


    Ainsi, alors que cet album aurait dû voir initialement le jour en 1969, il ne sortira que l'année suivante, en juin 1970. Car, avec l'intégration de Hensley, Mick Box préféra retravailler la majorité du matériel déjà enregistré - voire la totalité. Et on peut se demander si en l'absence de Ken Hensley, l'opus aurait eu le même impact. Ce n'est pas trop par rapport aux claviers de Ken, puisqu'il y avait déjà ceux de Wood qui devaient être sensiblement les mêmes, mais plutôt à ses parties de guitares. En effet, sa guitare en soutien, apporte un plus conférant aux chansons concernées de l'ampleur et une assise nettement Heavy, notamment avec ses phrases de slide charnues et agressives. Sans omettre, que Hensley est également un bon chanteur, et que sa voix se marie fort bien avec celle de Byron. Le passable "Born in a Trunk", enregistré en juillet 1969, avant l'intégration du cinquième élément, démontre l'ampleur de la contribution de Ken Hensley. Box, Newton et Byron avait trouvé le comparse idéal.


   « Gipsy » ouvre l'album. Et comme pour confirmer le nouvel élan du groupe, se titre repose essentiellement sur un orgue sauvage, monumental et brutal ; Un orgue se situant entre celui de Mark Stein, Jon Lord et Keith Emerson, car à l'instar de ces derniers, Hensley semble maltraiter, brutaliser son instrument pour en extraire des sons distordus, infernaux, viscéraux. « Gipsy » donne dans le riff lourd et monolithique. Presque du Black-Sabbath avec orgue furieux. Premier titre, premier classique, maintes fois joué en concert. Paradoxalement, les claviers sont moins présents, parfois même absents, sur les titres suivants.
   « Walking in your shadow », est plus classique, binaire, avec deux guitares à l'unisson ; sympa, sans plus.
   « Come away Melinda », protest folk song, un plaidoyer contre la guerre, souvent attribuée au Heep, qui en a fait une version plus éthérée, mélancolique. En fait c'est une chanson de Fred Hellerman (des Weavers, groupe folk où officiait Pete Seeger), co-écrite avec Fran Minkoff (une compositrice inconnue). Un classique déjà repris auparavant par Belafonte, Tim Rose avec Mama Cass, Judy Collins. (Repris plus tard par UFO).

   « Lucy blues », un slow-blues. Bien ouvragé, mais trop scolaire ; cela donne l'impression d'un "exercice de style", certes réussit, mais qui dénote avec l'ensemble.
   « Dreammare », après une intro à l'orgue bousculé par des power-chords et des doubles bends, un riff brut s'immisce, pose les bases, invitant l’orchestre à le rejoindre. C'est lardé de slide de Hensley, d'un solo de wah-wah frénétique de Box, avec déjà les chœurs qui deviendront une marque de fabrique du groupe. Du lourd.
   La tension ne redescend pas avec « Real Turned on », un shuffle-boogie Heavy-Rock gras, pas loin d'un Wishbone Ash à venir, avec des guitares âpres, à l'honneur, qui s'échangent les rôles.
   « I'll keep on Trying », avec retour de l'orgue qui soutient le riff de guitare. Composition concordant bien avec le titre de l'album en alternant des passages bien Heavy, lourds, pesants, d'autres proches d'un Heavy-rock progressif sombre, quelques breaks de chœurs, quelques envolées à l'approche pseudo-jazzy. Inclassable, c'est du Heep.
   « Wake Up (Set your sights) », première partie titre jazzy. Grand moment de basse volubile et de patterns de batteries, avec Byron entre Sinatra et Barry Ryan. Seconde partie et final, entre jazz planant, évanescent et berceuse-pop-rock (genre Saint-Preux du "Piano sous la mer" ?), avec guitare jazz avare de notes.
On remarquera, par rapport aux productions à venir, outre l'orgue moins présent, que David Byron, bien que déjà très bon chanteur, n'ose pas encore nuancer plus sa voix, ni monter dans les aiguës, ni la forcée.

   « Very 'eavy, Very 'umble », est parfois présenté comme l'album d'un groupe en gestation, qui se cherche encore. Si effectivement « Lucy Blues » est incongrue, et si Hensley fraîchement embarqué, n'a encore rien composé , l'approche musicale du groupe est bien là (c'est clairement énoncé avec le titre explicite). Le Heep recherche le juste milieu entre une agressivité propre au Hard-Rock naissant, tout en gardant les portes ouvertes aux divers horizons, avec notamment un lyrisme présent, et des chœurs qui sont sensés apporter une expression de douceur.

Presque une touche de classique, ou d'opérette de bon aloi, voire d'une forme de Pop. Choses déjà présentes, même si moins maîtrisées, dans The Gods. C'est d'ailleurs ce côté expérimental, relativement aventureux, toujours en gardant un pied fermement ancré dans le Heavy-rock qui séduira, et inspirera le jeune groupe Smile.
Par contre sur scène, le groupe a toujours privilégié un côté franchement Rock'n'Roll.

     La version remasterisée de 2003, offre en sus huit titres plus ou moins intéressants. La version américaine du « Bird of Prey » , que l'on retrouve en Europe, à peine modifiée, que sur « Salisbury » ; « Born in a Trunk », enregistrement de l'ère Spice, composition passable avec un son bien fin 60's et une gratte de supermarché (aurait gagné à rester dans les tiroirs) ; les premières versions avec Colin Wood aux claviers, de « Come away Melinda » et de « Wake Up » ; la version de 69 de "Gipsy" ; « Born in a Trunk » en instrumental. Peu d'intérêts si ce n'est de remarquer les progrès qu'avaient effectués les musiciens en quelques mois. Des bonus dispensables.

     Par contre, les enregistrements de la BBC de mai 1970, (soit avant l'édition de l'album) mérite le détour. Avec « Dreammare » et « Gipsy » qui démontrent que déjà, Uriah-Heep maîtrisait alors parfaitement son sujet, avec une approche plus rugueuse, transcendante.
     Uriah-Heep fit de nombreux émules, dès les 70's. Même encore actuellement, leur influence est loin de s'essouffler puisqu'on la retrouve aujourd'hui dans Five Fifteen, Bigelf, Rhapsody, Lucifer Was, Blind Guardian et Demons & Wizards (nom du cinquième opus du Heep). Sans omettre un groupe majeur qui a souvent revendiqué son influence : Queen.

P.S. : C'est bien David Byron qui est pris dans la toile d'araignée.

Quelques mois plus tard, enregistré en 70 mais sorti début 71, le deuxième disque, "Salisbury" : http://ledeblocnot.blogspot.com/2011/01/uriah-heep-salisbury-1971-bruno.html






1 commentaire:

  1. Shuffle Master3/10/10 09:23

    Coïncidence amusante. Je l'ai commandé il y a une semaine. Ce que tu dis au début est vrai. IL y avait les groupes "nobles" (Led Zep, Deep Purple....) et les seconds couteaux.

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