dimanche 20 juin 2010

PLEASE KILL ME (1996) par Luc B.


L’histoire commence en 1965, lorsque l’éminence grise de la scène artistique new-yorkaise, Andy Warhol, via son acolyte Paul Morrissey, se dégote un groupe pour animer ses soirées light-shows. Ce sera le Velvet Underground, et son leader, Lou Reed. Rapidement, Lou Reed deviendra le modèle à suivre, celui qui a réussi, autour duquel toute une cour se massera, prête à lui lécher les pieds (dans tous les sens du terme) pour bénéficier de conseils, et d’entrées dans ce monde de la nuit. Lou Reed fascine, par son intellect, et ses allusions non dissimulées au SM, à la drogue, à la violence.


Le Velvet, découvert par Paul Morrisey au Café bizarre. Il deviendra leur manager, et le groupe fera les beaux soirs des light-show organisés par Andy Warhol.

C’est tout un mouvement qui se met en marche, poètes, peintres, danseurs, et musiciens. Tous se réunissent dans des salles, pour créer des spectacles hors normes, avec projections vidéo, paillettes et rimmel dégoulinant à gogo. Sex, drug, rock’n’roll… nuisettes et talons hauts ! Ce qui était nouveau, c’est que se succédaient sur scènes, ou dans les bars, des gens qui faisait de la musique sans vraiment savoir jouer, et qu’en plus ils parlaient crûment, et frontalement de leur quotidien, de leurs envies, de leurs fantasmes. Chacun pouvait se dire : je loue un ampli, j’achète une Fender d’occas, la camionnette du cousin pour tout ranger, et ça y est, je joue du rock ! Ras le bol du folk ou des babas qui ne savent pas ce qu’est une sortie d’usine, l’hiver à Detroit, foutaise que ce blues psychédélique et ses morceaux planants de 25 minutes. (Iggy Pop avait fait la première partie de Cream). Le rock, la musique, devaient refléter la jeunesse, la vraie. Comme ce groupe de Los Angeles, les Doors, et leur leader charismatique, Jim Morrison, qui se foutait de tout et de tout le monde : la classe ! Iggy Pop a pris la claque de sa vie en le voyant en concert dans le Michigan. Car dans le Michigan, ça bouge aussi. A Detroit, avec Iggy Pop & The Stooges, et les MC5, dirigés par John Sinclair et son programme politique à deux balles : défonce et boucan.




Les Stooges, grandes figures de Detroit avec les MC5

L’histoire était lancée, et ce bouquin passionnant nous la raconte par le menu. Il est constitué d’entretiens croisés de tous ceux qui ont participé à l’aventure. Ils parlent tous à cœur ouvert, de leur vie misérable, de leur chambre chez papa-maman, des piaules où on s’entasse quelques heures pour récupérer, des bars, et de la rue. Et de ce qui fait tourner le monde, pour eux : la dope. Tous y sont passés, tous s’y sont plongés, seul exutoire à leur mal être. Se défoncer, avec tout ce qu’on trouve de moins cher et de plus fort, pour échapper à la triste réalité, les plans foireux, le trottoir. Dee Dee Ramone à l’angle de la 53rd et de la 3rd, haut lieu du tapin homo. Les faux frères Ramones (hommage à McCartney), Debbie Harrie, Patti Smith, Richard Hell, les frères Asheton, Johnny Thunders… Tous nous racontent sans pudeur, cette histoire de la musique punk, qui au gré de tournées a traversé l’Atlantique pour échouer en Angleterre. Les multiples familles musicales, le rock garage, mais aussi le glam (NewYork Dolls), le hard (Alice Cooper). Il ne faut pas essayer de les opposer, de créer des chapelles, tous se connaissaient, jouaient ensemble, s’influençaient. Ils vivaient ensemble, couchaient ensemble, les filles, les gars, on s’en foutait, et parfois, rarement, s’aimaient. Dope, trafic, coup de feu, prison, déchéance, overdose, solitude, fatigue… Quotidien gris et dégueulasse, qui leur a fourni un terreau pour écrire, composer, hurler à la face du monde qu’ils étaient eux aussi vivants, et qu’ils avaient droit au bonheur.

Debbie Harrie, alias "Blondie" avant de devenir une icône disco.


Il ne faut pas oublier les maisons de disques, qui ne comprenaient pas grand-chose à ce spectacle, mais qui avaient pigé qu’il y avait du fric à se faire. Sans cesse repérer des « talents » plus extrêmes et bruyants que le voisin. N’oublions pas les groupies, ces grappes de filles paumées, junkies, et tous ceux qui gravitaient autour de cette scène bouillonnante (poètes, photographes, chorégraphes, journalistes). Ce sont des centaines d’intervenants, on s’y perd parfois, et le lexique à la fin du livre est indispensable ! Ils nous racontent cette histoire. Les deux auteurs ont trié, juxtaposé, croisé cette somme de témoignages, pour faire en sorte que chacun se réponde, argumente, contredise, confirme. Le lecteur a l’impression d’assister à une longue discussion entre potes, et ce choix de construction, qui peut surprendre au départ, participe pleinement au plaisir de lire ce livre.

 

The Ramones. Faux frères, mais vrais fans des Beatles. "Ramon" était le pseudo utilisé par Paul McCartney.




PLEASE KILL ME est un bouquin absolument passionnant, une plongée hallucinante dans le désespoir, la création, la révolte, loin des mythes et de l’imagerie habituelle.

Signalons dans cette même collection, des ouvrages tout aussi indispensables, comme « Waiting For The Sun » de Barney Hoskyns qui raconte 50 ans de musique à Los Angeles (du Be Bop au Rap), « Sweet Soul Music » de Peter Guralnick, « Mystery Train » de Greil Marcus.



PLEASE KILL ME (1996, France 2006)
L'histoire non censurée du punk racontée par ses acteurs
de Legs McNeil & Gillian McCain
Edition ALLIA
625 pages

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