vendredi 5 décembre 2025

VIE PRIVÉE de Rebecca Zlotowski (2025) pat Luc B.


On ne va pas s’mentir, la curiosité joue à plein en allant voir VIE privée, car le premier rôle est tenu par l’américaine Jodie Foster. Qui tourne chez nous une fois tous les 20 ans, avec Chabrol en 1984, Jeunet en 2004, et Rebecca Zlotowski, donc, aujourd’hui. Et le résultat est plutôt plaisant.

On sent que Zlotowski et ses co-scénaristes ont concocté pour la star ricaine un écrin sur mesure, et choyé ses partenaires à l’écran. Le duo Foster / Auteuil fonctionne merveilleusement (au point que Zlotowski a réécrit des scènes en cour de tournage). Toute la distribution est d’ailleurs impeccable, même si Mathieu Amalric en fait sans doute un peu trop parfois en coupable (?) très tôt désigné. A noter que Virginie Efira, en bonne place au générique, ne fait que de courtes apparitions (en flashback, et pour cause) et que Irène Jacob… est tout bonnement absente, rôle coupé au montage j’imagine, mais son nom est resté au générique !

Rebecca Zlotowski propose un who done it ? qui puise dans pas mal de références américaines, on pense d’entrée de jeu à Woody Allen et Alfred Hitchcock. Le couple de séniors apprenti détective renvoie à MEURTRE MYSTERIEUX A MANHATTAN, les rêves décryptés sous hypnose à VERTIGO ou MARNIE, on pense aussi à Fritz Lang, LE SECRET DERRIERE LA PORTE, ou au DEAD AGAIN de Kenneth Branagh.

Un divertissement léger, à première vue, car prise au premier degré, l’intrigue paraitrait capillotractée. A savoir, la psy Lilian Steiner qui apprend le suicide d’une de ses patientes, Paula (Virginie Efira). Pour la thérapeute, ça ne colle pas au profil, et implique sous-jacent qu'elle n'aurait pas détecté ce qui clochait. Elle écarte la piste du suicide pour privilégier celle du meurtre...

Lilian a un autre problème, ophtalmo celui-là, elle pleure sans arrêt : « c’est pas moi, c’est mes yeux ». Superbe idée, traduction de sa conscience de psy mal menée. Elle consulte une hypnotiseuse (qu’un de ses patients avait consulté pour arrêter de fumer) qui décèle en elle un tas de traumas enfouis, liés à Paula. Perturbée par ces révélations, Lilian et son ex-mari Gabriel (Daniel Auteuil) décident de mener l’enquête…

La scène de l’hypnose, avec ces symboliques codifiés, le rouge, les escaliers, les portes à ouvrir, renvoie au Film Noir américain de l'après guerre, très friands de psychanalyse. Et confronte Lilian à d'autres modèles de thérapies, qui la déstabilisent un peu plus. Ca donne surtout de bonnes scènes de comédies, lorsque Lilian se représente en rêve son fils (Vincent Lacoste) en milicien gestapiste, et le repas de famille qui suit. 

Nous sommes à la fois dans une comédie policière et dans un portrait de femme, réussi, qui se prend en pleine poire ses failles professionnelles, ses névroses familiales, ses dénis, qui entend plus qu’elle n'écoute. Une professionnelle ébranlée dans ses certitudes face à une hypnotiseuse dont elle dénigre les pouvoirs, allant jusqu'à la traiter, argument définitif,  d'antisémite ! Pourquoi ? Parce que Freud aurait abandonné l'hypnose moins génératrice de revenu, car efficace dès la première séance ! Un des patients de Lilian (le fumeur) lui réclame le remboursement de ses 5 ans de psychanalyse au motif que son sevrage n'a pas marché ! Quand elle raconte ses soupçons au commissariat, le flic reste dubitatif, lui demande sa profession : « Psychiatre ». Sourire narquois du flic en mode ah ouais je comprends mieux...  

Intrigue policière et portrait psychologique sont habilement dosés, le rythme ne faiblit pas, les rebondissements s’enchainent. Entre les démarches suspectes de la fille de Paula (Luàna Bajrami, intrigante), un mystérieux message écrit au dos d’une ordonnance (falsifiée ?), des coups de fils anonymes, un cambriolage, des enregistrements de séances qui disparaissent, la double vie du veuf très vite consolé…

Un scénario (original) bien ficelé et joliment écrit, tant mieux, dont on retiendra les scènes entre Lilian et Gabriel, que cette enquête sort de leur confort petit-bourgeois. Un film d’inspiration américaine, mais très français dans la liberté de ton, par les décors, par le nombre de repas arrosés et clopés.

Cadres et lumières sont maitrisés, les couleurs ajustées avec soin, gamme d’ocres, rouges, bleu pétrole, on retrouve les marqueurs du genre, marchant en terrain connu. La mise en scène, très élégante, est tout de même un peu chiche en termes de suspens. La filature de nuit, dans les bois, est plutôt mollassonne, la perquisition clandestine chez l'ex-mari ne nous fait pas griffer l'accoudoir. On reste dans le feutré. 

Et pourquoi tant de gros plans alors que Rebecca Zlotowski filme en format scope ? Pourquoi redécouper des scènes alors qu’un seul plan d’ensemble peut suffire. C’est dommage d’avoir ces deux Rolls à l’écran, et de ne pas les regarder évoluer dans le même cadre, sur la longueur. A quoi servent ces gros plans pour une demi-réplique ? Et ces arrières plans flous horripilants quand les deux personnages sont à un mètre cinquante l'un de l'autre, pitié ! J’ai pensé à Roman Polanski, que cette histoire aurait pu intéresser. Zlotowski aurait pu revoir THE GHOST WRITER, en termes de filmage cela aurait été inspirant.

Ces réserves faites, VIE PRIVÉE se regarde avec plaisir, Rebecca Zlotowski ayant habilement contourné le pensum psychologique pour privilégier le divertissement, on s'y amuse, et les acteurs aussi visiblement.  


Couleur  -  1h40  -  format scope 1.2:39      

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire