lundi 24 novembre 2025

VAPORE de Marco Lodoli (2013) - par Nema M.


Sonia regarde des publicités pour des maisons ossature bois. Elle interpelle Nema qui travaille sur un plan de viaduc :

- Des ponts, des ponts, toujours des ponts, tu n’en as pas marre ? pourquoi tu ne fais pas des maisons en bois ?

- Mais… Je suis ingénieure structure béton Sonia, spécialisée dans les ouvrages de génie civil, je ne suis pas du tout dans le domaine de la construction de maison individuelle.

- C’est nul, reprend Sonia. Une maison, c’est toute une histoire, l’histoire de ses habitants, c’est comme un être vivant…

- Ah, oui, je comprends, comme la maison de Maria Salviati qui ne pourra changer de propriétaire que si l’agent immobilier comprend ce qu’elle a vécu…


Vendre une maison. Vendre une vieille maison, une maison de famille, là où on a vécu son enfance avec ses parents, là où on a vécu avec son conjoint et son fils, abandonner « celle qui a tout vu et entendu » dirait Sonia, entre les murs de laquelle on s’est réfugié, senti en sécurité ou effrayé. Voilà ce que Maria Salviati et son agent immobilier Gabriele doivent faire : vendre la maison Salviati. Voilà. C’est l’histoire de la vente d’une maison. Ou bien une histoire de famille. C’est une histoire qui démarre avec un petit goût de bonbon suranné, genre bonbon à la violette, doux et délicat. Mais comme avec certains bonbons d’aujourd’hui, on aura droit à de drôles de piquants et même au goût amer, celui de l’incompréhension et de la violence…  

 

Le titre de ce roman semble un peu bizarre : pourquoi ce drôle de nom de Vapore ? Vapeur en français. Marco Lodoli a choisi de donner ce surnom au personnage d’Augusto, le mari de Maria Salviati. Mais patience. Il faut d’abord entrer dans l’histoire avant de rencontrer cet homme, quasi éthéré, décalé et joyeux, mais pas seulement…


Musée bateaux Lac Nemi

Maria Salvati est une ancienne professeure de sciences et de biologie. Elle a 72 ans, vit à Rome et se sent vieillir, en proie à des doutes sur sa mémoire qu’elle tente d’entretenir à tout prix avec force mots croisés. Un beau matin d’avril, un jeune homme sonne à son domicile. Elle ne veut pas avoir peur comme toutes les personnes âgées, elle ouvre donc la porte et Gabriele se présente : il est agent immobilier et travaille pour « Le Temps des demeures ». Il vient au titre du mandat de vente donné à cette agence. Maria s’en souvient vaguement. Cela fait si longtemps que la maison est mise en vente ! Le garçon est jeune, vêtu d’un costume sombre impeccable avec une chemise bleu ciel et une cravate. Il lui demande gentiment de venir avec lui à la maison. Sa voiture est en bas. Maria accepte, prend son sac et ses clés, et ils partent en voiture pour la maison qui est située près du lac Nemi à 40 kilomètres de Rome. Gabriele fait attention à conduire doucement dans les virages, car Maria a toujours mal supporté ces courbes et lacets qui permettent à la route de gagner le plateau. Une fois la maison ouverte, Gabriele et Maria s’assoient et attendent les éventuels visiteurs. Ils sont au soleil. Une couverture sur les genoux. Gabriele demande à Maria de raconter son histoire dans cette maison pour la comprendre.

 

Alors Maria replonge dans ses souvenirs. Elle se souvient de sa rencontre avec Augusto, « l’homme qui était une catastrophe qu’elle serrerait contre elle jusqu’à ce que la mort les sépare ». Elle est alors jeune et sérieuse. Fille de professeur d’université, elle étudie sagement quand par hasard lors d’une fête pour enfants elle voit cet homme clown qui jongle, qui fait apparaître un oiseau, qui sème le bazar dans la réunion d’enfants. C’est le coup de foudre. Il lui dit qu’elle est celle qu’il attendait, elle fond littéralement dans ses bras et part à l’aventure avec lui sur une moto déglinguée, jusqu’en Espagne. 


Et elle revient enceinte de Pietro. Colère et scandale chez les Salviati. Tant pis. Maria retrouve quand même suffisamment de bon sens pour terminer ses études et devenir professeure. Ses parents lui laissent la jouissance de la maison de campagne. Augusto va et vient, intermittent du spectacle, clown lunaire, père rêveur et conteur d’histoires. De temps en temps Augusto part car il a besoin de partir. Mais à chaque fois il revient. Et quand il part, il jure de revenir. Maria assume la charge de Pietro seule, assure le quotidien, s’accommode de ces frasques.

 

Gabriele et Maria retournent plusieurs fois à la maison. Il y a de potentiels acheteurs qui viennent, mais ce n’est pas ceci ou ce n’est pas cela. Toujours quelque chose qui ne convient pas. Maria se demande si la maison est vendable. Gabriele lui explique que c’est normal. Il connait son métier. Il faut de la patience pour qu’il trouve ceux qui auront le bon profil pour cette maison. En attendant, il aime toujours entendre Maria se raconter.

 

Pietro grandit. Ce sont les années 70. Il a une passion pour les infortunés, les pauvres. Il s’engage avec d’autres camarades dans des réflexions puis des actions militantes de gauche et des actions musclées contre de jeunes fascistes. Même si Augusto partage le sujet de l’injustice sociale, il n’est pas du tout dans l’action mais dans la magie, la fantaisie, le rejet de la réalité. Maria voit son fils s’éloigner de son père. Il y aura quand même un bel été où ils vont au lac Nemi faire de la barque et se baigner, jusqu’au musée des bateaux. Un moment rare de complicité avec la nature. Mais la violence refera surface jusqu’à son paroxysme…


Finalement une famille trouve la maison parfaite. Gabriele est content. Maria lui dévoile la fin de son histoire avec Augusto.  

 

Très beau roman qui jongle entre le rêve, la poésie et la dureté des années de plomb en Italie, pendant lesquelles la violence et le terrorisme se sont déchaînés. Le tout raconté dans le cadre calme et serein de cette vieille villa entourée de champs et baignée dans la lumière et les odeurs du printemps. Le style de Marco Lodoli est très agréable. Ce Romain né en 1956, a été journaliste et professeur avant d’être écrivain. Parmi ses thèmes de prédilection : les voyages et la mort.

Merci à la traductrice Louise Boudonnat très fidèle au texte italien.

 

Bonne lecture !

 

P.O.L #formatpoche

190 Pages 



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