SOUNDTRACK TO A COUP D’ETAT de Johan Grimonprez (2025) par Luc B.
Ca commence par l'élégant Max Roach qui se lance dans un solo de batterie, la classe intégrale. Plus tard rejoint par la chanteuse Abbey Lincoln. Leurs interventions donneront
la pulsation de ce long documentaire (2h30), au montage rythmé par les hymnes
bebop. On retrouvera le duo (sur scène et à la ville, comme on dit) avec une cinquantaine de militants,
faisant irruption dans l'hémicycle de l’ONU pour protester contre l’assassinat de
Patrice Lumumba. Invectives, empoignades, baston générale, images surréalistes.
Ce
formidable SOUNDTRACK TO A COUP D’ETAT, couronné à Sundance, raconte d’abord rapidement la
décolonisation, la création à l’ONU du groupe des pays non-alignés, puis se
focalise sur le Congo, et les rêves d’indépendance initiés par Lumumba, futur
premier ministre. Le Congo est une colonie belge, au sol riche de minerais,
notamment dans la province du Katanga, au sud, dont on extrait l’uranium destiné
aux bombes atomiques américaines.
L’Union Minière du haut Katanga, qui
pratiquement privatisé la zone, le gouvernement belge et son bon roi Baudoin, ainsi que les Américains,
n’ont aucune envie de voir le Congo devenir indépendant. D’autant que le soviétique Nikita
Khrouchtchev fait les yeux doux aux indépendantistes. Le film raconte comment
Patrice Lumumba et Joseph Kasa-Vubu (futur président de la République du Congo)
vont obtenir l’indépendance, et comment le camp adverse va tenter de faire
capoter le projet. Et comment les Américains vont amadouer les foules
africaines en envoyant sur place leurs stars noires : les jazzmen.
Mises à
part quelques interventions de l’écrivain In Koli Jean Bofane qui lit des extraits
de textes, SOUNDTRACK TO A COUP D’ETAT est entièrement constitué d’images d’archive,
la plupart issues de sessions à l’ONU. Le réalisateur belge Johan Grimonprez
convoque énormément d’intervenants. Politiques, diplomates, activistes
(Malcom X entre autres), agents de la CIA, barbouzes et mercenaires de tout
poils, et bien sûr les musiciens, notamment Dizzy Gillespie ou Louis Armstrong,
dont l’avion était truffé de mecs de la CIA à son insu ! On voit une archive géniale de Gillespie en concert, annoncant : "Et maintenant, il est temps de présenter les musiciens"... et il engage son bassiste à aller serrer la main du batteur, le pianiste saluer le saxophoniste... Une large place du narratif est laissée à la militante et féministe Andrée Blouin qui aurait mérité un film pour elle seule.
Il n’est pas toujours
aisé de s’y retrouver parmi les protagonistes, le tempo est frénétique. Mais la
réalisation, souvent ludique, essaie à chaque fois de nous éclairer. Notamment
par des inserts en grosses lettres colorées qui couvrent tout l’écran (on pense aux pochettes Blue Note) portraits et
fonctions des intervenants, qui donnent une narration très vivante. Ce ne sont
pas des archives mises bout à bout, elles sont véritablement mises en scène. Le
travail sur le montage est hallucinant, qui n’échappe pas, parfois, à la
facilité, lorsque Khrouchtchev tambourine son pupitre à l’ONU sur fond de chorus
de batterie de Max Roach ou Art Blakey.
On peut faire dire beaucoup de choses à des images grâce au montage. Michael Moore ne s’en est pas privé, en son temps. Le
télescopage d’images peut faire sourire parfois, le ton est incisif, satirique
bien souvent. Génial moment du discours de Patrice Lumumba devant le roi des Belges,
qui attend respects et compliments, mais se retrouve sous une salve de
reproches. On le voit se pencher vers un conseiller, quand un sous-titre
lui fait dire « Il était vraiment censé dire ça ? ».
Est-ce réellement ce qu’il s’est dit, où la réplique a-t-elle été collée au bon
endroit ?
Ou lorsque Eisenhower promet, à la tribune de l’ONU, tout son
soutien à la nouvelle république du Congo, et le plan d'après, la CIA
fomente l’assassinat de Lumumba. L’agent interviewé expliquant obéir aux ordres
directs du président américain. Et pendant ce temps-là, Nina Simone hurle son
blues... Le spectateur est d'abord enthousiaste devant ces rêves de liberté, le souffle de la narration est contagieux, mais rapidement on va siffler la fin de la récré. Allez zou, on vous a laissés rigoler, mais maintenant l'Homme Blanc reprend le manche.
Le film montre, jusqu’à l’écœurement, la collusion entre politiques et
industriels, le cynisme absolu des Belges, qui même l’indépendance actée persistent à vouloir régir le pays, placer leurs hommes aux bons postes. Et
penseront illico à éliminer Patrice Lumumba, le nouveau héros tiers-mondiste. C’est là qu’entrent en scène les barbouzes
et un certain colonel Mobutu. Et on ne rigole plus du tout.
Pendant toute cette période, les musiciens noirs américains s’interrogent
sur le rôle qu’on leur donne. Propager la bonne parole occidentale, alors qu’ils
sont eux-mêmes confrontés au racisme et à la ségrégation aux Etats Unis. Un
grand monsieur comme Duke Ellington avait déjà servi de caution. Les Etats Unis
l’avait envoyé aux quatre coins de la planète pour contrer le succès des Chœurs
de l’Armée Rouge, qui consolidaient l’influence soviétique partout où ils se produisaient.
Il
ne faut pas être effrayé par la durée du film. Si les 10 premières minutes donnent l'impression de partir dans tous les sens, ce qui illustre aussi l'effervescence et le chaos qui
régnait à cette époque, on est vite happé par l’Histoire en marche, les évènements, les personnages hauts en couleur, et
par cette mise en scène énergique qui soutient l’ensemble.
Il faut imaginer Grimonprez comme un leader de
Big Band, qui maintient le tempo et le swing de sa rythmique, et fait entendre chaque soliste.
Sans parler des Katangais, les mercenaires de sinistre mémoire. On doit malheureusement constater qu'en Afrique, rien n'a vraiment changé. Les invariants: le colonel Duschmoll en tenue léopard et béret rouge qui prend la place du capitaine Duchemin en tenue léopard mais béret vert sous les vivats de la foule à qui on a fourni des pancartes et de quoi de défoncer. Les modifications dans le casting: les Russes et les Chinois à la place des Américains et des Français.
Belle démonstration d'invariants. Doit-on voir dans le changement de couleur des bérets, une évolution qui va dans le sens de l'Histoire ? Ca me rappelle cette splendide transition dans "2OO1", l'os de primate jeté en l'air qui devient un engin spatial sur le plan suivant. Là, on jette un béret rouge, mais il ne se transforme pas en bulletin de vote, il retombe vert !
" ... l'impression de partir dans tous les sens, ce qui illustre aussi l'effervescence et le chaos qui régnait à cette époque ..." 😲😁 Parce qu'il n'y en aurait plus aujourd'hui ? En fait, si j'ai bien compris, c'est un film complotiste qui voudrait faire croire que le gouvernement américain a deux discours. Que ce serait une "langue de serpent". Alors qu'il œuvre pour le bien de tous, qu'il "investit" pour la paix dans le monde... 😉
J'ai découvert Andrée Blouin à l'occasion, je ne la connaissais, sacrée personne. Et oui, cela pourrait être un sujet de série, genre Arte. Avoir raconté cette histoire au cinéma, sur grand écran, en amplifie l'impact.
Sans parler des Katangais, les mercenaires de sinistre mémoire. On doit malheureusement constater qu'en Afrique, rien n'a vraiment changé. Les invariants: le colonel Duschmoll en tenue léopard et béret rouge qui prend la place du capitaine Duchemin en tenue léopard mais béret vert sous les vivats de la foule à qui on a fourni des pancartes et de quoi de défoncer. Les modifications dans le casting: les Russes et les Chinois à la place des Américains et des Français.
RépondreSupprimerBelle démonstration d'invariants. Doit-on voir dans le changement de couleur des bérets, une évolution qui va dans le sens de l'Histoire ? Ca me rappelle cette splendide transition dans "2OO1", l'os de primate jeté en l'air qui devient un engin spatial sur le plan suivant. Là, on jette un béret rouge, mais il ne se transforme pas en bulletin de vote, il retombe vert !
RépondreSupprimer" ... l'impression de partir dans tous les sens, ce qui illustre aussi l'effervescence et le chaos qui régnait à cette époque ..." 😲😁
RépondreSupprimerParce qu'il n'y en aurait plus aujourd'hui ?
En fait, si j'ai bien compris, c'est un film complotiste qui voudrait faire croire que le gouvernement américain a deux discours. Que ce serait une "langue de serpent". Alors qu'il œuvre pour le bien de tous, qu'il "investit" pour la paix dans le monde... 😉
Un montage odieux, mensonger, surement généré par une IA ! A qui profite le crime ?
SupprimerUn sujet fort intéressant qui aurait pu faire l'objet d'une série. Le cas Andrée Blouin devant déjà, à lui seul, justifier d'une saison.
RépondreSupprimerJ'ai découvert Andrée Blouin à l'occasion, je ne la connaissais, sacrée personne. Et oui, cela pourrait être un sujet de série, genre Arte. Avoir raconté cette histoire au cinéma, sur grand écran, en amplifie l'impact.
Supprimer